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Dire et devenir : une exploration des effets du langage dans la temporalité de l'analyse. Ed Ithaque
Critiques du même auteur
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Philosophe de formation, normalien, Maurice Dayan, qui est psychanalyste, a longtemps enseigné la psychopathologie à l'Université Paris XIII puis Paris VII.
Il nous livre ici un beau livre de réflexions dont j'ai particulièrement aimé le premier chapitre nommé « interrogations ». Il est dense et précis et contient l'essentiel de la thématique abordée au long de l'ouvrage.
Effectivement nous savons que dire ne se réduit pas à parler, parce que le dire est toujours adressé à une écoute personnelle ou anonyme « d'un ou plusieurs êtres aptes à entendre la parole du diseur », c'est donc une situation d'interlocution qui dépasse largement la simple communication « devenue sacro-sainte, non moins que vide de toute pensée identifiable, en ces temps où communiquer passe pour une sorte de fin en soi, quels que soient les destinataires, les canaux, les contenus, les effets ».
« Dire tend ainsi à modifier la connaissance ou l'opinion supposée, le propos antérieur de l'un ou de l'autre, des sentiments exprimés ou réprimés. » Tel est le thème qui traverse cet ouvrage. L'auteur souligne que l'on retrouve ceci aussi bien dans les échanges dits « à bâtons rompus » que dans le cours de la cure analytique. Se centrant, pour son propos, sur cette dernière, il écrit : « Le dire ? affranchi de toute contrainte externe, ainsi que du double souci d'intelligibilité et d'efficience immédiates, est celui auquel ouvre carrière, sans limite a priori, la méthode appelée « psychanalyse ». D'ailleurs il insiste sur le fait qu'il s'agit d'une méthode et non d'une doctrine ni d'un procédé thérapeutique destiné à traiter rapidement des syndromes répertoriés ou non.
La cure est, à ses yeux, « une ouverture de principe, via le langage, à quelque chose d'inconnu sans lien apparent ou désigné avec une réalité quelconque (fut-elle réputée « psychique »), et qui le cas échéant se révélera incompréhensible pour le diseur lui-même. »
Il insiste sur le fait que dans ce champ livré au dire rien n'est exclu : il ne s'agit pas forcément d'amener à l'expression un soi ou des pensées gardées par-devers soi, mais il s'agit de faire surgir un réseau d'associations, de pensées au sens le plus large du terme « qui comprend à la fois ce qu'on affirme ou que l'on nie, ce qu'on éprouve ou ce que l'on sent, ce qu'on désire ou ce qu'on hait, ce qu'on veut ou ne veut pas, ce qu'on se représente ou conçoit, ce qu'on se rappelle imagine ou prévoit. » Bien sûr cela inclut « le dit antérieur prononcé jadis ou naguère par l'analysant lui-même, ou par tel parent, partenaire, ami ou ennemi ».
Pour que cela puisse se produire, il ne lui paraît donc pas superflu d'insister sur le cadre qui doit exclure impérativement l'agir entre les deux partenaires.
C'est aussi une situation, écrit-il, qui va générer du déplaisir. J'invite le lecteur à lire (page 11-15) l'analyse très fine que fait l'auteur des figures que prend dans la séance cette dimension et sur les complicités inconscientes qui peuvent alors circuler entre l’analyste et son patient.
« Cette expérience de parole est et restera tout entière un effet de l'autre », mais la situation de l'analyse exclut précisément les conditions de réciprocité d'un dialogue réel, c’est-à-dire la symétrie conversationnelle, puisqu'il ne s'agit jamais que du « dire analysant » et de son interprétation éventuelle, quels que soient les effets de contre-transfert que ce dire suscite. Maurice Dayan nous fait remarquer que « le dire de l'autre, dès lors qu'il n'est pas jugé insignifiant en raison de son contenu ou selon la manière défensive dont on peut l'entendre, modifie imperceptiblement l'écoute, sinon la façon coutumière de se penser soi-même en tant qu'agent de cette pratique » analytique. Le dire de l'analysant va le confronter au gouvernement de sa parole par l'inconnu.
L'auteur souligne qu'au lieu du devenir dicible, qui seul correspond en rigueur à la pratique de l'écoute d'un autre disant, Freud a énoncé le postulat d'un devenir-conscient (Bewusstwerden). « Différence fort significative car ce dernier est un processus interne non référé comme tel au langage au sein duquel se déroule l'analyse (ainsi que toute interlocution qu'elle soit ou non « asymétrique »). » Bien évidemment ce devenir conscient inclut les dimensions émotionnelles et corporelles qui vont s'en trouver affectées et remaniées.
M. Dayan s'interroge ensuite à travers quelques exemples et une réflexion clinique qu'il avait déjà amorcée dans des textes précédents sur « ce que fait le dire dans un devenir singulier ».
« Ce devenir psychique, c'est ce dont nul ne décide. Ce qu'induit le dire, dans le procès incessant qui déporte l'être parlant, ce sont des inflexions de ce devenir même, dont on ne sort jamais qu'au gré du fantasme – et non des modifications d'un sujet substantiel qui tel qu'en lui-même se maintiendrait. C'est ainsi qu'on peut penser tant les mises en demeure paralysantes, signifiées par les traumas précoces, que la fécondité de certaines reprises par les actes d'interprétation ».
Un texte dense à l'écriture serrée, peut être parfois inutilement sophistiquée, mais qui en échange nous amène à réfléchir à notre pratique et à interroger les fondamentaux. Une réflexion à méditer ...