Freud à Bloomsbury H. Michaud

Freud à Bloomsbury

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Freud à Bloomsbury

Henriette Michaud [1]

Fayard Ouvertures

James et Alix Strachey passeurs

 

Depuis son enfance, Freud a été attiré voir fasciné par la culture anglaise. Si l’on connaît sa méfiance vis-à-vis des Etats-Unis, par contre son amour de l’Angleterre et de sa culture ne s’est jamais démenti. C’est d’ailleurs, on s’en souvient, dans ce pays qu’il trouvera, à la fin de sa vie, refuge et réconfort. Il demandera même la nationalité britannique mais ne l’obtiendra pas car il est, comme l’indique Henriette Michaud, désigné comme étant malgré tout « enemy Alien. » Nous sommes alors à l’automne 1939. Freud achève sa vie, fuyant son pays et les Nazis.

 

Retour en arrière. Nous sommes en 1924. La psychanalyse est à un tournant. Sa pérennité ne tient qu’à un fil. Certes au congrès de Salzbourg qui se tient cette année-là en l’absence de Freud, trop malade, tout ce que l’Europe compte de psychanalystes se trouve réuni, mais comme pourront en témoigner James et Alix Strachey qui y assistent pour la première fois en tant que psychanalystes, les dissensions sont importantes et les oppositions marquées entre différents courants qui s’opposent. De plus même si l’on feint de l’ignorer et d’en minimiser la portée, le cancer de Freud est sur toutes les lèvres. Que se passera-t-il quand le fondateur de la psychanalyse, son principal théoricien, celui qui fait tenir ensemble toutes ces personnalités hétéroclites disparaîtra? (1); . La psychanalyse est à la fois une théorie et une pratique clinique. Le paysage, en 1924, est sous ces deux aspects plutôt contrasté et pas vraiment enthousiasmant du point de vue de Freud. La théorie part dans tous les sens et les praticiens sont pour le moins des débutants à part quelques figures comme celles de Ferenczi et d’Abraham. Et cela sans même parler de tous les charlatans qui disent et font absolument n’importe quoi au nom de la nouvelle science, ce dont le couple est d’ailleurs le témoin consterné.

 

Le salut, pour Freud, consisterait à sortir de la sphère purement germanique pour s’ouvrir au monde anglo-saxon. Pour cela il lui faut des traducteurs fiables de son œuvre plus encore que des candidats analystes formés sur son divan. Il y a certes, des postulants mais aucun ne semble à même de remplir correctement cette tâche soit par insuffisance comme traducteur soit dans l’incapacité de pénétrer dans la subtilité du texte de Freud. Il y a bien Joan Rivière qui a déjà traduit certains textes de Freud semble-t-il avec l’approbation de Freud, mais certains autres postulants sont très loin de satisfaire aux critères extrêmement exigeants que réclame la traduction de l’œuvre de Freud.

 

C’est là que l’apport du couple Alix et James Strachey va se révéler décisif. Ils sont tous deux membres d’un mouvement nés de l’envie de certains étudiants de Cambridge d’échapper enfin à l’emprise de la morale Victorienne qui s’achève. Dénommé Bloomsbury du nom du lieu où se tenaient les premières réunions, ce groupe très restreint et très élitiste va avoir une influence déterminante non seulement sur la diffusion de l’œuvre de Freud et de la psychanalyse, mais plus généralement sur le renouveau de la culture en Angleterre.

 

Au sein de ce mouvement le couple James et Alix Strachey va se lier avec le couple non moins célèbre de Leonard et Virginia Woolf. À cette époque Leonard Woolf vient de lancer sa maison d’édition Hogarth Press qui va devenir une des plus célèbres du Royaume Uni. C’est au sein de cette maison d’édition que les traductions des textes de Freud seront bientôt publiées.

 

James et Alix Strachey ont fait l’un comme l’autre un séjour plus ou moins long sur le divan de Freud. Alix, pour sa part fera une autre tranche avec Karl Abraham et Ernest Jones. Aux yeux de Freud Ils s’avèrent rapidement les seuls à même de traduire les textes que Freud continue à publier et ce, au grand dépit de plusieurs postulants dont Jones que Freud décidément assez acerbe avec certains de ses élèves, écartera sans ménagements. (« vous n’avez rien d‘autre à faire ! »). Ce dernier se consolera en écrivant une biographie en trois volumes qui sera prise comme référence dans un premier temps mais rapidement contestée ensuite.

 

C’est l’histoire passionnante de ce couple que nous retrace Henriette Michaud ; C’est grâce à leur travail acharné que paraîtra au bout de 20 ans la Standard Edition. La traduction la plus fiable de l’œuvre de Freud parfois préférée par certains aux traductions locales notamment françaises. La psychanalyse est-elle sauvée par le fait même de cette traduction ? Freud semble-t-il le croyait . Beaucoup pourtant voulaient sa peau et aujourd’hui encore elle suscite semble-t-il chez certains un désir violent de meurtre comme en témoigne le dernier numéro de l’Express, mais la vieille dame a la vie dure. Pourvu que ça dure disait la mère de Napoléon quand on lui rapportait les victoires de son fils…

 

Laurent Le Vaguerèse

 

  1. il en sera de même pour les derniers moments de Lacan et je serai le seul à avoir évoqué publiquement. l’après Lacan bravant à mes dépens l’hypocrisie régnante

[1] Henriette Michaud me signale la traduction de cet ouvrage  en espagnol par Maria Del Carmen Rodriguez et publié chez Manantial en Argentine. Par ailleurs une nouvelle édition révisée de l’œuvre des Strachey vient de paraître à Londres et donne lieu à un colloque à Bloomsbury auquel participe H.Michaud