Phantom Thread par Eduardo Prado de Oliveira

Phantom Thread

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Phantom Thread

film dramatique britannico-américain écrit et réalisé par

Paul Thomas Anderson

avec Daniel Day-Lewis, Vicky Krieps et Lesley Manville

 

Le fil fantôme ou le tissu fantôme, ou le fil du fantôme et même to thread the needle en tant que métaphore des rapports érotiques entre un homme et une femme, l’OED, l’Oxford English Dictionnary, permet toutes ces interprétations, richesse polysémique de la langue anglaise que nos cousins canadiens québécois restreignent, me semble-t-il, en proposant à ce film le titre Le fil caché. Ce film qui a cumulé les prix, se déroule dans le monde londonien de la haute couture au cours des années 1950. Un couturier de haut col, vivant avec sa sœur, s’ennuie avec sa femme dont il se sépare. Pour se reposer du traumatisme de cette rupture, il part à la campagne. Chemin faisant, il rencontre une autre très belle femme, serveuse dans le pub où il prend son petit-déjeuner. Diva des ciseaux, de l’aiguille et du fils, sensible, sensitif et gâté, cet homme mur va-t-il recommencer une aventure avec une jeunette belle et élégante certes, mais un peu gourde peut-être et qui ne fait pas le poids à côté de sa sœur, maîtresse de maison et gérante de ses affaires ? Allons-nous assister encore à un jeu de massacre qui témoigne de la compulsion de répétition où cet homme et son monde se sont enfermés ? C’est sans compter avec les ressources inventives de la jeune femme aux origines paysannes avec son troublant accent de l’Est européen peut-être, léger et séduisant, en vérité effrayant, ce que l’on découvrira à la fin.

Ce très beau film m’intéresse pourtant pour d’autres raisons. Mes étudiants s’arrachent les cheveux en me demandant de leur expliquer en fin de comptes et diables, par Tutati et mille sabords ce que c’est ce satané objet petit a si insaisissable. Objet du désir, certes, mais encore ? Je fais appel aux diagrammes, à la géométrie, aux équations. Je fais appel aux philosophes, à Heidegger, à Hegel, à Sartre, à Kierkegaard. Rien n’y fait. Et même pire. En m’efforçant d’essayer de leur expliquer, je perds le peu de certitude qui était la mienne à croire le comprendre.

Heureusement, Lacan a décroché plus de flèches de son carquois. Outre ses formules et chiffres, outre ses dessins et son verbe, il nous a proposé des exemples littéraires. L’objet petit a est cet obscur objet du désir et celui qui veut le comprendre peut aller voir le filme homonyme de Luis Buñuel et s’émerveiller de ses diffractions et mystères. Dans ses Séminaires, sur La relation d’objet, sur Le désir et son interprétation, sur Le Transfert, d’autres encore, Lacan puise ses exemples dans la littérature et dans le cinéma. Le personnage de Dalio, dans La Grande Illusion, de Jean Renoir, ce que Louis Massignon dit du bouddhisme, L’arrêt de mort, de Maurice Blanchot, et plus encore de cet auteur, Thomas l’Obscur. Bien que Lacan le mentionne lors de son l’évocation d’une étude de Georges Bataille, Histoire de rats, fantasme central de Marcel Proust, le tout associé à l’Homme aux rats, de Freud, Thomas l’Obscur occupe une place à part dans l’explication de l’objet petit a. Et, effectivement, à le relire, nous pouvons saisir non seulement cet objet, mais également le monde il se situe.

Et c’est ici que Phantom Thread m’intéresse au plus haut point. Le monde qu’il dépeint me semble être le même monde où baigne Thomas. Et c’est dans ce monde que l’objet petit a apparaît. D’abord comme la mystérieuse cause d’une torturante souffrance pour l’héros grand couturier, puis comme la frayeur et la reconnaissance de ce dont elle relève. Voici la description des souffrances de Thomas, que Lacan cite longuement dans la Leçon du 27 juin 1962, de son Séminaire sur L’identification : « Il tomba à terre. Il avait le sentiment d'être couvert d'impuretés. Chaque partie de son corps subissait une agonie. Sa tête était contrainte de toucher le mal, ses poumons de le respirer. Il était là sur le parquet, se tordant, puis rentrant en lui-même, puis sortant. »

Nous, spectateurs inquiets, nous restons en suspens : cet objet qui frappe ainsi notre admirable couturier serait-ce l’accent d’origine inconnue propre à la jeune femme peut-être sorcière ou encore autre chose qu’elle lui donne à manger cela oui, qui sait, véritable objet du désir, petit a hallucinogène et presque mortifère. Ainsi maintenant je peux répondre à mes étudiants. Si vous voulez non pas comprendre mais avoir une idée, lisez les exemples proposés par Lacan, davantage même que de faire attention à ses définitions. Relisez Le Banquet, surtout Thomas l’Obscur, et allez de ce pas voir Phantom Thread.

Luiz Eduardo Prado de Oliveira