Décès de Liliane Abensour

La Société Psychanalytique de Paris
a la profonde tristesse de vous annoncer le décès de
Liliane Abensour
survenu le Vendredi 19 Août 2011 à Paris.
Liliane Abensour était membre titulaire formateur de la SPP.
Très engagée dans la vie scientifique et dans la formation, elle a assurée d’importantes responsabilités institutionnelles
Sa sensibilité clinique et sa culture ont marquées ses travaux et publications.
Les membres de la SPP s’associent à la peine de sa famille et de ses proches.
Société Psychanalytique de Paris
187 Rue St Jacques, 75005 Paris
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Liliane Abensour

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Hommage à Liliane Abensour

Alain Fine, Eléana Mylona, Georges Pragier

Alain Fine. Président de la SPP 2002 – 2004
Bernard Chervet, Président actuel de la SPP m’a demandé dans une certaine urgence d’écrire un hommage à notre collègue et amie Liliane Abensour décédée le 19 août 2011. C’est avec émotion et honneur que j’ai accepté.
Membre titulaire formateur de la SPP, Liliane avait travaillé au centre Evelyne et Jean Kestemberg (CEJK) ASM 13 et s’y était particulièrement investi. Aussi ai-je demandé à une analyste du Centre, Eléana Mylona, de rédiger quelques lignes. De même, en accord avec Georges Pragier, nous avons pensé que les quelques mots qu’il avait prononcés au cimetière pouvaient s’intégrer à cet hommage.

Après une agrégation d’anglais et tout en continuant à enseigner la littérature anglaise à l’université, Liliane s’est engagé dans un cursus et une formation psychanalytique au sein de la SPP. Dans ce cadre, un de ses superviseurs fut Evelyne Kestemberg. Sa voie était alors tracée et le centre CEJK l’a accueillie comme psychanalyste et l’a confrontée à l’abord théorico-clinique des patients psychotiques.

Au sein de la SPP elle a gravi les échelons et est devenue Membre Titulaire (formateur) en l’an 2000. Elle s’est engagée dans un travail d’enseignant et de formateur tout en siégeant dans les différentes instances de notre Société avec une certaine discrétion mais une rigueur de bon aloi. Elle a participé à différents apports scientifiques. Ses engagements nous avaient dévoilé ses qualités intellectuelles, culturelles, psychologiques et morales.
C’est tout naturellement que j’ai sollicité Liliane pour occuper, dans les conditions difficiles d’alors, les fonctions de secrétaire générale de mon bureau dans l’hypothèse où je me présentais à l’élection de Président de la SPP en Mars 2002.

J’ai pu vaincre ses réticences et bien m’en a pris. J’ai noué avec Liliane, dans ce cadre souvent difficile et soumis à de nombreuses perturbations, des relations intellectuelles et amicales faites de confiance, de respect, voire d’une certaine complicité. A l’issue de cette collaboration institutionnelle, nos relations se sont transformées en liens d’amitié.

Elle n’a pas voulu continuer à exercer d’autres responsabilités institutionnelles au sein de la SPP.
Elle a également été Présidente pour l’Europe (Co-Chair) du Comité du Congrès de l’IPA de Chicago en 2009. Claudio Eizirik, alors Président de l’API et Abel Fainstein, Président du Programme, ont été très attristés par sa mort et ont écrit à quel point elle était appréciée et reconnue. Elle avait également collaboré à l’IJPA.

C’est avec une grande émotion, un grand bouleversement et une infinie tristesse que j’ai appris sa mort, une mort inattendue.

Eléana Mylona. Psychanalyste du centre de psychanalyse et de psychothérapie Evelyne et Jean Kestemberg (CEJK, ASM13)
Par sa filiation psychanalytique (supervisée d’Evelyne Kestemberg) notre collègue et amie Liliane Abensour a très vite trouvé sa place au centre EJK et y a eu un rôle toujours croissant. Dans ce centre, particulièrement dévolu au traitement de patients dits psychotiques, elle a exercé une activité de psychanalyste avec une profonde attention et une profonde curiosité créative. Au sein du centre elle a assumé des responsabilités institutionnelles en tant que membre du Conseil Scientifique. Elle a participé activement à l’organisation des Samedis du CEJK, ainsi qu’à d’autres journées scientifiques, réunions et débats cliniques et institutionnels. Elle a assumé, de façon collégiale, des responsabilités en tant que co-fondatrice et co-directrice de plusieurs groupes : groupes de recherche, et notamment autour du psychodrame.

Dans le prolongement de l’enseignement de E. Kestemberg, elle s’est engagée activement dans des séminaires sur l’approche psychanalytique de la psychose avec le souci de former de jeunes collègues. Jusqu’à sa retraite Liliane a participé à la formation des jeunes psychanalystes en tant que « superviseur ». Après sa retraite, elle a continué, bien que non membre actif, ses activités de tous ordres et ses responsabilités scientifiques.

Cette clinique de patients psychotiques s’est ancrée dans la psychanalyse classique et contemporaine, loin des facilités d’une certaine modernité en psychiatrie, et ce, dans la pleine prise en compte de ses filiations (SPP ; CEJK). Elle a su débattre et défendre ses principes psychanalytiques avec justesse, intégrité, franchise, rigueur et discrétion. Son engagement au CEJK l’a conduite en 2001 à co-fonder et co-diriger (en chef) la Revue : Psychanalyse et Psychose, avec le souci de rester dans la tradition de la publication annuelle du centre (de 1980 à 1996) Les cahiers du centre de psychanalyse et de psychothérapie. Liliane Abensour s’est attaché à faire éditer deux ouvrages rassemblant les écrits et les idées de Evelyne Kestemberg : L’adolescent à vif en 1999 aux PUF et La psychose froide en 2001 aux PUF. Elle a écrit récemment un livre qui a eu de forts retentissements positifs : La tentation psychotique aux PUF en 2008.

La richesse de son profil d’analyste allait de pair avec une présence généreuse, cordiale et attentionnée à l’égard de ses pairs et à l’écoute de ses jeunes collègues. Elle a été une référence solide et le restera pour tous ceux qui ont travaillé avec elle, appris avec elle et ont eu la chance de la connaître.

Georges Pragier. Secrétariat Scientifique du Congrès des Psychanalystes de Langue Française (CPLF)
Liliane Abensour avait été désignée en qualité de rapporteur au 71e Congrès des psychanalystes de langue française (CPLF) par le Comité scientifique du CPLF composé de collègues de la SPP et de l'APF. Sur le thème "Le maternel", elle avait choisi de traiter "L'ombre du maternel" dans un texte où elle déployait des idées scientifiques d'une très grande originalité. Elle nous avait fait part de son intention d’enrichir la métapsychologie freudienne sur la relation mère-enfant. Cet objectif ambitieux, elle l'a parfaitement atteint.
C’est seulement quelques jours avant le Congrès que Liliane a su être atteinte d’une maladie fulgurante. A l’exception de ses enfants, son amie psychanalyste Josette Garon, venue tout spécialement du Canada pour assister au congrès et moi-même, personne n’avait été prévenu. En dépit de la gravité de son état et avec l'accord des médecins, elle a souhaité néanmoins discuter son rapport devant le millier d'analystes francophones présent.

Elle avait d'abord pensé ne pas pouvoir venir au Congrès, puis par respect pour les congressistes, Liliane avait envisagé une participation limitée au jeudi 2 juin consacrée à la présentation orale de son travail. Mais sa passion de l'analyse l'a conduite à participer à l’intégralité du Congrès pour défendre son audacieux propos.

Sa grande amie Josette Garon l'a particulièrement soutenue et accompagnée pendant cette période. Elle et nous avions accepté ce "défi " comme un dernier "moment heureux".
Les participants peuvent comprendre maintenant, les raisons d'une certaine "tension" liée à ce besoin de discrétion. Ce fut difficile, mais nous avons respecté sa demande éthique et les amis ont été très compréhensifs quand Liliane évoquait sa "fatigue". Elle en était très reconnaissante car elle savait qu'elle nous offrait, avec beaucoup de bonheur, sa dernière prestation. Sa famille et ses collègues peuvent être fiers de Liliane.
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Quelques apports de Liliane Abensour à la métapsychologie

Bernard Chervet, Président de la SPP

L’amitié qui me lie à Liliane Abensour tient strictement à une certaine conception de la psychanalyse, au refus que nous partagions envers toute dogmatisation de la pensée psychanalytique, envers ce qu’elle nommait « l’hégémonie de la pensée unique » ; et aussi au souhait partagé de participer à faire vivre la théorie psychanalytique. Cette opposition, elle l’a mené durant des années de façon discrète et ferme, deux qualités qui caractérisaient la présence de Liliane Abensour au sein de la SPP et aussi au sein de l’IPA

En réponse à l’annonce du décès de Liliane Abensour, Charles Hanly, président actuel de l’IPA, a salué sa qualité scientifique, sa lucidité et son courage, proposant Liliane Abensour en tant que modèle de dévouement à la cause de la psychanalyse. Un hommage sera publié dans un prochain Bulletin de l’IPA.

Nous avons partagé, Liliane Abensour et moi, ce souci théorique au sein du Bureau de Alain Fine ; elle, en tant que secrétaire générale, moi-même en tant que secrétaire scientifique. Nous avons alors collaboré, soutenu par cet état d’esprit, à l’organisation d’un Colloque de la SPP, initié par Alain Fine, portant sur « La haine ». Ce colloque a donné lieu à un ouvrage des Débats de Psychanalyse, La haine : haine de soi, haine de l'autre, haine dans la culture (2005, PUF), avec une contribution remarquée de Liliane Abensour, « La haine des origines et son ombre portée ». Elle tenait particulièrement à ce thème. Sa contribution annonçait son livre de 2008, La tentation psychotique (2008, PUF), mais surtout son rapport du CPLF 2011, L'ombre du maternel. Dans ce dernier, elle privilégie l’axe de la haine et du sadisme, reconnaissant, lors de nos divers échanges, qu’elle avait laissé de côté une autre facette de ce qui définit le maternel, la sollicitation du pôle masochique chez la femme devenue mère suite à une régression topique en deçà du dégout et de la pudeur.

Durant tout le Congrès elle a maintenu sa recherche d’une définition métapsychologique du maternel, ce dernier ne se réduisant pas pour elle à la fonction maternelle, celle de soutenir la mise en place des processus de pensée de l’enfant. Nul doute qu’elle aurait pu nous donner après le Congrès une définition du maternel alliant sadisme et masochisme.

Un autre moment nous rapprocha considérablement, c’est la parution de son livre, La tentation psychotique, et les échanges que nous avons pu avoir en privé et en public à son propos, en particulier au sujet de la question de la place du procès de l’après-coup dans les logiques psychotiques. Elle rectifia dans son rapport ce qu’elle avait pu soutenir dans son ouvrage, à savoir que l’après-coup était absent dans la psychose ; et elle adopta l’idée d’une dissociation entre les deux temps de ce procès. Cette évolution de son point de vue témoigne bien de l’attention que Liliane Abensour accordait aux propositions de ceux qui rentraient en échange et discussion avec elle.

Le talent et le goût de Liliane Abensour pour la littérature se reconnaissent immédiatement dans tous ses travaux ; ainsi que sa familiarité avec la langue et la littérature anglaises. Sa bibliographie témoigne aussi de ce bilinguisme et de sa fréquentation de la littérature psychanalytique anglo-saxonne.

Mais son travail dépasse largement sa capacité aux échanges et sa culture. Liliane Abensour questionne les théoriciens de la psychanalyse. Certes elle nous oblige à sortir, à propos de la psychose, d’une confusion banale entre pathologies régressives et celles issues d’une distorsion. A juste titre, elle n’accepte pas de considérer la psychopathologie psychotique selon l’axe de la régression, mais soutient l’originalité de cette organisation de distorsion non acquise par régression depuis une élaboration plus avancée. En fait, les constructions de la distorsion utilisent des matériaux du passé selon les remaniements progrédients de l’après-coup. Mais ce qui les spécifie, c’est que l’économie des matériaux régressifs qu’elles utilisent n’est pas modifiée par le travail de production délirante.

Cet hommage au souci théorique de Liliane Abensour ne serait pas complet si n’était rappelées ses plus originales propositions, celles qui vont poursuivre leur cheminement dans la pensée d’autres analystes.

Liliane Abensour envisage une labilité structurelle avec une potentialité psychotique dès l’origine de la vie dont disposerait chaque être humain dans sa contrainte à gérer la dimension traumatique qui l’habite.

Rapprochant le délire de certaines formes de littérature, elle attire l’attention sur un espace particulier du préconscient qu’elle nomme espace liminaire. Elle propose que la création produite par la psychose, le délire, puise ses ressources dans cet espace mental particulier, le liminal, un espace entre préconscient et conscient, espace coupé de toute régression vers un préconscient en contact avec un inconscient pulsionnel. De cet espace liminal naîtrait une écriture liminale ayant plusieurs fonctions que Liliane Abensour va s’appliquer à préciser par une comparaison avec l’écriture poétique ; en particulier une fonction de recours antitraumatique.

Pour terminer, laissons la parole à Liliane Abensour : « Parler de tentation délirante […], permet de prendre en compte les formes multiples d’une pensée délirante ou à la marge du délire. C’est aussi affirmer comme mouvante, incertaine, la limite qui sépare la pensée délirante d’autres formes de pensée, notamment la pensée poétique, si l’on considère que derrière chacune se cachent, la question essentielle à l’homme, toujours énigmatique, des origines et du sens de la vie, de soi, du monde, et les tentatives pour y répondre de façon partielle ou globale ».
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Le Comité de direction du Centre E.&J. Kestemberg : Alain Gibeault, Directeur du Centre, Clarisse Baruch, Vassilis Kapsambelis, Claire Rueff-Escoubes.

Liliane Abensour restera l’une des figures marquantes du Centre de psychanalyse et de psychothérapie Evelyne et Jean Kestemberg. Alors qu’elle était analyste en formation de l’Institut de psychanalyse, elle s’est initiée à la fin des années 70 au travail psychanalytique avec les patients psychotiques en suivant l’enseignement d’Evelyne Kestemberg. Dans un article qu’elle a écrit ultérieurement sur la création du Centre de psychanalyse et de psychothérapie, elle a très bien situé les enjeux exceptionnels de cette aventure psychanalytique à laquelle elle a voulu s’associer dès le début de sa formation psychanalytique : « Moment particulier de la rencontre de la psychanalyse avec le domaine public, la création du Centre de psychanalyse et de psychothérapie, en 1974, après celle de l’ASM13, en 1959, est une réponse, entre autres, à l’exclusion des patients psychotiques, à leur violence et à la peur que celle-ci nécessairement engendre. Elle est une tentative active de compréhension d’un mode d’être trop longtemps tenu à l’écart de la pratique analytique et pose, par là même, la difficile question de la place du psychanalyste dans les institutions, et plus largement dans la cité » (p.21).

Elle a rappelé ainsi comment la création de ce Centre, à l’initiative de Jean Kestemberg et de René Angelergues, a redéfini un rapport nouveau entre la psychiatrie et la psychanalyse et favorisé le développement d’une expérience originale à la fois de traitement des patients présentant un fonctionnement psychotique, de formation des jeunes psychanalystes et de recherche. Elle a aussi souligné comment la mort prématurée de Jean Kestemberg en 1975 a laissé à Evelyne Kestemberg la lourde tâche d’assurer la direction du Centre tout nouvellement créé. Au départ Evelyne Kestemberg a constitué autour d’elle deux cercles pour lancer cette aventure : autour de sa consultation avec Alain Gibeault, Colette Guedeney et Benno Rosenberg et de son séminaire de recherche bimensuel auxquels participaient entre autres René Angelergues, Raymond et Denise Cahn, Françoise Bouchard, Philippe Jeammet et Colette Zimeray. Au cours des années 80, Liliane Abensour a rejoint l’équipe du Centre et s’est engagée pleinement comme psychanalyste dans ce travail certes difficile mais exceptionnel par les possibilités ainsi offertes de réflexion théorico-clinique sur la psychanalyse des psychoses.

Elle a été d’emblée sensible au caractère novateur de cette expérience : « On comprends alors que l’intérêt de la psychanalyse en institution, tout particulièrement auprès de certains patients psychotiques, soit moins d’apporter des formes dérivées de la cure-type, des aménagements, même si, à ses débuts le psychodrame a été présenté comme tel, encore moins un simple langage psychanalytique, mais de trouver, à partir de la cure classique, des formes d’écoute et d’intervention nouvelles » (p. 31). Elle a également repris à son compte l’importance de la fonction tierce de l’institution psychanalytique et du directeur du Centre, tout en insistant sur l’importance d’en maintenir le statut particulier d’autonomie par rapport au secteur psychiatrique.

Dans cette aventure, la création en 1980 des Cahiers du Centre de psychanalyse et de psychothérapie par Evelyne Kestemberg et ses proches collaborateurs a marqué un tournant. Liliane Abensour a fortement souligné que cette recherche théorico-clinique a permis que « les notions de déni, de clivage, d’excitation, de représentation de mots et de choses ou encore de masochisme primaire…se trouvent éprouvées et largement admises au regard de la clinique » (p. 33). C’est ce dont témoigne son premier article publié en 1987 dans les Cahiers du Centre : « ‘Ne pleure pas, Jeannette…’ Evocation clinique ». Cet article est particulièrement intéressant à la fois par la compréhension théorique des enjeux de la psychose, et par la finesse du travail psychothérapique avec une patiente délirante. Voici ce que Liliane Abensour a adopté comme stratégie thérapeutique : « C’est dire qu’à ce stade, pour l’apaiser, je suis amenée a contrario à m’installer dans un état de neutralité, au sens le plus strict du terme, mon fonctionnement fantasmatique se maintenant a minima, proche du degré zéro. Ni séduite par des récits tels qu’on les apprécie dans la littérature fantastique, ni même intéressée à comprendre : neutre, étonnamment accrochée à la réalité, garante d’une réalité - d’une existence - hors délire, non-excitante, continue » (p. 54).

En évoquant la littérature fantastique, c’était remarquer que dans son contre-transfert elle pouvait être sollicitée par son intérêt professionnel, puisque qu’avant d’être psychanalyste, elle a été agrégée d’université et enseignante en littérature anglaise. Mais elle avait aussi retenue ce qu’Evelyne Kestemberg avait proposé comme choix thérapeutique dans le traitement des patients psychotiques. Il s’agit ici d’une perspective théorique et technique qui diffère de l’approche kleinienne, telle qu’illustrée par les travaux de Bion, de Segal et de Rosenfeld, où il s’agissait de favoriser le développement et l’interprétation d’une psychose de transfert en maintenant les conditions du cadre analytique à cinq séances par semaine. E. Kestemberg (1957) remarquait au contraire : « Il nous semble…qu’il faut éviter autant que faire se peut l’installation d’une psychose de transfert et agir dans le sens d’une névrotisation des manifestations transférentielles psychotiques. Seule cette névrotisation progressive nous permettra de retrouver avec les malades psychotiques cette marge entre le fantasme et la réalité qui est celle, comme l’a dit Nacht, sur laquelle nous pouvons travailler » (p. 321). Cette stratégie thérapeutique suppose d’être d’abord attentif aux modalités du fonctionnement mental avant d’interpréter le transfert et les fantasmes inconscients, ce qui ne sera possible qu’après l’amorce d’une différenciation des imagos parentales.

Lorsque Jean Gillibert succède à Evelyne Kestemberg en 1989, Liliane Abensour manifeste son intérêt à explorer des modalités de travail analytique différentes : non seulement le psychodrame psychanalytique individuel inventé dans les années 50 par Serge Lebovici, René Diatkine et les Kestemberg, mais aussi la psychothérapie conduite par deux analystes, selon la technique initiée par Jean Gillibert. Son expérience analytique avec les patients psychotiques ou limites la conduit aussi à réfléchir sur l’importance de leurs écrits au cours de la cure, et elle publie au début des années 90 une monographie du Centre, préfacée par Jean Gillibert, sur l’ « Incidence de l’écrit dans la relation analytique » : « Ainsi les notes prises par les patients autour des séances, les pages de journal, les récits autobiographiques, remis ou pas à l’analyste, ne sont-ils pas autant de modalités d’existence, de jalons posés dans la lutte qui s’engage pour eux, dans une construction-déconstruction, entre vie et mort ou néant » (p. 17). Elle prend également en considération le besoin d’écrire des analystes sur leurs patients et se demande si au-delà du témoignage de leur pratique utile au développement de la science psychanalytique, il ne s’agirait pas aussi « d’une réassurance narcissique, d’un ressaisissement du moi », en particulier avec des patients qui confrontent davantage l’analyste au sentiment d’existence. Elle en poursuivra ultérieurement la réflexion dans son livre princeps La tentation psychotique (PUF, 2008).

Cette nécessité d’écrire sur sa pratique se vérifiera au cours des années qui suivront par la publication de nombreux articles dans les Cahiers du Centre : « Quand Malone meurt » (1990, n° 20) sur l’angoisse catastrophique d’un patient descendant de survivants de la Shoah ; « Le travail en souffrance ou les vêtements de peau » (1992, n°24) sur les enjeux psychiques du refus de travailler chez les patients psychotiques ; « Rupture et retrouvailles exquises » (1993, n° 27) sur le travail de mélancolie inhérent aux ruptures de traitement. Elle a aussi témoigné de sa fidélité à l’œuvre d’Evelyne Kestemberg par la publication d’un livre sur celle-ci dans la collection Psychanalystes d’aujourd’hui (PUF, 1999) et de deux livres rassemblant les travaux de celle-ci sur l’adolescence (L’adolescence à vif, PUF, 1999) et la psychose (La psychose froide, PUF, 2001).

C’est pourquoi l’écriture en psychanalyse constituera pour Liliane Abensour un enjeu essentiel dans sa pratique analytique au Centre. Alors que les Cahiers du Centre avaient cessé de paraître après le départ de Jean Gillibert en 1996 avec le dernier et 29 ième numéro sur « Le psychanalyste », le Conseil scientifique créé par Alain Gibeault, qui succède à la direction du Centre en 1997, confie à Liliane Abensour et à Antoine Nastasi la responsabilité d’une publication annuelle, Psychanalyse et psychose, qui reprendra le projet de recherche initié par les Cahiers du Centre. Dans l’avant-propos du premier numéro sur « Violence et destructivité » (2001), les deux rédacteurs en chef soulignent les enjeux de ce nouveau projet : « Continuer à penser la psychose pour un analyste d’aujourd’hui, n’est-ce pas se situer moins par référence à la névrose- dans un rapport d’analogie ou d’opposition- que dans la reconnaissance d’un mode d’être à soi et au monde différent, et à l’écoute du patient, de son originalité et de sa douleur, accepter de faire l’expérience de l’étrange aussi bien en soi que chez l’autre ? » (p.1).
Cette nouvelle aventure d’écriture passionnera Liliane Abensour qui témoignera d’un engagement et d’une grande fiabilité pour la mener à bien avec Antoine Nastasi pendant huit ans et seule à partir de 2009. Les thèmes de réflexion se succèderont toujours avec le même souci d’approfondir ces « modes d’être » dans la psychose, entres autres : « Sentir le corps » (2002), « Penser, imaginer, délirer » (2006), « Scissions, clivage » (2008). Ces thèmes feront rapidement l’objet des Samedis du Centre pour être ensuite approfondis avec d’autres articles dans la publication de l’année suivante. Le dernier numéro à paraître, dont le titre provisoire suggéré par Liliane Abensour, est « L’effondrement », paraîtra en février 2012 : elle en a assuré la préparation toujours avec la même exigence de qualité tant pour le contenu que pour la forme, ce qui pour elle constituait deux paramètres essentiels de l’écriture psychanalytique.

Liliane Abensour nous laisse en héritage le souvenir d’un engagement enthousiaste dans le travail psychanalytique et d’une grande exigence dans tous les aspects de son travail : avec ses patients, avec ses supervisés du Centre qui témoignent tous de sa générosité dans la transmission de la psychanalyse, avec ses collègues et amis du Centre qui ont toujours trouvé en elle un appui fidèle et sans failles à cette aventure institutionnelle.

Localisation: Paris

Société Psychanalytique de Paris/Alain Fine, Eléana Mylona, Georges Pragier, Bernard Chervet/Le Comité de direction du Centre E.&J. Kestemberg