THE TERMINAL

the terminal

Viktor Navorski est l'un de ces milliers de touristes, venus des quatre coins du monde, qui débarquent chaque jour à l'Aéroport JFK de New York. Mais, à quelques heures de son arrivée, voilà qu'un coup d'État bouleverse sa petite république d'Europe Centrale, mettant celle-ci au ban des nations et faisant de Viktor... un apatride. Les portes de l'Amérique se ferment devant lui, alors même que se bouclent les frontières de son pays : Viktor est bel et bien coincé...

Le Terminal (The Terminal)

Film américain (2003). Comédie. Durée : 2h 08mn.

Date de sortie : 15 Septembre 2004

Avec Tom Hanks, Catherine Zeta-Jones, Stanley Tucci, Chi McBride, Diego Luna  Plus...

Réalisé par Steven Spielberg

------------------------------------------------------------------------

UN PERE QUI AIMAIT LE JAZZ…

Viktor Navorsky-(Tom Hanks), le héros du film arrive à Kennedy Airport avant la chute de l'URSS, d'un pays nommé Krakosia. Pays qui pendant son voyage vient de subir un coup d'Etat très meurtrier, il aurait disparu de la carte, son gouvernement éliminé, bref de la disparition est en cours… Au point que notre Viktor voit son visa annulé, les USA ne reconnaissant pas d'où il vient. Venu de nulle part, il est parqué dans un « nulle part » obligatoire, dans une zone de transit et classé inclassable, inacceptable. « Denied »indique le tampon de la jolie préposée à l'immigration…

Conte de fée

C'est du soft sur fonds de hard, comme dans La Liste de Schindler, c'est le style de Spielberg, ça a l'air d'un conte de fée, mais où la violence de l'Histoire du XXème siècle n'est abordée qu'à la condition d'un happy end. D'où par exemple le personnage joué par la très très jolie Catherine Zetta-Jones, une hôtesse de l'air qui cherche l'homme de sa vie… Tout cela se passe dans un coin de non droit d'un aéroport, dans une ambiance presque à la Chaplin dans Les Temps Modernes, où l'Aéroport est le lieu de toutes les mises en questions de notre actuel.

Viktor est brusquement devenu un apatride total, un étalon d'étranger, un réfugié à qui est refusé tout refuge, et, bon bougre qui en connaît un bout sur l'administration soviétique, il ne peut accepter de s'enfuir devant l'offre cruelle qui lui est faite par le chef de services d'immigration US, car notre héros sait que s'il entre dans le droit, il aura commis un délit et se retrouvera en prison…Hors droit !

Dés lors il ne peut qu'humaniser cette frontière, ce lieu d'abstraction qui d'ordinaire est franchie, la voilà élargie, sortant de son statut de trait géométrique, elle prend du volume, de la vie, de l'espoir. Et même, de la tendresse : un baiser vrai d'amour entre Zetta Jones et Tom Hanks, …mais, on le sait, Spielberg y va doucement : à contre-jour…et de toutes les façons ça n'aboutit pas.

Violence de l'histoire

Avec ce coté conte de fées, existe la violence de l'histoire, car Viktor Navorski est en proie en miniature made in USA à bon nombre le violences du totalitarisme soviétique vis à vis de la personne singulière, il est en prise directe entre intime et politique. C'est l'idée que je soutiens dans une « Lettre d'un psychanalyste à Steven Spielberg »(Bayard-Presse). Idée qui veut que si le cinéma -et celui-là tout particulièrement- articule au mieux intime et politique, la psychanalyse ne peut qu'y trouver une meilleure approche de l'intime comme tel, car une fois celui-ci repositionné dans le discours analytique, peut-être sera-il index du sujet de l'inconscient.

Ainsi tous les ingrédients de la violence contre le sujet s'y retrouvent de façon soft : le mirador est devenu une caméra qui suit de très près et presque amicalement notre Viktor sur toutes les mesures de survie nécessaires dans une telle situation, celles que les déportés revenus des camps nazis nous ont fait entendre : parler la langue du plus fort (et Navorski saura l'anglais en quelques semaines), manger (et il pige comment récupérer les pièces de monnaies abandonnées dans les caddies), et dormir (et il se fera un litière avec nos fauteuils d'aéroport)et se laver (et on le voit dans les toilettes publics sans que personne ne s'en émeuve)… Certes voilà ce que les déportés revenus des camps nazis nous ont fait entendre, et sans doute ceux revenus du goulag nous les diraient aussi.

C'est toute la question du style soft de Spielberg face à la violence de l'Histoire européenne, où si le mirador des camps est désormais une caméra, comme celui là même que Spielberg cuvée 2002 met en scène dans Minority Report sous le nom de Hal. Hal sait les crimes encore non commis, et nous renvoie

à ceux qui l'ont été, mais qui, niés, n'auraient jamais eu lieu…une histoire de témoins donc et son statut actuel.

Preuve en est cet autre ingrédient d'un tel survivre soft qui nous met face à l'Europe des camps, ce nom de Krakosia, de ce pays imaginé d'où vient notre exilé perdu dans son terminal, et qui rappelle à qui veut l'entendre le nom de Krakow, Cracovie, où sont raflés dans leur ghetto détruit, c'est dans La liste de Schindler, 60.000 juifs, les premiers à être gazés à Auschwitz, à quelques dizaines de kilomètres…

Doux mélange donc, c'est du Spielberg, et c'est un mode de transmission de la chose produite, sorte d'index, de shifter, choisi avec les moyens du bord, Terminal fait penser à La Sentinelle de Despléchin où s'enlacent intime et politique, où s'enlacent recherche et ratage des amours qui se raturent sans cesse sur fonds de retours des crimes des camps soviétiques et des camps nazis, qui n'ont rien de semblable au plan de la destruction de l'humain. Mais alors rien du tout car le goulag veut anéantir le sujet au profit du collectif, le camp nazi interdit aux juifs toute inscription dans quelque collectif que ce soit, leur gazage en sera la solution.-

Les voilà, ces génocides, ici mélangés doucement …

Le point d'orgue se situe bien entre intime et politique, ce qui nous permet dans Le Terminal de nous retrouver quelque peu dans nos enjeux de psychanalystes puisque le souhait singulier de Viktor n'est pas d'immigrer aux USA, mais bien de soutenir le manque de son père, mort depuis un certain temps, et qui aimant tant le jazz il avait une petite boite avec 56 autographes des plus grands jazzmen américains, il lui en manque un ! le 57ème, celle de Beny Golson. Et lorsque enfin il peut aller à New York, ce sera pour l'obtenir. Une fois dans le taxi, face au 161 Lexington avenue, ayant comblé ce qui manque à son père, il peut, comme dans E.T. « rentrer maison… ».

Jean-Jacques Moscovitz

Auteur de « Lettre d'un psychanalyste à Steven Spielberg » (Ed. Bayard-Presse, 2004)