Daniel Oppenheim vient de quitter son travail à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy de Villejuif au sein duquel il oeuvrait depuis 1987. Une expérience donc de près de 25 ans avec des enfants dont certains vont guérir et certains vont mourir. Une expérience dont on ne peut sortir indemne certes, mais en quelque sorte une expérience hors du commun. Il est alors légitime de s’interroger : en quoi cette expérience peut-elle nous être utile dans notre pratique si celle-ci repose sur une clientèle d’enfants « tout-venant » et plus encore, si elle se limite aux adultes ?

Autre particularité du livre, bien que son titre annonce qu’il va s’agir de dessins faits par des enfants, aucun dessin ne s’y trouve ou interprété ou mis en illustration d’un propos théorique..

Daniel Oppenheim précise d’emblée sa position face au lecteur. Pas question de lui tresser des lauriers pour le courage dont il a fait preuve durant toutes ces années. On lui saura gré de s’être méfié de cette attitude, tout en ayant par-devers nous le sentiment que nous aurions, sans doute, été bien incapables, pour notre part, de soutenir une telle place sur le long terme, tant la mort d’un enfant est aux yeux de notre société actuelle, l’une des plus insupportables.

Quant au second point, l’absence de dessin comme support à sa réflexion, elle se justifie par l’objet même de l’ouvrage qui n’est pas de nous éclairer sur telle ou telle interprétation , mais de mettre l’accent au contraire sur l’attitude profonde que l’analyste doit adopter pour saisir l’essentiel du propos qui lui est adressé. S’il ne s’agit pas d’une innovation, sa position constitue un rappel nécessaire, rappel qui s’applique bien sûr à l’utilisation du dessin dans l’approche psychanalytique mais également à tous les outils utilisés que l’on désigne habituellement sous le terme d’objets de la médiation thérapeutique.(cf le livre « Les médiations thérapeutiques » Érès 2011 sous la direction d’Anne Brun)

Enfin, il précise, sans doute trop succinctement, sa place vis-à-vis des médecins, une place qui n’est pas la première. Ce n’est pas de lui dont dépend la guérison. Cette guérison, chacun l’espère et c’est elle qui centre le transfert en direction des médecins et du personnel soignant. Lui, il doit justifier de sa place auprès des parents, auprès de l’enfant et aussi auprès du personnel soignant lui-même. Ce rapport au « médical en tant qu’objet », réflexion si bien exposée dans les années 70 par le regretté Pierre Benoit, aurait sans doute nécessité de la part de Daniel Oppenheim, de plus amples développements.

Pour que le travail envisagé avec l’enfant atteint d’un cancer soit possible, il faut en premier lieu, bien entendu, que l’enfant accepte de s’y prêter. Il s’y refuse parfois soit explicitement soit implicitement, en ne donnant à voir que la reproduction de quelques stéréotypes. S’il accepte la main tendue du psychanalyste, les pièges d’une précipitation interprétative se dessinent aussitôt et tout particulièrement celle de voir dans toute représentation faite par l’enfant, un écho de son cancer.

Voir l’enfant au-delà de ce cancer, qui certes est présent ainsi que tous les traitements dont le caractère invasif n’est que trop avéré, impose à l’analyste d’être toujours vigilant. Car, et c’est une règle à laquelle il ne saurait y avoir d’exception, ce ne sont pas nos projections qui importent dans la cure, mais ce que le patient, lui, veut exprimer. Cet écran qui se place entre nous et l’enfant obscurcit notre possibilité de le comprendre. Il peut aller jusqu’à nous empêcher de saisir ce qu’il en est véritablement de la demande de l’enfant et de ses représentations imaginaires.

Mais alors qu’en est-il de l’autre affirmation de l’auteur qui écrit : l’interprétation doit toujours être prudente, car elle renvoie à l’enfant « une image, même partielle, de lui même, et cette image inclut la violence du cancer et elle pénètre, comme la maladie, en lui, avec sa force et son autorité ». On en conclut logiquement que le cancer, même s’il ne fait pas le tour de la question posée par l’enfant, envahit donc bien toute parole qui lui est adressée, fut-ce par le psychanalyste.

Daniel Oppenheim insiste sur la nécessité non seulement de prendre en compte le dessin, mais d’être attentif aux gestes de l’enfant au décours de son dessin. Cet accompagnement qui respecte le temps de l’enfant doit aussi être à l’écoute des commentaires qu’il fait de son dessin, de ses ratures, des hésitations de son trait, de la répétition des motifs, de leur place dans la feuille, des débordements éventuels hors de cet espace blanc laissant des traces sur la table. C’est un point certainement qui distingue l’approche de l’auteur de celle de Françoise Dolto, elle plus encline à interpréter le dessin en dehors de son geste.

Une autre position originale soutenue par Daniel Oppenhein, consiste dans la possibilité pour l’enfant de reprendre un dessin fait antérieurement. Il peut le regarder et même le modifier, lui adjoindre tel ou tel détail, changer sa couleur, etc. Le dessin devient alors un témoin d’une histoire qui s’inscrit dans le temps, et pas l’inscription d’un instantané, d’un arrêt sur image pourrait-on dire. Le temps du dessin est le temps du travail avec le psychanalyste , le temps de la relation avec l’analyste qui est celui de l’hospitalisation, mais qui peut se prolonger bien au-delà.

L’interprétation du dessin par l’analyste n’est jamais assurée, toujours proposée. C’est là encore un bien utile rappel en particulier pour les moins expérimentés de nos collègues. Explorateur en terre inconnue et fragile, le psychanalyste doit montrer d’abord à l’enfant dans quelle position il se trouve vis-à-vis de lui, c’est-à-dire être à son écoute, même s’il ne parvient pas à saisir tout ce que l’enfant souhaite exprimer et que sans doute, ils ignorent tous deux. Il n’en reste pas moins que cette attitude assure l’enfant d’une présence dont l’appui lui est nécessaire. Le dessin apparaît alors pour ce qu’il doit être : un espace transitionnel entre le psychanalyste et l’enfant. Il ne s’agit pas d’entrer ici dans le jeu des devinettes, jeu auquel parfois l’enfant lui-même invite le psychanalyste; le dessin de l’enfant est présence de l’enfant dans le dessin « de son corps, de sa voix, de son moindre geste » référence ici tant à Françoise Dolto qu’à Fernand Deligny.

Le livre de Daniel Oppenheim nous semble empreint du recul acquis au cours des années et témoigner avec sincérité de ce que ses patients lui ont appris. Il est une réflexion sur l’enfant, sur la position du psychanalyste dans la cure et sur bien d’autres questions notamment le rapport au médical. Sa lecture nous apparaît par conséquent se révéler utile à tout psychanalyste quelle que soit sa pratique.