Il existe plusieurs catégories de promeneurs et de multiples façons de se promener, Solitaire ou à plusieurs, nocturne ou diurne, promenade amoureuse ou familiale chacune a son charme. Enclins à l’insomnie, certains choisissent de parcourir les rues endormies de la ville, à la recherche d’une issue à leur vie qu’il s’agisse de la perdre ou de la trouver. La marche peut être rapide et angoissée, confiner à l’errance ou être calme et paisible. Elle s’accompagne le plus souvent d’un mouvement de la pensée, dialogue intérieur qui peut évoquer l’association libre. Partir en promenade, fut-ce sur des chemins balisés, c’est toujours partir à l’aventure, chercher plus ou moins volontairement à se perdre pour avoir le plaisir de la crainte : angoisse de la nuit qui vient avec ses mystères, du croisement incertain, du village en vue, mais encore lointain et qui ne dit pas son nom, de la rencontre soudaine avec l’inconnu homme ou bête. Freud on le sait était un marcheur infatigable. Je me souviens avec une certaine émotion avoir parcouru dans les Dolomites tel chemin bien nommé chemin de Freud, car parcouru par lui un demi-siècle auparavant.

Parmi toutes ces formes de promenades, il en est une qui a tout son prix, celle ou aucune espèce de performance n’est en vue, mais seulement le plaisir de la marche en compagnie. C’est bien moins le paysage si beau soit-il qui en fait le prix, mais le plaisir de la conversation. Avec toujours une certaine appréhension, car le charme est lié à l’incertain qui suppose la crainte du silence. Mais c’est cette même crainte qui provoque la parole. La promenade s’apparente ainsi paradoxalement à une prise d’alcool ou de drogue dont on sait que leur première fonction est de désinhibition et d’apaisement de la sensation de vide que suscite le désarroi de la rencontre avec l’autre et avec soi-même.

Ce plaisir de la conversation en marchant est-il encore de mise aujourd’hui ? Je le crois tant la mode du trekking fait partie des activités de nos contemporains- L’exotisme fait alors prétexte à la rencontre, moins avec l’autochtone, la barrière de la langue fait obstacle a la rencontre- qu’avec son compagnon de route.

Miguel de Azambuja est un compagnon de promenade comme on aime à en rencontrer. Partir avec lui, c’est rompre la monotonie, du quotidien, un pied en l’air l’autre sur la terre : pas d’autre façon de marcher depuis la nuit des temps. Fragile équilibre de la vie, incertitude du présent comme de l’avenir, fantômes du passé qui resurgissent, souvenirs de l’enfance, lectures, scènes de théâtre ou de cinéma. L’homme est cultivé, d’une culture plaisante, qui invite la pensée vers l’élan dont elle a besoin pour s’élever et devenir soudain légère. Une nécessaire déliaison, qui s’avère être l’un des bénéfices que l’on peut légitimement attendre et obtenir d’une analyse.

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Véritable coup de coeur que ce petit ouvrage de Miguel De Azambuja, psychanalyste originaire du Pérou, membre du comité de rédaction de la revue Penser/rêver, il nous parle de la légèreté aussi bien que de la gravité, de la chute mais aussi de l'envol, il nous invite à la promenade, avec de belles références littéraires, mythologiques, tels des flâneurs se promenant au fil des pages avec lui, telle la vie aux pieds légers, "Parfois, l'on s'éloigne du sol en croyant éviter la chute, et l'on enjambe la vie comme Freud les marches de l'escalier dans son célèbre rêve..." amenant le lecteur vers moult associations, tout comme cette très jolie formule "Navigare necesse est, vivere non necesse" citée par Freud dont l'auteur et Pompée ("qui s'adresse à ses marins, réticents à prendre la mer à cause de vents violents, et la transformer, la rendre moins définitive, la convaincre d'accepter la complexité de nos vies, et réussir ainsi à naviguer, et à vivre"). Des références également cinématographiques à Chaplin... avec "le rire est ami de la légèreté ou plutôt il la suscite, la rend possible" !!
Miguel De Azambuja a sû par de belles associations possibles, mêler la culture de l'esprit qui libère, à celle qui peut également rendre plus léger, la démarche de la cure analytique.

Florence Zinck

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