« Rien ne s'oppose à la nuit » de Delphine de Vigan par Florence Gautier Dalché

delphine de vigan
« Rien ne s'oppose à la nuit » si ce n'est ce livre, cette écriture, cette subjectivité assumée et nécessaire.

Delphine de Vigan « écrit sa mère » et repère précisément l'origine de cet acte symbolique, son commencement vient plus tard : elle rentre du collège et voit à travers sa fenêtre éclairée de son immeuble sa mère nue, peinte en blanc ; à proximité se trouve sa petite sœur sous l'emprise de la folie maternelle et manifestement en danger. Comme il est difficile d'admettre que son parent déraille, comme il est douloureux de penser la folie d'un très proche et comment elle vous éclabousse à votre insu.

L'auteure reconstruit une histoire familiale sur trois générations - l'enfance de sa mère, la sienne et après – sur le mode d'un récit d'une grande singularité et présence subjective, un récit entrecoupé de ses doutes sur sa démarche, sa confrontation à l'impossible vérité, la part de fiction irréductible, les effets de corps liés à cette épineuse écriture, les retentissements attendus et inattendus de cette écriture sur sa famille.

Écrire Lucile, écrire sa mère : interroger les semblants de sa famille nombreuse, de sa fratrie « éclatée », son apparente et « insoutenable légèreté », ses gaîtés, ses excès, sa démesure ; lever le rideau sur l'œdipe, l'inceste ou l'incestuel (la question demeure en suspens), les accidents tragiques, les suicides ; éprouver le poids du colmatage à l'instar de cette métaphore où l'on force une pièce rapportée à rentrer dans un puzzle peuplé de perte ; dénicher la folie, la tyrannie d'un père, d'un grand-père, dans les actes les plus anodins : autant de perspectives délicates à tenir.

Et puis il y a ce cauchemar – concomitant à l'écriture – : la grande table familial, plusieurs générations réunies, la gaîté et la légèreté au rendez-vous, une belle ambiance… Et soudain la grand-mère maternelle, prénommée Liane, pilier de cette joyeuse insouciance, prend un visage autre et assombrit sur sa petite fille Delphine et lui profère : « Ce n'est pas gentil ce que vous faites, ma reine chérie, ce n'est pas gentil. » Réveil de l'auteure.

Delphine de Vigan, à la manière d'une journaliste, recueille les témoignages de ses tantes et oncles sur sa mère, elle les auditionne : quelle enfant Lucile était ? Quels drames traversent sa jeune existence ? Quel rapport à son père, sa mère, sa fratrie ? Ses silences. Ses mots. Ses sourires. Sa beauté. Son énigme. Ses retraits. Son langage, précis et choisis. Elle lit des lettres, elle revisite ses écrits d'enfant et d'adolescente, elle retrouve des manuscrits de Lucile, elle interroge la source de sa folie en sachant qu'elle ne pourra en épuiser l'inconnu : « La difficulté que j'éprouve à raconter Lucile n'est pas si éloignée du désarroi que nous éprouvions, enfants ou adolescentes, lorsqu'elle disparaissait. Je suis dans la même position d'attente, j'ignore où elle est, ce qu'elle fabrique, cette fois encore ces heures échappent au récit et je ne peux que mesurer l'étendue de l'énigme. » Ainsi s'achève la seconde partie de l'ouvrage.

Il manque un sujet, un point de vue écrit Delphine de Vigan. Sa mère manquait de parole subjective, une parole sur la couleur de son existence vécue. Un blanc. Un mystère douloureux que l'enfant – plus tard écrivain – tente de perçer avec une grande sensibilité et pudeur.

Il faut entendre parler Delphine de Vigan sur son roman, elle reconnaît de manière fragile – au regard de son retentissement médiatique - qu'il n'est pas vain. Le doute sur l'existence de ce livre disparaît. Il a une raison d'être. « Rien ne s'oppose à la nuit » parle à d'autres, à beaucoup d'autres. Il intéresse, il évoque, il émeut, il traduit des silences, des non dits. Il s'oppose à la nuit qui éteint la parole vraie, le désir et la transmission fragile du vivant où nous devons supporter de seulement broder autour des pièces manquantes du puzzle de nos existences.

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Nous avons reçu une lecture différente d'une autre lectrice du site oedipe et de l'ouvrage de Delphine de Vigan :

Rien ne s'oppose à la nuit Entre malaise et curiosité, le livre de Delphine de Vigan ne laisse pas indifférent. Souhaitant revenir sur les pas de sa mère après son décès volontaire Delphine de Vigan ouvre les pages d'un livre noir sur une famille apparemment "idéale". Des grands parents unis et accomplis ayant "fondé" une famille nombreuse : neuf enfants, plus un je dirais. Malgré les apparences ça cloche et personne ne semble s'en émouvoir, voire s'en rendre compte! Un des fils vient à disparaître par noyade lors d'un jeu, et le voilà remplacé par un autre jeune en mal de famille. Quelle incidence aura cette "substitution" auprès de la plus fragile des frères et soeurs ? Aucune ? C'est à voir car dans les notes de cette période écrite par L, la mère de l'auteur on tombe sur ceci : "Ainsi, je découvrais confusément, malgré les explications et les dénégations, que nous étions interchangeables. Je n'ai jamais pu me convaincre par la suite du contraire, ni dans les rapports amoureux, ni dans les rapports amicaux."

Que dire de cette famille, qui affichait sur les portes de placard de la cuisine, les dates de naissance et de décès de ses membres ? Un autre se suicidera à l'âge de 28 ans, et celui que moi je nomme le "remplaçant" sera retrouvé inanimé dans son lit, un sac sur la tête ! Sans compter la soeur aînée dont le projet était d'en finir avant cinquante ans, mais qui selon ses dires s'est fait "voler la vedette" par L L et l'auteur Par curiosité, je suis allée fouiner dans les archives de l'INA dont nous parle l'auteur. J'ai retrouvé l'émission dont il est question. On pénètre au coeur de cette famille... parfaite ?.....On y voit l'auteur fillette et sa mère, je me permet de les mettre là, c'est une capture d'écran.

La souffrance de L est-elle invisible aux yeux de sa mère Liane, L qui écrit dans ses notes.....et sur son père "Il m'a violée pendant mon sommeil, j'avais seize ans, je l'ai dit" Ce "je l'ai dit", posé là a valeur d'un "c'est dit" maintenant, car jamais cela n'a été évoqué dans cette famille tellement "bien sous tout rapport". Fantasme ou réalité ? Ce père-grand-père est quand même décrit à plusieurs reprises comme ayant des préférences incestueuses, la mère-grand-mère quant à elle, femme joviale, pleine d'énergie, sportive, active, ne voyant rien ou ne voulant rien voir.

Plus tard, L sera internée a plusieurs reprises en HP, de bouffées délirantes en boufféés délirantes puis le répit viendra, plus tard, après maintes péripéties, maintes sorties de l'eau et maintes rechutes, tout cela au détriment de ses deux filles, l'auteur et sa soeur. Tout est dans la première partie du livre, la seconde et la troisième nous décrivent la chute de Lucile dans la maladie, la folie, dont elle pourra rebondir et tenir pendant 15 ans, avant d'être frappée d'un cancer qu'elle ne supportera pas. Cet ouvrage est très descriptif, DDV bien que proche de son personnage reste assez distante, elle n'est pas glaciale, mais nous écrit en tant qu'observatrice de sa mère, peu de pathos. Nous lisons cela un peu comme un "cas clinique" très détaillé. L'auteur se défend comme elle peut. Une crainte est que la répétition des malheurs (tante cyclothymique, nombreux suicides, hommes incestueux) ne fassent trop longtemps de l'ombre à Delphine de Vigan. Je ne vois pas ce qu'elle a pu trouver à faire de cet écrit très personnel un écrit public. Ce livre méritait-il un prix ? je ne le crois pas. Je ne relis pas ce que j'écris. Je crois qu'il y aurait beaucoup à dire sur cet ouvrage, sinon à taire.

Françoise Morin