L'enfant cristallise leurs tourments

Pourquoi aller consulter un psychanalyste alors que la psychanalyse est actuellement déconsidérée face à la multiplicité de traitements pharmaceutiques, comportementalistes, beaucoup plus « scientifiques », supposés plus rapides et plus efficaces ? Que se passe-t-il dans cet échange de paroles, dans cette rencontre ? Peut-on sérieusement penser que la parole soigne ? Et que soigne-t-elle ?

C’est ainsi que s’ouvre le livre de Philippe de Georges qui s’attache à montrer ou plutôt à faire entendre dans le récit de trois cures de ce qu’il appelle des « mères douloureuses », bien au-delà des « vignettes cliniques » habituelles, la portée de la rencontre avec soi-même que permet un travail analytique.

Les trois mères dont il est ici question, ces trois analysantes « ont en commun que leur principal embarras, leur principal objet de plainte concerne leur enfant. » Dépression, relations difficiles à un fils ou une fille, autour desquelles se concentre leur mal à vivre, leur détresse, leur souffrance fondamentale. L’objet support de cette souffrance n’est évidemment pas quelconque et est propre à provoquer angoisse, culpabilité, à mobiliser toutes leurs forces psychiques au point, plutôt que de renoncer et de se poser en victimes, d’aller interroger : « Où suis-je et que suis-je dans ‘ce qui m’arrive’ » Question bien sûr fondamentale pour entamer ce cheminement psychanalytique.

Ces paroles, ces silences, que celui qui les écoute entend comme lui étant adressées, entraînent chez celui-ci qui les écoute un cheminement, des « pensées » bien souvent associatives, des réflexions voire des constructions. C’est à partir de cet ensemble et des « quelques notes prises au débotté, parfois sans queue ni tête » que sont rédigés ces trois récits de cures (et non pas de « cas ») et c’est ce qui fait la richesse assez rare ce que l’auteur appelle « ce petit livre », qui n’est pas un « livre de savant » mais un livre de clinicien.

Si on y entend beaucoup de ce qui anime un travail de cure psychanalytique, pour l’auteur ceci s’accompagne d’une réflexion sur la fonction, plutôt que sur le « métier », qu’il exerce. En effet, écrit-il en conclusion, « en écoutant chaque sujet nous n’apprenons rien sur la machine humaine, mais beaucoup sur les ressorts de l’existence ». Car si « les questions qu’on pose en analyse sont en fin de compte celles de tout sujet parlant, les réponses qui s’y élaborent ne valent que pour celui qui les produit… et n’ont de vraie portée que pour celui-là et pour nul autre. » Le sujet n’y parle pas pour le compte de l’Humanité, avec une majuscule, mais au nom de l’Humanité qui est la sienne. »

D’où la conclusion finale, essentielle à rappeler : « L’analyse est la place ouverte où peut se déployer ce je-ne-sais-quoi insaisissable et rebelle que certains ont nommé liberté. »

Françoise Petitot

Comments (1)

Ce livre fait exception.

D’abord parce que le psychanalyste qui l’a écrit s’adresse à un bien plus large cercle que celui de ses pairs, ensuite parce qu’il est aussi un écrivain et un grand lecteur des poètes, ce qui se vérifie bien au-delà des citations.

La psychanalyse est de plus en plus vilipendée par toute une cohorte d’évaluateurs, d’administrateurs et autres ministres, de prétendus neuro-scientifiques, épris de chimie, de chiffres, de vitesse et de chiromancie ; Philippe De Georges leur répond de la plus belle des manières en faisant pénétrer son lecteur non pas dans les misérables et croustillants secrets du divan mais en présentant des personnes en train de s’analyser, d’autant plus vraies et comprises de nous que le travail de la fiction est annoncé d’emblée, dès les trois titres : La mendiante et le grain de blé, La fiancée du Pharaon et La Joconde et Lilith ; Philippe De Georges ne nous raconte pourtant pas d’histoires, comme Lacan il dit la vérité, celle qu’on ne peut dire toute et qui ne connaît pas d’arrêt.

De Breton à Prigent, beaucoup de poètes ont lu les psychanalystes, voici maintenant des écrits de psychanalystes qui lisent Breton et Prigent, les poètes et les autres feraient bien de les lire aussi.

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