La filiation en question

Le plus intéressant dans un livre, ce sont les portes qu’il ouvre, les réflexions qu’il suggère. Et, de ce point de vue, l’ouvrage de S.Ginestet-Delbreil ne démérite pas ! Et les problèmes qu’elle aborde sont fondamentaux. Nul être humain n’échappe à la question de la différence des sexes et de la sexuation. Comment s’acquiert l’identité sexuelle de chacun ? L’abord par le biais des fonctions parentales donne un éclairage original et bien fécond… Ce qui pouvait paraître simple hier ne l’est plus aujourd’hui, et l’actualité ne cesse de souligner la confusion des rôles et le gommage organisé des différences institutionnelles entre hommes et femmes. Le phallocentrisme véhiculé par la tradition psychanalytique n’est pas sans responsabilité. Et que devient la filiation dans un monde où l’enfant, grâce, entre autres, aux progrès de la science, devient un « produit », et non plus le fruit d’un couple, dont le droit à l’acquérir provoque un foisonnement de débats juridiques contradictoires ? S.Ginestet-Delbreil n’y va pas de main morte pour aborder ces situations, et d’autres, qui pourraient bien menacer l’avenir de l’humanité. Ce n’est pas par hasard que le monde change. Elle convoque donc l’Histoire, son emprise sur l’évolution des sociétés humaines et leurs cultures, et ses retombées dans la conceptualisation des théories, particulièrement en ce qui concerne le phallocentrisme psychanalytique. La « métaphore paternelle » n’a pas été sans faire quelques dégâts, en oubliant que la nomination du Père est un dire de femme… La construction psychique d’un être humain est infiniment complexe, et les convictions affirmées ne sont jamais aussi indépendantes et libres qu’on le croit. Et des enjeux politiques, des engagements partisans, les revendications féministes et homosexuelles viennent contribuer à brouiller les cartes. Être un enfant n’est pas si facile de nos jours lorsque non seulement la cellule familiale se désagrège, mais que les mères porteuses, les dons de sperme – ou d’ovules -, les filières d’adoption, favorisent le secret des origines, alourdi parfois des secrets portés par le « roman familial ». Jamais la quête des origines n’a autant été sollicitée pour lutter contre le désarroi identitaire aussi bien des adultes que des enfants. S.Ginestet-Delbreil, riche de ses lectures et de son expérience clinique (superbes illustrations cliniques), dénonce avec vigueur les dérives perverses de certains combats induits par des illusions idéologiques, soutenant une guerre des sexes  ravageuse. Et que dire des perspectives du clonage, d’un futur où la création d’un être humain pourrait se réduire à une manipulation de laboratoire ? Solution qui ne peut être que « solution finale » pour l’humanité. L’égalité des sexes n’est pas, ne doit pas être, abolition des différences, mais ouverture et enrichissement dialectiques. La place qu’elle donne à la Parole de la femme dans la filiation n’est surtout pas à prendre comme une revendication « féministe » : les acquis de l’anthropologie comme de la psychanalyse viennent à l’appui de sa thèse. « La langue est maternelle » écrit-elle dans sa conclusion. Ce raccourci lapidaire ne peut qu’évoquer l’incarnation du Verbe – ce qui, dans une autre perspective, celle de G.Pankow, fait d’un « Körper », un corps « mort », un « Leib », corps vivant et habité. Ou, en d’autres termes, l’Imaginaire est bien « la folle du logis » si le Symbolique, et les Lois naturelles qui le fondent, ne sont pas respectées. S.Ginestet-Delbreil est certainement une psychanalyste « engagée », mais surtout engagée dans un authentique travail de pensée et de réflexion. Le regard qu’elle porte sur notre société, notre époque, est d’une envergure remarquable de clairvoyance.

Ce livre risque de bousculer sérieusement pas mal de préjugés érigés en vérités dogmatiques et prétendues définitives. On pourrait même craindre que le « politiquement correct » ne cherche à en combattre l’impact. Or c’est un livre important, à lire, à faire lire, et à soutenir. Il est passionnant (et agréablement écrit de surcroît, comme les ouvrages antérieurs de l’auteur).

Le « livre de l’année » ?

M.L.Lacas