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Pierre Kammerer : « L’enfant et ses traumatismes » Huit psychanalyses en CMPP
Pierre Kammerer n’est pas un débutant. Cela se sent très vite dès les premières pages. Son livre est le fruit d’une expérience et c’est cette expérience dont il nous fait part. Il se réfère aux auteurs classiques de l’enfance : Winnicott, Mélanie Klein, Anna Freud. D’autres auteurs sont cités également à l’instar de Geneviève Haag. Et ce n’est pas un hasard s’il se trouve publié dans la collection dirigée par Catherine Dolto car Françoise Dolto, dont il a semble-t-il suivi l’enseignement, est également souvent citée
Sa pratique se déroule au sein d’un CMPP (Centre Médico-Psycho Pédagogique). C’est également le cas de la majorité des psychanalystes qui travaillent auprès des enfants. Il faut souligner l’importance sociale de ces lieux de soins gratuits qui réunissent des intervenants multiples notamment des psychiatres, des orthophonistes, des psychomotriciens etc. Il est à noter que l’on y retrouve souvent des cas très difficiles parfois confiés, du fait de leur difficulté même, à de jeunes confrères inexpérimentés ce qui est tout à fait regrettable et le signe d’un dysfonctionnement institutionnel.
Travailler avec d’autres intervenants que l’on n’a évidemment pas choisis, présente des avantages mais aussi des inconvénients. Si l’on peut faire un léger reproche à l’auteur c’est de ne pas nous faire au moins une brève présentation introductive, à destination du public non averti, de ce que sont les CMPP, leur fonctionnement etc. Certes ce n’est pas le propos du livre mais beaucoup de parents seront attirés par le titre de l’ouvrage et ils ne sont pas forcément avertis du fonctionnement de ces institutions.
À plusieurs reprises dans le livre, on perçoit les tensions liées au fonctionnement institutionnel ainsi qu’aux désaccords avec la pratique de l’auteur dont l’équipe semble témoigner. Ces difficultés, tous ceux qui ont travaillé en institution les connaissent. L’auteur se contente de les évoquer de façon allusive alors qu’elles pèsent souvent lourd dans la balance.
On pourra également regretter le titre donné à cet ouvrage. Traumatisme est un terme qui évoque seulement la réparation pour le commun des lecteurs soit ce qui est plus récemment ressorti associé au processus dit de résilience. Or il s’agit ici de tout autre chose et l’on ne verrait pas autrement ce qu’un psychanalyste viendrait faire dans cette galère.
Venons en maintenant aux aspects positifs de l’ouvrage et l’on verra qu’il n’en manque pas. L’expérience de Pierre Kammerer se traduit par des choix posés en raison, explicités et revendiqués. Disons tout de suite que ces choix me paraissent, à de rares exceptions sur lesquels je reviendrai, comme justifiés et concordants avec ma propre expérience en ce domaine, alors qu’ils viennent en opposition avec une doxa-sans doute en voie de révision-ce qui est pour le moins encourageant.
Ces choix sont fondamentaux et ils déterminent la pratique qui en découle ainsi que la possibilité ou non que le processus analytique se déroule. Ainsi en est-il de la nécessité absolue de recevoir les parents de l’enfant ainsi que les principaux membres de son entourage au début puis régulièrement tout au long de la cure parfois avec l’accord de l’enfant. Au nom d’une idée erronée de la « pureté » analytique, beaucoup d’analystes ont choisi de recevoir les enfants comme ils reçoivent les adultes c’est-à-dire avec le moins d’interférence possible avec la réalité et la parole de l’entourage, se distinguant de la sorte de la pratique psychiatrique que la psychanalyse a diabolisée de longue date. Or le choix de Pierre Kammerer est rigoureusement inverse. Il s’appuie d’ailleurs sur Winnicott pour faire des parents des co-thérapeutes de l’enfant. Disons le cependant, ce n’est pas toujours possible. L’auteur en convient d’ailleurs et va même jusqu’à intervenir auprès d’un juge afin d’écarter un enfant de l’un de ses géniteurs, en constatant les effets gravement perturbateurs que la rencontre avec ce dernier, jugé pervers, provoque sur son jeune patient.
La conduite de la cure amène parfois Pierre Kammerer à transgresser plusieurs règles d’or de la psychanalyse et ainsi s’autorise-t-il dans un certain nombre de situations à intervenir dans la réalité. On vient de le voir dans la lettre qu’il adresse à un juge. Il en donne plusieurs autres exemples. Ainsi est-il amené à prendre contact avec l’institution scolaire dans laquelle se trouve un enfant qui, de par son comportement violent, se trouve sous la menace d’une exclusion et d’un placement dont l’issue paraît mettre en danger la cure et surtout l’avenir de cet enfant. Cette intervention dans la réalité est globalement condamnée par la théorie, mais chaque fois que l’auteur s’y autorise au moins précise-t-il avec pertinence, à la fois les limites et les risques qu’il encourt et les raisons qui le font agir.
Comme le note Annie Topalov dans l’une de ses remarques à Pierre Kammerer, l’attitude commune serait plutôt : « tant que ça marche, ça marche, et, dès que la difficulté pointe, on renonce sous prétexte de rester à sa place »
On voit que la clinique que nous rapporte Pierre Kammerer n’est pas de tout repos et bien des analystes auprès des enfants s’y reconnaîtront. Les situations présentées sont souvent banales : désinvestissement et échec scolaire, violence à l’école, enfants adoptés en quête d’identité, situations liées à un divorce, à la disparition où au départ subit de l’un des parents etc. À la diversité des situations rencontrées s’ajoute la difficulté liée à l’extrême étendue des âges des consultants. La durée des cures varie également beaucoup allant de quelques séances à plusieurs années. Dans certains cas rapportés ici , l’on se trouve face à une situation exceptionnelle. C’est le cas de Florian dont l’analyse est ici racontée en détails.
Voici en quelques mots ce dont il s’agit : La mère est enceinte de Florian quelques semaines après que celui que Pierre Kammerer refuse d’appeler son père et nomme seulement son géniteur, eut tué, dans une crise de folie, la sœur aînée de Florian. Naître d’un père assassin de sa sœur semble avoir ouvert un gouffre sous les pieds de Florian lequel s’identifiant à son « géniteur » s’était créé un personnage de héros violent, les autres enfants de son entourage en faisant les frais ainsi que le personnel enseignant de l’école où il était, sa maîtresse étant dans le rôle de la mère impuissante à protéger ses enfants.
S’engager dans cette cure a demandé à Pierre Kammerer beaucoup de courage et d’intelligence. Il a pu s’appuyer sur un contrôle qui dit-il l’a beaucoup aidé à se repérer dans le transfert ainsi que sur les discussions au sein d’un cartel (non nommé comme tel) et dont les remarques sont ici rapportées. On ne peut que souscrire à la remarque d’Annie Topalov parlant du travail de l’auteur : « Sa pensée est d’une grande clarté, et sa manière de rebondir et d’inventer avec Florian marque son engagement transférentiel jusqu’au bout ». C’est en effet cette constante invention qui rend le travail avec les enfants si intéressant mais aussi si difficile et épuisant car toujours en équilibre sur un fil et jamais assuré de ne pas s’égarer.
Toutefois, il faut bien le dire, à certains moments on a envie de crier « casse-cou ». Dans le récit de l’analyse de Florian en particulier ou les jeux de nature psychodramatique entre Florian et Pierre Kammerer atteignent une dimension où l’érotique du corps des deux protagonistes se trouve complètement engagée S’il est relativement aisé de jouer la violence, jouer avec l’érotisme est beaucoup plus risqué. Comme le note Claire Michelon Fauriaux faisant allusion à une séquence dans laquelle Florian frappe Pierre Kammerer et une autre dans laquelle il se propose de le sauver en lui faisant du bouche à bouche , elle s’interroge « jusqu’où puis-je aller avec un enfant, en particulier dans ce que je donne de mon corps ? » et Pierre Kammerer de préciser qu’il s’est toujours agi de mimer la scène et non de l’agir effectivement. Cependant, j’ai pour ce qui me concerne ,tout lieu de m’interroger sur ce dont il s’agit dans le mime en question : qu’en est-il de la limite entre le mime et l’acte lui-même, frontière fort difficile à faire effectivement saisir et jouer par l’enfant.
On l’aura compris ce livre pose de multiples questions. C’est un livre qui stimule notre réflexion et nous interroge sur nos choix techniques et théoriques. Pendant la lecture , il n’est pas possible d’éviter de dialoguer en quelque sorte avec l’auteur et avec ce qu’il avance. Un excellent ouvrage en somme
Laurent Le Vaguerèse
Un complément au livre de Pierre Kammerer concernant la question de l'intervention/non intervention dans la réalité est en ligne dans la rubrique "articles". Nous vous invitons à en prendre connaissance.