La douleur

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La douleur. Film d'Emmanuel Finkiel

Quand je suis sortie de La douleur, je me suis dit que c’était un film formidable.

Ce n’est pas la douleur qui est formidable, bien sûr, c’est l’attente, la mise en scène de l’attente de quelqu’un qui, quoi qu’il en soit, ne reviendra pas, même s’il revient. Car en définitive il n’a fait que se prêter, il n’a fait qu’incarner le personnage de l’attente dans un contexte éminemment précaire, dangereux où il faut tout donner de soi en réservant l’essentiel par-devers soi.

Il m’a semblé avoir déjà vécu une situation  à certains égards comparable, quand je travaillais à l’Institut Gustave Roussy auprès des parents et de l’enfant en attente de la guérison de son cancer. J’avais appelé cela L’enfant donné pour mort. L’enfant malade même s’il guérissait n’aurait plus jamais été celui que les parents, la mère surtout, attendaient. Impossible retour à un statu quo ante qui n’est peut-être construit qu’après coup, ou dans le vif du drame. Pour eux le drame du diagnostic et, pour Duras, le drame du partage entre la collaboration et la déportation d’où de nombreux autres sont vus revenir à la gare d’Orsay et au Lutetia, sauf Lui. Ici le film dit très bien le contexte du retour, l’état de maigreur des rescapés de la Shoah et une sorte de superbe, hors de propos, chez certains militaires lors de leur retour à Paris qui se veulent légalistes alors qu’elle se trouve là sans droit.

On découvre le non-savoir collectif relatif à ce qui se passait dans les camps. Une sorte d’inimaginable dont nul, même pas les protagonistes, ne parvenait à dire quelques mots. Et puis vient une petite scène conviviale où le groupe se moque du comportement dont il vaut mieux  rire que pleurer des gaullistes revenus au pouvoir. Les errements du pouvoir, quel qu’ils soient, sont restitués par petites touches justes sans excès, conformes à l’engagement de Marguerite et de ses amis.

Peu ou pas de sexualité affichée dans ce film qui met l’accent sur l’énergie déployée dans l’attente qui, elle, est sexualisée au sens freudien du terme. Le rôle de l’amant, Dionys Mascolo, tenu par Benjamin Biolay, est sobre, mais peut-être un peu trop interprétatif. Il m’a fait penser à Rhett Butler sauvant Ashley Wilkes et le ramenant blessé à la maison comme s’il était saoul. Autant en emporte le vent ! Est-ce le sort de la douleur ? Comme si demain pouvait être vraiment un autre jour. Telle est, on s’en souvient, la phrase de la fin du livre.

Le film montre le cran de Marguerite, très bien interprétée par Mélanie Thierry. Elle est même courageuse, engagée, associée à ceux qui la soutiennent et qu’elle défend. Elle se plaît à jouer double jeu y compris celui de la séduction en y découvrant les vertus de l’alcool qui aide à vaincre la peur.  Est-ce une hypothèse interprétative du réalisateur quant à l’alcoolisme de l’auteur ?

Marguerite montre, le film montre comment elle se dédouble dans son écriture et dans sa pensée. Un procédé dont elle est coutumière, disons même maîtresse. Et puis on est frappé par sa lucidité, par le chemin où cette lucidité la mène, jusqu’à la fièvre et au délire. À côté d’elle le déni de Madame Katz, la dame réfugiée chez elle, quant à la mort de sa fille, fait tache.

L’Enfant, n’est donc pas absent du film. On l’aperçoit, dans un cauchemar de Marguerite, nimbé d’une demi-lumière non né, mort-né. L’événement participe de la douleur de l’attente, il lui est inhérent. Peut-être permet-il un peu de comprendre au nom de quoi, de qui l’aimé ne le sera plus dès lors qu’il sera « retapé » pour la vie. Ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Mais pas celui avec qui l’enfant désiré viendra.

Le réalisateur du film La Douleur est très fidèle au livre éponyme de Marguerite Duras. Même s’il ne montre pas tout ce que décrit Duras du pas-à-pas accompli pour rendre une santé à Robert Antelme. Plus que fidèle même au sens où il permet d’entrer dans les méandres de la vie intérieure de l’auteur.  Ombres et lumières apportent au film les mots qui sont sous-jacents au vécu de l’héroïne.

Danièle Brun