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Ce livre porte bien sous sous-titre (Les conceptions de René Roussillon à l’épreuve de la clinique), car il ne s’agit pas réellement d‘un ouvrage collectif, mais bien d’un ouvrage tout entier centré sur les élaborations théoriques et pratiques de René Roussillon. Le livre en illustre bien la richesse, malgré son côté un peu disparate, inégal, et quelques redites, puisqu’il s’agit des comptes rendus réécrits d’une série de conférences et séminaires qu’a animés R. Roussillon à l’Université Libre de Bruxelles en 2007-2008.

Après la préface de B. Golse, qui insère cet ouvrage de psychanalyse dans le cadre des Monographies de Psychiatrie de l’enfant des PUF, le premier chapitre, sous forme de dialogue entre JP Matot et R. Roussillon, retrace l’itinéraire de sa pratique psychanalytique, qui a forgé son intérêt pour les prises en charge des personnes présentant des structures non névrotiques. Comme le commente J-P Matot : « transfert paradoxal, troubles de la réflexivité, médium malléable, place centrale de l’affect dans le travail de l’analyste, c’est la boîte à outils du psychanalyste du XXI° siècle ».

La première conférence porte sur la réflexivité, le transfert paradoxal et les réactions thérapeutiques négatives, et les adaptations sur mesure que l’analyste doit pouvoir faire du cadre de la cure type à chaque patient :

« Cette manière de travailler se heurte parfois aux idéaux de notre groupe de référence professionnel. On a alors tendance à se sentir coupable, et à moins se permettre de s’adapter parce qu’on se sent coupable. Avoir à sa disposition une élaboration théorique des questions techniques permet de se laisser vivre beaucoup mieux nos propres réactions à ce qui se passe chez et avec nos patients. »

La première présentation clinique porte sur un enfant de 4 ans, particulière par l’exposé de l’articulation de la thérapie analytique de l’enfant avec la thérapie familiale systémique de la famille, qui montre bien l’intérêt de la malléabilité de l’outil thérapeutique au patient. Les commentaires de la thérapeute familiale Isabelle Duret apporteront sans doute un aperçu intéressant de la théorie systémique aux analystes qui ne sont pas accoutumés à ce mode d’abord. En outre, le fait même que soient exposés ces quelques principes de base dans un ouvrage relevant expressément de la psychanalyse, avec la reconnaissance que leur confèrent deux analystes reconnus comme R. Roussillon et JP. Matot, pourra permettre aux lecteurs, surtout s’ils ont une pratique avec des enfants, de rompre avec la tradition sclérosée de tenter d’appliquer le modèle de la cure type lors des thérapies analytiques d’enfants :

« Il me semble déterminant pour le succès de nos traitements en pédopsychiatrie d’arriver à ce qu’un espace de jeu se constitue des deux cotés, dans le monde interne de l’enfant et dans l’espace interactif et intersubjectif de la famille ».

La deuxième conférence porte sur « les souffrances narcissiques-identitaires », et est suivie de l’exposé de la cure d’un adulte, avec les différents aménagements du cadre que l’analyste a pu faire, suivant l’avancée de son patient : ici encore, l’intéressante discussion provoquée par ce cas nous invite à réfléchir devant chaque patient, et tout au long de la cure de chaque patient, au cadre initial, et aux éventuels changements de cadre qu’il nous faudra soit proposer, soit accepter, soit refuser au patient !

La troisième conférence porte sur les « cadres et dispositifs » :

« Les dispositifs cliniques psychanalytiques sont destinés à rendre symbolisables le transfert… ».

L’exposé clinique qui la suit porte sur la prise en charge institutionnelle d’un jeune enfant. Je l’ai, pour ma part, trouvée très factuelle, le fourmillement de détails précisés successivement par chacun des intervenants nuisant, à mon avis, aux possibilités de synthèse et de généralisation intéressants.

Enfin, le livre se termine par une « table ronde » animée par René Roussillon sur la question de la subjectivation. Après l’exposé des fils rouges théoriques qui guident sa pratique créative (« Ce qui fait souffrir, c’est que ce qui se passe n’a pas de sens », « S’il n’y a pas cette liberté [pour le patient], il n’y a pas de processus thérapeutique. Mais cette liberté, qui est très angoissante, doit être rendue tolérable »), René Roussillon conclue par une « injonction » qui me semble bien exprimer sa propre liberté : « Soyons complexes ».

En conclusion, le principal intérêt de cet ouvrage est de nous amener à réfléchir sur notre pratique, avec plus de liberté, créativité, « complexité ». Reste bien sûr le risque, et notre crainte, non évoqués dans l’ouvrage, de basculer de la créativité dans un marécage inutile, voire dans un dépotoir délétère pour nos patients…

Enfin, je ne suis pas certaine du « public » qui pourra s’intéresser à ce livre : globalement, d’autres ouvrages apportent aux pédopsychiatres des récits cliniques de cures plus réfléchis et fouillés. R. Roussillon, comme le rappelle B. Golse, et comme il ressort de ses commentaires, est un analyste d’adolescents et d’adultes, et non d’enfants jeunes comme deux des patients présentés ici. Mais les analystes d’adultes trouveront-ils un intérêt et même un accès à cet ouvrage de « psychiatrie de l’enfant » ? Quant aux non-analystes, je crains qu’ils n’aient un peu de peine à suivre les raisonnements théoriques complexes ici exposés…

Anne-Catherine Pernot-Masson