Décès de Moustapha Safouan

moustapha safouan

Nous apprenons le décès de l'un des plus fidèles compagnon de route de Jacques Lacan et premier traducteur de l"interprétation des rêves" en Arabe Moustapha Safouan qui s'est éteint le 8  novembre 2020 au matin. Dr Laurent Le Vaguerèse

Nous rectifions ici la date du décès indiquée par erreur au 7 novembre. les obsèques auront lieu dans la plus stricte intimité.

On peut revoir l'interview qu'à donné Moustapha Safouan  au site oedipe à l'occasion du Prix oedipe des libraires 2014. Il est interviewé par Françoise Petitot.

https://www.oedipe.org/prixoedipe/2014/videos

 

Jean Allouch avait également proposé un commentaire au sujet de ce livre, commentaire qu'il avait dit lors d'une présentation du llivre à la librairie Tschann en présence de M. Safouan.I; le texte de cette intervention est également disponible sur le site à la page du prix 2014 dans la section commentaires

 

Plusieurs hommages commencent à circuler, La Fédération Européenne de Psychanalyse nous en a fait parvenir que nous reproduisonsici:

d'abord celui de son fils:


Moustapha nous a quittés aujourd'hui, au petit matin de ce dimanche 8 novembre.
J'en ai été informé à 5h30, heure à laquelle l'équipe en charge de nuit de l'hôpital Broca a constaté le décès.

Il est mort dans son sommeil, le plus paisiblement qu'il était possible.
Excusez-moi pour la brièveté de ce message, mais depuis cette fin de matinée où j'ai rejoint Paris, beaucoup de formalités requièrent ma présence. Je reviens vers vous très vite, dès ce soir ou demain au plus tard, pour vous en dire plus.

Comme vous le savez sans doute, il attendait cette échéance comme une libération d'une vie qui lui était devenue trop pesante, et je vous invite donc à prendre cette nouvelle, au-delà de la tristesse et des souvenirs qu'elle va immanquablement provoquer, comme la conclusion sereine et attendue d'un très long et très riche chemin de vie.

Bien à vous tou.te.s, et à très vite.

Ismaïl

 

Gérard Pommier :

Safouan Pommier

Photo PG Despierre

Moustapha Safouan nous a quittés le dimanche 8 novembre. Selon le décompte d’années qu’il m’avait lui-même donné cela lui faisait 102 ans.

J’ai connu Moustapha Safouan depuis le début, depuis que je m’intéresse à la psychanalyse, lorsque j’étais interne en psychiatrie à St Anne et qu’il a fait plusieurs petites causeries dans l’un des amphithéâtres. J’avais été très frappé par ses qualités oratoires, il parlait debout avec beaucoup de verve, sans papier, souvent les cheveux dressés sur la tête et toujours attentif à captiver son auditoire : « Voilà l’homme qui parle ! ». J’ai été tout de suite pris par un sentiment très entier à son égard et il ne s’est jamais démenti jusqu’à aujourd’hui, puisque récemment, au mois de juillet, j’ai eu l’honneur de l’interviewer avec Gricelda Sarmiento sur sa pratique avec Lacan : plus de vingt ans de contrôle depuis 1954 où l’on voit son accord profond avec les façons de faire de Lacan. Je dirais que c’était un lacanien sans partage, tout entier lacanien bien qu’il ait cessé d’assister au Séminaire après 1964, lorsque Lacan a commencé à introduire des éléments de topologie. Lacan a demandé plusieurs fois pourquoi il ne venait plus, mais sans avoir jamais de réponse, Moustapha se considérait toujours intégralement lacanien.

A cette époque Moustapha Safouan allait souvent en Egypte avec Paola Carola et d’autres amies italiennes comme Muriel Drazien dans un amour suivi pour l’Egypte, pour la région napolitaine et les iles siciliennes. C’est là que je l’ai connu plus personnellement lors de vacances avec Catherine Millot dans la ville de Louxor sur le Nil où je faisais des recherches sur le pharaon Akhenaton et l’écriture hiéroglyphique. Il nous a montré des lieux merveilleux, en particulier le tombeau caché de ce haut dignitaire royal qui a probablement trahi Akhenaton et permit le retour du clergé thébain. Il nous a fait visiter toute son Égypte, avec le soir un verre de whisky à son modeste hôtel.

Et puis surtout en compagnie de Charles Melman et de Claude Dumézil nous avons fondé tous les quatre la Fondation Européenne pour la Psychanalyse, en réponse au risque d’une titularisation des psychologues où les psychanalystes auraient été inclus. Ce danger a été évité grâce à l’amendement Accoyer et à l’action très décidée de la majorité des associations psychanalytiques. Dans la suite de ce succès nous avons écrit, Moustapha Safouan et moi-même, le texte fondateur de la Fondation Européenne sur « la formation des psychanalystes ».

Je dois dire que le décès de Moustapha Safouan m’affecte de manière spéciale car c’est l’un des rares psychanalystes d’une génération plus avancée que la mienne pour lequel je n’ai aucune ambivalence. Je voudrais conclure ces quelques mots d’adieu en disant qu’il y a peu, Moustapha Safouan a écrit un livre sans égal sur la science : « Le puits de la vérité », j’espère qu’il sera beaucoup lu.
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Moustapha Safouan, l’infatigable psychanalyste

C’est le 8 novembre que la mort nous a enlevé Moustapha Safouan dans son sommeil. Il avait 99 ans. Né à Alexandrie dans une famille de militants communistes dont le père était un amoureux de la langue et des jeux avec la langue, le jeune Moustapha s’engagea dans l’étude de la philosophie tout en s’efforçant d’apprendre le latin, le grec, le français, l’anglais et l’arabe classique. 

                  Une image contenant homme, personne, cravate, portant

Description générée automatiquement 

Découvrant l’œuvre de Freud, il décida de se rendre en France pour se former à la psychanalyse. Il fit son analyse avec Marc Schlumberger de la Société psychanalytique de Paris, puis il s’engagea dans un contrôle avec Lacan dont il devint un des plus fidèles élèves. Il participa largement à la diffusion de l’enseignement de Lacan par ses nombreuses publications (une quinzaine de livres et de très nombreux articles de revues et chapitres de livres collectifs). À cheval sur plusieurs langues et plusieurs cultures, il le fut aussi sur plusieurs lieux par le partage de son temps de clinique, de contrôle et d’enseignement entre Paris, Strasbourg et Marseille, sans compter ses séjours sur sa terre natale. Dans l’École freudienne de Paris, il occupa diverses fonctions importantes : il fut ainsi membre du jury d’agrément, statuant en fin de procédure de la passe, procédure dont il a pu percevoir les impasses. De ses premières publications, je retiendrai ici « Le Structuralisme en psychanalyse » in Qu'est-ce que le structuralisme ? Paris, Seuil, 1973 ; Études sur l'Œdipe ‒ Introduction à une théorie du sujet, Paris, Seuil, 1974 ; La sexualité féminine dans la doctrine freudienne, Paris, Seuil, 1976 ; L'Échec du principe du plaisir, Paris, Seuil, 1979 ; et L'Inconscient et son scribe, Paris, Seuil, 1982. Plus tard, il se risqua à publier Pourquoi le monde arabe n’est pas libre : politique de l’écriture et terrorisme religieux, (traduit de l’anglais par Catherine et Alain Vanier), Paris, Denoël, 2008. Il se distingua aussi en traduisant en arabe L’interprétation des rêves (1959), La phénoménologie de l’esprit (1981) et Othello (1998)[1].

Plusieurs Belges de diverses associations s’engagèrent dans un travail avec lui : lecture approfondie de ses livres, rendez-vous de contrôle à Paris et invitations pour conférences-débats à Bruxelles. En 1982, il fut invité au Service de santé mentale de l’université de Louvain, centre dit de Chapelle-aux-Champs, à participer avec Joël Dor, Contardo Calligaris, Elie Doumit et Jean Ladrière à un colloque sur la scientificité de la psychanalyse. Il y fit remarquer qu’il est impossible d’aborder ce sujet sans parler aussi du transfert. Ce qu’il fit sous ses différents aspects : amour trompeur ou véritable, amour différent du désir, transfert et contretransfert désir de l’analyste et deuil nécessaire de son analysante. Il aborda aussi dans les débats qui suivirent diverses thématiques : les vérités historiques, subjectives, matérielles et conventionnelles, les vérités-cohérences et les vérités-correspondances ainsi que les constructions et les interprétations, le sujet, son objet et sa structure. Furent aussi abordées la conviction, la croyance et la suggestion[2] . En 2002, lors de la fondation de notre Espace analytique de Belgique, nous lui avons demandé d’en devenir membre d’honneur, ce qu’il accepta non sans un questionnement où se mêlaient humour et ironie sur cet honneur. Il accepta aussi de contribuer à un numéro sur l’Amour de la revue les Cahiers de psychologie clinique[3] et d’assumer un de nos samedis de Bruxelles ; c’était le 26 avril 2014 sur « l’historique. et la clinique de l’objet « a ». Entretemps, les rencontres se poursuivaient tantôt à Paris lors des journées d’étude organisées par nos collègues d’Espace analytique-France, tantôt lors des congrès de la Fondation européenne de psychanalyse qu’il avait fondée en 1991 avec Claude Dumezil , Charles Melman et Gérard Pommier. Entre autres, à Barcelone, Berlin, Dublin, Rome, Paris, et dans son village refuge de Mazara del Vallo (Sicile). Notre dernière rencontre bruxelloise date du 29 mars 2014. Au cours de cette journée organisée avec deux associations amies, [4]l’avons questionné sur les différents chapitres de son livre : La psychanalyse, science, thérapie et cause (éd. Th. Marchaisse, 2013) dans lequel, mémoire vivante du champ freudien, Moustapha Safouan présente tout d’abord une histoire du mouvement freudien où il est question de Rank, de Ferenczi, du comité secret, des effets thérapeutiques de l’analyse et de l’idée indéfendable de la transmission comme fatalement familiale. Il aborde ensuite les éléments fondamentaux de la psychanalyse lacanienne, comme le signifiant et le signifié, le phallus, l’Œdipe, le Nom-du-père et les sexuations masculines et féminines, et, enfin, la jouissance supplémentaire. Dans sa troisième partie, il évoque la « saga » lacanienne. Il aborde sans ménagement les impasses de l’École freudienne de Paris et celles de l’expérience de la passe. Il précise aussi ce qu’il considère être les causes de ces difficultés et impasses, témoignage très précieux pour celles et ceux qui veulent éviter que leur institution se fourvoie dans ces mêmes difficultés et échecs de la transmission. Ce ne fut pas sa dernière publication ni son dernier séminaire. Il était aussi infatigable intellectuellement que physiquement. C’est ainsi qu’il gravissait sans difficulté les escaliers qui le menaient au septième étage d’un immeuble parisien où nous attendait un couple d’amis. C’est ainsi aussi qu’il poursuivait depuis plusieurs années un séminaire à Espace analytique-France, dont il était devenu Membre d’honneur. Parallèlement, il participait à de nombreux revues et ouvrages ‒ entre autres : « Actualité du complexe d’Œdipe » in Actualité de la psychanalyse (Érès, 2014) ou encore « Misère névrotique et misère ordinaire » in Les entretiens préliminaires à une psychanalyse (Érès, 2016). Bien plus, il publiait ses derniers livres : La civilisation post-œdipienne, Paris, Hermann, 2018 et L’inconscient à demi-mot, avec Sylvain Frérot, Paris, Éditions des Crépuscules, 2020.

 

Il nous a quittés, mais ses nombreux écrits restent disponibles à ceux qui le souhaitent, ainsi que ses multiples interviews audio et vidéo sur la toile.

 

Patrick De Neuter

Analyste Membre d‘Espace analytique-France et co-fondateur d’Espace analytique de Belgique

 

 

 

[1] Une bibliographie complète se trouve sur le site de l’École psychanalytique de St Anne. https://www.epsaweb.fr/moustapha-safouan-1921-2020/

[2] Ces interventions et débats ont été publiés sous la direction de P. De Neuter et Jean Florence sous le titre Sciences et psychanalyse, De Boeck Université, 1998.

[3] N’ayant pas pu être prise en compte pour des raisons techniques, cet article est paru sous le titre « Amour et altérité » in Cliniques méditerranéennes, 2004/1, 69, pp. 13-19.

[4] Le Questionnement psychanalytique et l’École de Psychanalyse Sigmund Freud.