Battements entre aphasie et autisme
Voix psychanalytiques

« Hors la voix ; Battements entre aphasie et autisme »
de Serge Hajlblum

Partout le regard est sollicité, promu et enfin requis, en une société de contrôle et de main mise sur les corps.
Hajlblum rappelle que « seul le retour de la voix sur une telle scène de la représentation peut donner lieu à une manière de faire avec l’humain . C’est ce tournant là qui a fait la psychanalyse et qu’il est nécessaire de soutenir encore et encore ».

Et c’est exactement ce tournant qui changent “les lignes” de notre entendement que Serge Hajlbum nous donne à lire dans son livre puisque il sait bien que la place de la psychanalyse (dans ses théories et encore plus dans sa pratique) n’est jamais donnée ou acquise. Depuis les commencements de Freud, voilà qui n’a jamais été peut-être plus vrai qu’aujourd’hui.

On voyage dans « Hors la voix ». On voyage dans les langues, dans le temps de cette vieille Europe de l’entre deux siècles, et pour s’y retrouver dans des boucles de tracés de voix perdues et retrouvées. L’auteur ne recule devant rien. Il n’hésite pas même à nous donner à voir et à lire de vieilles cartes géographiques de cette mitteleuropa qui courait jusqu’au fin fond de la Galicie orientale des parents de Freud, histoire de restituer le grain de voix d’un certain Léo Kanner, le « père » de l’autisme.

Des “autistes”, on en rencontre dans le livre (Véra l’emmurée, la petite Sophie, Adrien…), ils font du « bruit » et à eux aussi, il s’agissait alors de rendre voix aux bruits qui les emprisonnaient. Hajlblum tient que les aphasiques posent crûment la question de la voix. L’auteur va jusqu’à écrire ceci qui mérite d’être médité, avant même de pouvoir en disputer avec lui : « je pose que l’autisme est cette matière d’humain de faire de la voix question d’objet. »
Question la plus difficile et la plus décisive qui soit pour le psychanalyste, et que Serge Hajlblum réinscrit fortement dans la genèse freudienne de l’inconscient, avec les démêlés, vers la fin du siècle dix neuf, autour de Broca, Trousseau, sur la question de l’aphasie, puis Freud découvrant, par le truchement de Charcot, ce que parler veut dire de l’inconscient lorsqu’un corps se met au diapason d’amour avec la voix de son maître…

Hajlblum donne de la voix. Il en donne une idée qui se forme en s’élaborant en une traversée de ce que Freud, aussi bien que Lacan, en avaient laissé en friche. De « débris » et de « bruisures », il construit son objet qui prend corps de voix en ce beau livre de psychanalyse : Hors la voix
Jean-Jacques Blévis

Édité chez Liber, collection Voix psychanalytiques, Montréal, 2006,
Je renvoie ici, pour le mieux, au très beau roman de Per Olov Enquist, Blanche et Marie (Actes Sud), qu’on lira avec bonheur de conserve avec le livre d’Hajlbum).