The House that Jack Built de Lars Von Trier par Luis Eduardo Prado de Oliveira

the house lars von trier

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The House that Jack Built

film danois de Lars Von Trier

 

Luiz Eduardo Prado

 

Dimanche après-midi paresseux, une envie d’aller au cinéma me prend. Feuilletant un magazine, le titre m’accroche. The House that Jack Built. Peut-être La ferme à Maturin en français ? En anglais, cela se dit « a nursery rhyme with a cumulative tale » ; en français, « une chanson à récapitulation ». Elles m’ont toujours laissé émerveillé. Je retiens aussi le nom de l’auteur Lars Von Trier. Je me souviens encore de son Elements of Crime, cet impressionnant et magnifique film d’un policier en psychanalyse, pourrait-on dire. Au tout début du film, souffrant de maux de tête, un homme cherche un analyste au Caire. Nous entendons au loin, le chant de l’appel à la prière. Le psychanalyste propose une cure sous hypnose. Et c’est parti pour les souvenirs et la recherche du criminel, entremêlés avec une réflexion sur la structure des romans policiers.

La chronique que je lis écrit : « En parallèle au récit de ses atrocités, l’homme converse avec un homme à la voix envoûtante, qui reste longtemps invisible. Cette sorte de confesseur, comme il y avait déjà un dans Nymphomaniac, l’écoute, réagit parfois, réfutant ses délires… » (Hélène Marzolf, Télérama, n° 3588). Mais, pourquoi n’ose-t-elle pas dire — psychanalyste ? Il y avait déjà un dans Nymphomaniac, dans Elements of Crime… Lars Von Trier est un cinéaste qui s’intéresse de près et constamment à la psychanalyse. Et c’est parti pour ma séance de cinéma du dimanche après-midi.

Dans la maison que Jack a faite, The House that Jack Built, il y avait une souris, un chat, un chien, une vache; et ainsi de suite jusqu’à ce que… Dans ma version d’un enfant, j’avais ajouté « il y avait un arbre qu’on abattit pour faire le cercueil de Jack. » Je me souviens encore d’avoir été très surpris d’ajouter cette fin.

The House that Jack Built est une comptine anglaise cumulative qui date du milieu du 16ème siècle. Cherrington Manor, dans le Shropshire, Angleterre, est considérée comme la maison que Jack construisit et où la comptine prit son origine. Coleridge, en 1797, a été le premier à utiliser cette source pour en faire un de ses poèmes et jusqu’au roman 1984, d’Orwell, et au-delà elle inspira et inspire régulièrement les écrivains. En 1968, la grande Aretha Franklin la rendit célèbre avec sa chanson homonyme, alors que les Go-Betweens la reprenaient dans leur The House that Jack Kerouac built. Tout ça, j’ai découvert en cherchant dans la version anglaise de Wikipédia, parfois en français aussi. Il n’est pas étonnant que je n’aie jamais oublié ma comptine d’enfant.

Il convient de taper « en:wiki:“un titre” » pour accéder directement à la page en anglais. Wikipédia en anglais m’apprend encore que The House that Jack Built, la comptine elle-même, possède une carrière cinématographique et que Lars Von Trier l’avait déjà utilisé dans Elements of Crime, où une prostituée la chantonnait à une petite fille. Quand le metteur en scène la reprend dans son film actuel, il ne fait qu’élargir le cadre de son propos. Dans Elements of Crime, l’analyse sert à la découverte par le détective qu’il est, lui-même, le criminel. C’est le schéma classique, depuis Œdipe. Dans The House that Jack Built le criminel serait venu en analyse pour se soulager de ses crimes ? Pas si vite, Prado.

Le criminel raconte un premier crime, presque drolatique, tellement la femme le provoque, c’est d’ailleurs dans toutes les présentations du film. Quand ses provocations deviennent franchement offensives, il l’a tue. À partir de là, homme à la voix envoûtante intervient. Est-ce que chaque meurtre est une réponse de Jack par la provocation aux questions de la voix envoûtante, à ses incitations à l’association libre ? En tout cas, Jack se souvient.

Enfant, il était assez impressionné par le maniement des faucilles des agriculteurs. Cela l’excitait. D’une excitation apathique, il coupe les pattes d’un caneton. Il a commis d’autres crimes. Il les associe à des œuvres d’art. Peut-être Le Faucheur, de Van Gogh ? Il a commis aussi d’autres crimes. D’abord, une ménagère anodine récemment veuve. Puis, une maîtresse, et encore une petite vieille au bord de la route. Des meurtres gratuits. « Rien d’important, des pauvres hères », lui fait remarquer la voix, ou quelque chose du genre. « Si », une famille entière. Il y a finalement une logique dans les meurtres. Obéissent-il à une déconstruction de notre complexe d’Œdipe jusqu’à nos objets partiels, jusqu’à l’objet « a » ? Ce qui amène au crime peut tout aussi bien amener à la création artistique ou aux spéculations philosophiques, Jack ne manque pas de l’expliquer à l’homme invisible. Les faucheurs de son enfance garderaient-ils un lien avec Le faucheur de Van Gogh ? Garde-t-il le secret du film, qui, de ce tableau, écrit à un proche : « J´y vis alors dans ce faucheur […] j´y vis alors l´image de la mort, dans ce sens que l´humanité serait le blé qu´on fauche. C´est donc, si tu veux, l´opposition de ce semeur que j´avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d´une lumière d´or fin ... C´est une image de la mort telle que nous en parle le grand livre de la nature, mais ce que j´ai cherché c´est le presque en souriant. »

Mais cherche Jack un noyau de ses crimes, d’où jaillirait cette passion meurtrière ? Nous le verrons. Auparavant c’étaient plutôt des figures ménagères, maintenant c’est sa maîtresse, l’actrice nord-américaine toute en miel, the American Honey Princess, disent les critiques nord-américains, il s’attaque à des parties de son corps. Il la castre, à vrai dire. Tout en se plaignant d’être un mâle malmené, victime des injustices du temps, il pourrait être Trump. Puis, il tue une famille, il s’essaye à tuer la communauté des hommes, tue-t-il des tueurs ? Est-ce enfin le célèbre « meurtre du père » après celui des mères ?

Mais maintenant le supposé analyste sort de sa position. L’homme à la voix envoûtante n’en peut plus. Il cède la place au pasteur, au prêtre, guide de Jack dans leur visite aux enfers. Un analyste ne supporte pas tout, ni n’a à le faire. Parfois, il est amené à sortir de sa position. Pasteur, le film s’inspire de L’Enfer de Dante. Et Jack, qui n’a jamais construit sa maison, y trouve sa fin.

Ce film a eu des critiques passionnées, comme Nymphomaniac et tant d’autres films de Lars Von Triers. Entre encensement et exécration, est-ce que la psychanalyse y trouve sa place ? Ou est-ce qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark depuis Hamlet, au moins, et que l’analyse n’y peut rien ? Âmes délicates, s’abstenir.

The House that Jack Built

film danois de Lars Von Trier

 

Luiz Eduardo Prado

 

Dimanche après-midi paresseux, une envie d’aller au cinéma me prend. Feuilletant un magazine, le titre m’accroche. The House that Jack Built. Peut-être La ferme à Maturin en français ? En anglais, cela se dit « a nursery rhyme with a cumulative tale » ; en français, « une chanson à récapitulation ». Elles m’ont toujours laissé émerveillé. Je retiens aussi le nom de l’auteur Lars Von Trier. Je me souviens encore de son Elements of Crime, cet impressionnant et magnifique film d’un policier en psychanalyse, pourrait-on dire. Au tout début du film, souffrant de maux de tête, un homme cherche un analyste au Caire. Nous entendons au loin, le chant de l’appel à la prière. Le psychanalyste propose une cure sous hypnose. Et c’est parti pour les souvenirs et la recherche du criminel, entremêlés avec une réflexion sur la structure des romans policiers.

La chronique que je lis écrit : « En parallèle au récit de ses atrocités, l’homme converse avec un homme à la voix envoûtante, qui reste longtemps invisible. Cette sorte de confesseur, comme il y avait déjà un dans Nymphomaniac, l’écoute, réagit parfois, réfutant ses délires… » (Hélène Marzolf, Télérama, n° 3588). Mais, pourquoi n’ose-t-elle pas dire — psychanalyste ? Il y avait déjà un dans Nymphomaniac, dans Elements of Crime… Lars Von Trier est un cinéaste qui s’intéresse de près et constamment à la psychanalyse. Et c’est parti pour ma séance de cinéma du dimanche après-midi.

Dans la maison que Jack a faite, The House that Jack Built, il y avait une souris, un chat, un chien, une vache; et ainsi de suite jusqu’à ce que… Dans ma version d’un enfant, j’avais ajouté « il y avait un arbre qu’on abattit pour faire le cercueil de Jack. » Je me souviens encore d’avoir été très surpris d’ajouter cette fin.

The House that Jack Built est une comptine anglaise cumulative qui date du milieu du 16ème siècle. Cherrington Manor, dans le Shropshire, Angleterre, est considérée comme la maison que Jack construisit et où la comptine prit son origine. Coleridge, en 1797, a été le premier à utiliser cette source pour en faire un de ses poèmes et jusqu’au roman 1984, d’Orwell, et au-delà elle inspira et inspire régulièrement les écrivains. En 1968, la grande Aretha Franklin la rendit célèbre avec sa chanson homonyme, alors que les Go-Betweens la reprenaient dans leur The House that Jack Kerouac built. Tout ça, j’ai découvert en cherchant dans la version anglaise de Wikipédia, parfois en français aussi. Il n’est pas étonnant que je n’aie jamais oublié ma comptine d’enfant.

Il convient de taper « en:wiki:“un titre” » pour accéder directement à la page en anglais. Wikipédia en anglais m’apprend encore que The House that Jack Built, la comptine elle-même, possède une carrière cinématographique et que Lars Von Trier l’avait déjà utilisé dans Elements of Crime, où une prostituée la chantonnait à une petite fille. Quand le metteur en scène la reprend dans son film actuel, il ne fait qu’élargir le cadre de son propos. Dans Elements of Crime, l’analyse sert à la découverte par le détective qu’il est, lui-même, le criminel. C’est le schéma classique, depuis Œdipe. Dans The House that Jack Built le criminel serait venu en analyse pour se soulager de ses crimes ? Pas si vite, Prado.

Le criminel raconte un premier crime, presque drolatique, tellement la femme le provoque, c’est d’ailleurs dans toutes les présentations du film. Quand ses provocations deviennent franchement offensives, il l’a tue. À partir de là, homme à la voix envoûtante intervient. Est-ce que chaque meurtre est une réponse de Jack par la provocation aux questions de la voix envoûtante, à ses incitations à l’association libre ? En tout cas, Jack se souvient.

Enfant, il était assez impressionné par le maniement des faucilles des agriculteurs. Cela l’excitait. D’une excitation apathique, il coupe les pattes d’un caneton. Il a commis d’autres crimes. Il les associe à des œuvres d’art. Peut-être Le Faucheur, de Van Gogh ? Il a commis aussi d’autres crimes. D’abord, une ménagère anodine récemment veuve. Puis, une maîtresse, et encore une petite vieille au bord de la route. Des meurtres gratuits. « Rien d’important, des pauvres hères », lui fait remarquer la voix, ou quelque chose du genre. « Si », une famille entière. Il y a finalement une logique dans les meurtres. Obéissent-il à une déconstruction de notre complexe d’Œdipe jusqu’à nos objets partiels, jusqu’à l’objet « a » ? Ce qui amène au crime peut tout aussi bien amener à la création artistique ou aux spéculations philosophiques, Jack ne manque pas de l’expliquer à l’homme invisible. Les faucheurs de son enfance garderaient-ils un lien avec Le faucheur de Van Gogh ? Garde-t-il le secret du film, qui, de ce tableau, écrit à un proche : « J´y vis alors dans ce faucheur […] j´y vis alors l´image de la mort, dans ce sens que l´humanité serait le blé qu´on fauche. C´est donc, si tu veux, l´opposition de ce semeur que j´avais essayé auparavant. Mais dans cette mort rien de triste, cela se passe en pleine lumière avec un soleil qui inonde tout d´une lumière d´or fin ... C´est une image de la mort telle que nous en parle le grand livre de la nature, mais ce que j´ai cherché c´est le presque en souriant. »

Mais cherche Jack un noyau de ses crimes, d’où jaillirait cette passion meurtrière ? Nous le verrons. Auparavant c’étaient plutôt des figures ménagères, maintenant c’est sa maîtresse, l’actrice nord-américaine toute en miel, the American Honey Princess, disent les critiques nord-américains, il s’attaque à des parties de son corps. Il la castre, à vrai dire. Tout en se plaignant d’être un mâle malmené, victime des injustices du temps, il pourrait être Trump. Puis, il tue une famille, il s’essaye à tuer la communauté des hommes, tue-t-il des tueurs ? Est-ce enfin le célèbre « meurtre du père » après celui des mères ?

Mais maintenant le supposé analyste sort de sa position. L’homme à la voix envoûtante n’en peut plus. Il cède la place au pasteur, au prêtre, guide de Jack dans leur visite aux enfers. Un analyste ne supporte pas tout, ni n’a à le faire. Parfois, il est amené à sortir de sa position. Pasteur, le film s’inspire de L’Enfer de Dante. Et Jack, qui n’a jamais construit sa maison, y trouve sa fin.

Ce film a eu des critiques passionnées, comme Nymphomaniac et tant d’autres films de Lars Von Triers. Entre encensement et exécration, est-ce que la psychanalyse y trouve sa place ? Ou est-ce qu’il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark depuis Hamlet, au moins, et que l’analyse n’y peut rien ? Âmes délicates, s’abstenir.