décès d'Irène Diamantis

On l'avait surnommé "petite Irène". Ce surnom affectueux lui venait du fait que dans ce temps qui nous semble à la fois si proche et si lointain de feu l'École Freudienne de Paris il y avait la "grande" Irène Roubleff.

Le temps a fait son œuvre et elle son parcours. Après la Dissolution de l'École elle avait rejoint la Société de Psychanalyse Freudienne dont elle était l'une des cadres enseignante. Son livre "Les phobies ou l'impossible séparation" paru chez Flammarion dans la collection Champ a inscrit son travail dans la durée et fait référence. Mais depuis l'École Freudienne, de nombreux articles ont jalonné son parcours.Triste scansion que celle de l'égrenage perpétuel des morts. La Dissolution a rompu des liens, la mort nous les fait un temps ressurgir. LLV

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"Avec Irène Diamantis, j’ai partagé de beaux moments lors des quatre conférences que nous avions données ensemble sur « la Phobie » pour les Séminaires Psychanalytiques de Paris, entre 2009 et 2012.

Je garde d’Irène Diamantis un souvenir émouvant, tant par sa disponibilité, son humanité, sa grande générosité que sa rigueur intellectuelle.
Nous avions préparé ensemble les parties qui nous étaient demandées d’exposer. Pour elle, la phobie chez l’adulte (avec une référence évidente à l’enfant qui est encore vif, chez l’adulte phobique) et pour moi, une particularité spécifique de la phobie chez l’enfant de 8 ans, entrant dans l’âge de raison. Cette phobie-là, « la peur du voleur » est pratiquement inconnue dans notre pratique de psychanalystes. J’ai écrit un texte qu’Irène avait trouvé novateur, original, et qui venait même compléter un chaînon manquant dans ce qu’elle a admirablement écrit dans son livre « Les Phobies ou l’impossible séparation ». J’avoue avoir été fier de l’entendre me dire cela, elle qui fut, entre autre, une grande spécialiste de ce symptôme.

Nous étions voisins, pratiquant tous deux, boulevard du Montparnasse. Nos échanges ne portaient pas que sur la psychanalyse, nous abordions l’histoire, la sienne, la mienne, la politique, les affres de sa maladie, malheureusement ; et même des sujets légers tels que la musique, la cuisine.
À propos de cuisine, elle m’avait confié qu’un matin, recevant une patiente anorexique, elle la voit tituber en entrant dans son cabinet. Elle lui demande si elle a pris son petit déjeuner. La patiente répond que non. Irène, quitte la pièce, va dans sa cuisine lui préparer une boisson chaude et deux tartines et les lui apporte. Elle lui dira « Tant que vous avez pas pris ce petit déjeuner, je ne pourrai pas vous écouter ». Elle savait déroger à certaines règles dès lors qu’une conviction profonde s’imposait à elle.
Son bureau, très petit, avait ce côté confiné et confortable à la fois. Il était, le plus souvent, enfumé. Elle me demandait si la fumée ne me dérangeait pas, mais sa cigarette était déjà bien entamée.
Ces derniers temps, elle avait besoin d’une canne pour se déplacer, nous nous rendions en taxi sur les lieux des conférences, poursuivant notre discussion, comme nous l’avions commencée, chez elle.

Irène était une femme charmante, gentille mais ne cédait absolument rien de ses convictions tant personnelles que professionnelles. Sa rigueur intellectuelle, au risque de déplaire à certains de ses interlocuteurs, constituait un socle et une colonne vertébrale inébranlables faisant d’elle quelqu’un que l’on pouvait redouter à certains égards. Sa probité et sa droiture faisaient d’elle une psychanalyste respectée, d’autant qu’elle avait l’art de bien poser ses idées avec un sourire discret, tête penchée, accompagnée de ce mot : « j’espère que vous serez d’accord avec moi ». Craquant ! Elle nous avait conquis.

Pour nos conférences, comme j’avais prévu lire mon texte, elle avait plutôt opté d’improviser son sujet devant l’auditoire. En effet, elle était soucieuse de la régulation de la parole entre nous deux pour ne pas ennuyer le public, disait-elle. Elle a eu bien raison, puisqu’elle connaissait parfaitement son sujet, agrémentant son propos, ici et là, de cas cliniques autant que sur de souvenirs personnels intimes puisés dans sa vie passée et actuelle (peur de l’avion, besoin d’allumer la télé lorsqu’elle était seule dans sa maison de campagne, par exemple). Ces touches personnelles, distillées avec parcimonie rendaient le personnage encore plus sympathique et plus proche du public.

Je garderai un souvenir émouvant de nos rencontres et de notre collaboration.

Irène Diamantis s’en est allée et c’est un pan d’une époque, que les plus anciens ont bien connu, qui disparaît avec elle.

Nous la garderons dans nos cœurs…

Harry IFERGAN

Laurent Le Vaguerèse/Harry Ifergan