Falstafe

Falstafe de Valère Novarina d'après Shakespeare

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Quartett

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Texte français Jean Jourdheuil, Béatrice Peu-égaux (© Éditions de Minuit) , lumière Sébastien Michaud, costumes Nathalie Trouvé collaboration artistique Stéphane Facco, conseils dramaturgiques Irène Bonnaud mise en scène Célie Pauthe scénographie...

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Texte Valère Novarina Mise en scène Claude Buchvald Salle Jean Vilar 12 mars au 5 avril 08 20h / dimanche 14h30 / relâche lundi durée 2h40 avec entracte THÉÂTRE avec Jacques Bailliart, Marie Ballet, Didier Dugast, Jean-Christophe Folly, Mathieu Genet, Régis Kermorvant, Jean-François La Bouverie, Nelson-Rafaëll Madel, Olivier Martin-Salvan, Claude Merlin, Gilles Privat, Bastien Thelliez, Loïc Venon, Christine Vézinet Création sonore et musicale Blaise Merlin Scénographie Yves Collet assisté de Mathieu Bianchi Lumière Marc Delamézière assisté de Eric Gaulupeau Costumes Corine Petitpierre Assistante

Valère Novarina a écrit Falstafe en 1975 à partir des première et deuxième parties d’Henri IV. Cela fait déjà plusieurs années que Claude Buchvald s’emploie avec succès à faire entendre le style inimitable de l’écrivain Novarina, L’Opérette imaginaire, etc. Son goût pour les acrobaties verbales et les débordements de la langue l’a aussi conduite à porter au théâtre l’œuvre de Rabelais. Voilà à présent qu’elle se penche sur un autre versant moins connu du travail de Valère Novarina avec cette version d’un grand classique du théâtre, rendue dans une écriture redoutablement charnelle. Économie de la langue, vivacité du trait, puissance organique de la phrase, Falstafe selon Novarina a tout pour enchanter par sa faconde heureuse qui renoue à sa manière avec l’esprit élisabéthain. La pièce s’ouvre sur un cercueil que l’on traîne. C’est celui du souverain déchu Richard II qui vient d’être assassiné et que l’on présente au roi Henri IV d’Angleterre. Il ne l’aimait guère, mais en veut aussitôt à l’assassin qui n’avait fait pourtant qu’obéir à ses ordres : « Quand il vivait, je souhaitais sa mort ; assassiné je l’aime, et déteste son meurtrier ». Comme quoi, il faut se méfier des caprices des puissants. Cependant, il y en a un qui ne se méfie pas dans cette histoire, c’est son fils, le jeune prince Henri, héritier de la couronne. Les affaires du royaume ne le préoccupent guère, il préfère prendre du bon temps attablé dans des tavernes en compagnie du vieux brigand qu’est Falstafe ainsi que de toute une bande de joyeux filous prompts à trousser le jupon et à délester les étourdis de leurs économies. Cette ambiance enjouée et insouciante ne saurait cependant occulter les enjeux autrement sérieux du pouvoir. Car tout cela se déroule quand même sur fond d’assassinat et de luttes sanglantes. Voilà en tout cas une bonne occasion d’apprécier Shakespeare sous son aspect le plus truculent. HLT

«  Falstafe, d’après Henri IV de Shakespeare au Palais de Chaillot. »

Un spectacle rutilant de mille couleurs se donne dans la salle Jean Vilar du Palais de Chaillot jusqu’au 5 avril.

Il y a la truculence de Shakespeare qui s’est amusé à montrer deux intrigues complémentaires. D’une part, le triste roi usurpateur, Henri IV, rival factieux de la lignée des Plantagenêt, responsable de la éposition du souverain légitime Richard II, et commanditaire implicite de sa mort. D’autre part, la kermesse insouciante où le jeune dauphin, Henry dit Prince Hal, passe ses nuits à festoyer dans les tavernes avec un grand enfant, Falstaff, géant des beuveries, banquets et compagnies galantes, insouciant des carillons de minuit qui tentent de lui rappeler que c’est l’heure de dormir.

Il y a la petite musique de Shakespeare qui monere combien cette adolescence turbulente est un moyen pour le Prince de s’échapper de la condition royale, bâtie sur des violences et des massacres, figeant son père dans une culpabilité perpétuelle, ranimée sans cesse par les trahisons en série de tous ses anciens complices, Ecossais, Gallois et autres anciens comploteurs associés au roi actuel.

Il y a le texte traduit, adapté et réécrit de Valère Novarina, qui a produitnun bel hommage à Shakespeare en transposant sans complexe, la verdeur de l’anglais du seizième siècle en français d’aujourd’hui, orné de toutes les facettes de notre langue. Valère signalait dans un débat au colloque de la Société Française Shakespeare combien il regrettait la tendance des traducteurs à écrire , non pas en «  français » mais en «  théâtrais », se croyant obligés de garder un maniérisme ampoulé.aIci, on est transporté par la fraîcheur du texte, pétillant d’esprit, rimant d’intelligence, malicieux d’insolence, retrouvant la verve d’Alphonse Boudard, de Blaise Cendrars et de François Villon. Par exemple, le célèbre monologue de Falstaff sur «  l’honneur » comme justification malhonnête de la «  chair à canon », trouve ici des accents rappelant Raymond Devos :

«  L’honneur, je me bats pour l’honneur ! Si tu « laisses une patte, l’honneur te le rendra ? Non. ( …) L’honneur est-il médecin ? Non. Bon chirurgien ? Non. Alors à quoi sert l’honneur ? A rien. Qu’est-ce-que l’honneur ? Un mot. Quoi dans ce mot ? Du vent. »

Valère Novarina utilise toute la palette de notre langue pour nuancer, souligner, chuchoter, résonner en raisonnant tous les paradoxes de la vie civile et militaire que les adolescents découvrent devant une prnte de bière.

La mise en scène de la jeune Claude Buchwald, enseignante à l’Université Paris VIII Saint-Denis, est triomphante de modestie. Elle souligne combien son travail avec l’auteur de l’adaptation et la troupe a été de s’immerger de plus en plus dans la futaie du texte, pour que ce parcours les amène à traduire le plus fidèlement et le plus simplement possible les trésors cachés de cette écriture, se gardanu de toute interprétation préalable ou systématique, obéissant aux beautés que le travail collectif sur le texte révélait peu à peu ; ensuite la troupe se lançait pour partager ce jeu avec le public de la grande salle de Chaillot ; cette mise en scène est sans cesse en ricochet avec le public, à son écoute, à son oreille, à son côté. Tout naturellement, les moments comiques amènent des scènes du cinéma burlesque, les grandes tirades srnt chantées sur la table, les braves soldats tremblant de peur sont en livrée brechtienne ou beckettienne, tandis que les deux princes ennemis, les deux Henry sont, selon le point de vue de Valère Novarina, des jumeaux dont la cruauté de l’histoire forcera l’un à détruire la jeunesse » de l’autre ;

Le rôle- titre est joué par Gilles Privat, pétri de gentillesse comme le jouait Jacques Fabbri, nonchalant, circulaire, aissant toujours dans ses silences ou ses dérobades apparaître derrière le burlesque, la nostalgie de l’âge, du déclin et de la vanité des honneurs et des amitiés. Le Prince ( Mathieu Genet) a déjà la stature de Henri V, le vainqueur d’Azincourt, de la «  band of brothers » qu’il mènera à la victoire après avoir circulé incognito dans le campement la veille de la bataille ; il assume sa turbulente jeunesse comme une école de lucidité. Lt roi ( Jacques Baillart) est un contrepoint permanent de rédemption impossible, ordonnant en vain à tous de le suivre dans sa marche lugubre, ne se réveillant de cette méditation que lorsque son fils lui a volé sa couronne sur son lit de mort, avant que ce soit fini. Peut-être pourrait-on voir là un signifiant oedipien, je ne sais, restons prudent. Enfin, Claude Merlin campe un juge qui regrette son adolescence trep sage et voudrait que Falstaff le reconnaisse comme un des joyeux lurons d’autrefois. Leur dialogue est des plus savoureux.

On retient de ce spectacle des images nostalgiques, des silhouettes se fondant dans les brumes du passé et puis , une fois encore, ce nom que Valère Novarina a trouvé, écrit naïvement sur une gravure de l’époque, «  Falstafe ». Il a voulu conserver ce nom atypique pour montrer la cascade dr traductions et de trouvailles que la chaîne des créateurs produit pour nous sur la scène, en nous donnant envie de la poursuivre à notre tour.

Yves THORET

thoret.yves@wanadoo.fr