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Figures du féminin en Islam Houria Abdelouahed
Si le terme de mondialisation est un terme relativement récent, il y a des siècles que l'attention des peuples se tourne tour à tour vers telle où telle région du monde parfois par une curiosité vite apaisée sur une contrée exotique, image sans doute d'un bonheur espéré mais lointain, mais le plus souvent parce que s'y déroule un conflit sanglant auquel les populations se trouvent confrontées. Que l'on songe à ces cartes des deux guerres mondiales, aux contours d'une Algérie ensanglantée, aux noms devenus familiers pour toute une génération de Saigon, Dien Pien Phu, Da Nang et autre 17e parallèle. Aujourd'hui, si nos yeux se tournent vers le monde arabo-musulman, dont le décor de pacotille des clubs a pris plus récemment un autre visage grâce à ce que l'on espère être des révolutions au sens commun du terme, c'est sans doute avant tout par l'interpénétration des cultures via l'immigration de populations venues de ce monde et des conflits qui en résultent à l'intérieur même de notre pays.
La religion musulmane en France, tend de plus en plus à s'afficher dans l'espace public et revendique à juste titre toute sa place dans la République au grand dam de certains qui y voient une véritable agression et une atteinte à l'identité nationale. Ce qui frappe simultanément, c'est que le retour à la religion d'une partie de la population issue de l'immigration et qui touche en particulier mais pas seulement, les jeunes des cités, se double d'une méconnaissance profonde des fondements de la religion musulmane. On peut penser que ce n'est qu'une étape et que l'issue heureuse attendue sera précisément que ce comportement religieux conduise dans un second temps à une véritable intégration de la richesse culturelle sur laquelle elle s'appuie. Pour le moment, force est de constater que c'est le comportement qui prime sur la culture.
Pour le psychanalyste, il y a là plus qu'une invitation à se pencher sur l'islam et la religion musulmane, invitation à laquelle le livre d'Houria Abdelouahed répond par l'aspect qui nous frappe le plus, à savoir la place des femmes tant dans la société qu'au sein de la religion elle-même. Non que les sociétés et les religions occidentales soient exemptes de toute critique en ce domaine, tant s'en faut, mais l'écart semble immense et chaque prise de pouvoir par des représentants de l'islam dans les pays du monde arabo-musulman nous apparaît grosse d'une menace qui pèse d'abord sur elles et par identification les femmes, et pas seulement les femmes, éprouvent un profond sentiment de crainte et de solidarité, voire d'appréhension.
Il n'est jamais facile et peu recommandé d'avouer son ignorance. Pourtant c'est le sentiment que le livre d'Houria Abdelouahed nous a d'emblée fait éprouver. Que savons-nous du Coran, terme traduit par Chouraqui par Un Rappel (de la Bible texte « falsifié ») ?. Que sais-je de ce qui constitue en quelque sorte le roman familial de millions d'hommes et de femmes dans le monde, des luttes intestines qui ont marqué les débuts de la conquête, de ce qui demeure des schismes dont les effets se font sentir encore aujourd'hui et de quelle manière entre chiites et sunnites : rien ou presque. Une collègue de l'auteure lui rapporte d'ailleurs : « Lorsque j'écoute des patients arabes, je sens que c'est trop étranger ». Et l'auteure en retour d'ajouter que pour elle, à contrario, c'est la trop grande familiarité qui peut s'avérer un obstacle à l'écoute par le retour d'une part psychique non symbolisée. Transformer grâce à la psychanalyse l'histoire légende en histoire travail en prenant pour objet le rapport du féminin à l'Islam, tel est en somme le propos de ce livre.
Nous voici donc transportés en terre inconnue. Notre guide nous fait tout d’abord découvrir les femmes du prophète et cette approche nous révèle en quelque sorte une figure possible et matériellement incarnée du père de la horde. Un orphelin qui perd son père alors qu’il n’est pas encore né et sa mère à 6 ans, qui n’aura pas de fils mais seulement des filles et pour qui les femmes vont avoir une importance énorme.
Si le christ est Dieu qui s'est fait homme, c'est un homme sans sexualité. Non seulement à cause du dogme certes tardif de l'immaculée conception, dogme qui suscita au moyen âge quelques remous, mais aussi et surtout parce qu'aucune conjugalité ni sexualité ne lui sont reconnues ; La rencontre avec Marie-Magdeleine la « pécheresse » sous entendu la prostituée, n'entache en rien ce tableau. Rien de tel chez Mahomet, homme entouré de femmes multiples, jouant vis-à-vis de lui tour à tour, ou le plus souvent simultanément, le rôle de mère, d'épouse, de fille et de maîtresse.
Voici donc la première Khadija, l’épouse – mère, la seule qui aura des enfants. De mère, le prophète n’en manque guère lui qui en possède déjà quatre : « Amina qui le mit au monde, Halima qui l’allaita, Baraka Bint Tha’laba qui l’éleva après la mort de sa mère, et Fatima Bint Assad qui le vit grandir. »
Puis vient Aïsha, « la mémoire des croyants et la mère des musulmans » la petite rousse, mais aussi l’infidèle qu’il épouse alors qu’elle a 6 ans, posant la question de la rencontre de l’enfant avec la sexualité effractive de l’adulte. Après l’épouse-mère vient donc l’épouse-fille.
D’autres figures féminines telle Zaïnab, émergent du récit coranique nécessitant l'intervention de l 'Ange pour son mariage avec le prophète. Zaïnab parvenant après un parcours tortueux à ses fins : devenir l’une des femmes du prophète et dessinant au bout du compte l’image de la femme séductrice qui rappelle la figure de Zuleikha, la femme fatale, figures auxquelles l’homme musulman puise sa méfiance à l’égard de toutes les femmes, mais aussi celle qui fait revenir Mahomet sur l’adoption de son fils auquel elle est mariée afin que ce dernier puisse l’épouser. Il en résultera, nous dit Houria Abdelouahed, une régression de l’Islam qui dès lors ne reconnaîtra plus que la filiation par le sang en régression sur le droit Romain.
Chacune d’entre elles fournit à Houria Abdelouahed l’occasion d’une réflexion psychanalytique sur la place de la femme dans le corpus coranique et par extension dans le monde arabo-musulman. Le mélange permanent des places occupées par chacune, introduit une confusion voire un renversement qui soulève autant de question. Ainsi de Fatima, l’une des filles du prophète, la première a entrer avec lui au paradis, qu’il désigne comme étant… sa mère.
En conclusion de cette première partie l’auteure écrit : « (dans l’imaginaire musulman) la femme reste un corps, possédé ici-bas et dans l’au-delà. La jouissance sera masculine et la femme, pour mériter le Paradis, doit faire preuve de soumission. Comment sera-t-elle récompensée ? un voile sur sa sexualité de femme. Son destin se trouve ainsi scellé : obéissance ici-bas et chasteté dans l’au-delà. Ainsi en va-t-il des femmes dans les traités de théologie »
La deuxième partie de l'ouvrage porte sur la poétique du sexuel. L'Islam, en la figure de Râbi'a, possède sa représentante de la mystique féminine ; Par elle s'ouvre l'amour sensuel du divin, précédant celle de Thérèse d'Avila pour les catholiques. Pour elle, le Paradis ne sera pas le lieu matérialiste du plaisir sexuel mais de l'union avec l'Un. Elle est celle qui ouvre le chemin de l'iconoclastie dans la religion musulmane contestant l'utilité même de la Ka'ba. Avec un détour du côté d'ibn Arabi, Houria Abdelhouaed nous invite à une réflexion sur la question éternelle du féminin chez Freud. On perçoit l'irritation qu'elle ressent devant l'anatomisme freudien dont elle déconstruit le raisonnement en s'inspirant de l'approche d'Ibn Arabi sur l'écriture et la lettre et conclut que « le sexe n'est pas dans le visible mais dans le lisible »
La troisième partie : lorsqu'une femme raconte l'éros (dans son infinie complexité), s'appuie sur le texte des Mille et une nuits. Schéhérazade lutte chaque nuit, tel l'ange de la Bible, contre la mort promise et en sort victorieuse, sauvant les femmes musulmanes. Mais elle n'est pas seulement cela. Par son récit, par son art, elle guérit le roi de sa blessure narcissique-Un esclave ayant séduit son épouse-mais peut-on réduire sa blessure à ce seul aspect ?. Peut-être s'agit-il au fond de guérir l'homme de ce qu'il rencontre par elle, d'insoumis et d'insaisissable, de sécurisant et de terrifiant, de jouissance et de mort mêlés.
Nous disions en introduction notre désarroi face au gouffre de notre ignorance. Et si l'écriture de ce livre est à la fois très belle et très poétique, le goût de l'auteure pour les citations entraîne parfois une certaine dispersion de la pensée. D'autre part, il nous a semblé que l'auteure nous prêtait souvent un savoir que nous étions loin de posséder. Le livre foisonne de pistes multiples, trop parfois. Chacune des parties du livre, mérite assurément un ouvrage entier. Le format réduit ne doit donc assurément pas nous conduire à une lecture trop rapide qui nous ferait perdre le fil. On doit au contraire prendre le temps de lire posément chacun des chapitres qui ouvrent sur des pans entiers de savoirs et de réflexions qu'il nous faudra du temps pour explorer.
Comments (1)
Message :À une époque où le sujet est souvent réduit à son symptôme et à une existence de plus en plus médicalisée selon les termes de Roland Gori , le livre de Catherine Grangeard constitue une véritable opération de délestage. Les personnes stigmatisées comme obèses peuvent, après sa lecture se sentir soulagés d‚un grand poids, celui d‚une parole enfermée depuis longtemps dans un corps vécu comme difforme et pesant. Le sujet qui l‚occupe ne le reconnait plus car il s‚avère de moins en moins conforme à l‚mage que lui avait laissé l‚expérience du stade du miroir décrite par Lacan celle qui fonde la première identification. L‚épreuve spéculaire devient insoutenable. De ce point de vue, la clinique du grand âge nous montre le même écart entre cette image spéculaire originelle qui, comme le dit Paul Laurent Assoun ne prend pas une ride et celle de la réalité d‚un corps vieillissant qui est devenue insupportable et de plus, trop souvent confirmée par un discours et des représen
tations négatives voire mortifères.
Par manque d‚identifications, l‚identité en prend un coup
Comme son corps suscite un malaise chez les autres et chez lui-même, voire lui fait horreur, le sujet en surcharge pondérale, pour user d‚une expression médicalement correcte, se tourne désespérément vers la réduction draconienne de ses besoins à l‚aide d‚un régime amaigrissant sous contrôle médical.
Les réponses qu‚il reçoit du côté de cette hygiène de vie médicalisée font l‚impasse sur sa vie psychique. Pour trouver ou retrouver la demande et le désir il faudra repasser plusieurs fois les plats en se posant des questions sur le plaisir et la satisfaction qui s‚enracinent dans les premiers soins et qui ont tant marqués notre corps. On oublie souvent les rituels alimentaires de notre enfance : "Une cuillérée pour papa, une cuillérée pour maman ou∑ pour ton grand frère".
De quoi le sujet en surpoids se nourrit- il hormis de la nourriture terrestre qui lui est interdite par les régimes ? Quel rôle et quelle fonction cette nourriture a-t-elle pour lui ? Comment peut-on vivre son obésité dans une médecine hygiéniste qui ramène le patient obèse à un consommateur abusant de la nourriture sans souci authentique pour sa souffrance psychique ?
Cette fracture et ce malaise dans la psychosomatique réduit immanquablement le sujet à son surpoids au détriment de son histoire personnelle.
Donner du sens peut alléger le corps et l‚âme. C‚est ce dont les patients de C.Grangeard témoignent à travers leur histoire de vie
Ces témoignages cliniques sont particulièrement éloquents. Ainsi la dénommée "35 tonnes" par son propre frère qui ne s‚aimant plus elle même ne cherche plus à se faire aimer par un homme qui deviendrait objet de remplacement d‚un amour paternel vécu comme irremplaçable. La représentation de la perte d‚amour paternel avec la culpabilité qui s‚y attache nécessaire à la poursuite de sa vie de femme est vécue comme un risque difficile à assumer. Une telle représentation lui permettrait pourtant peut être de se refaire un corps délesté du poids d‚un amour Oedipien mais aussi de se libérer d‚un amour fraternel trop protecteur en dépit de la haine que ce frère lui voue.
Pour conclure Catherine Grangeard conduit avec son écoute analytique, à travers ce livre, des patients obèses parfois maltraités d‚un point de vue social et relationnel mais aussi « mal traités » sur le plan de la médecine vers cette « talking cure » chère à Freud. Ces rencontres thérapeutiques s‚avèrent salutaires pour certains, sans doute plus difficiles à poursuivre pour d‚autres mais elles font dire et penser au petit Lucas dont l‚histoire est jalonnée de honte, de rejet et de culpabilité que quand nous arrivons à parler « nous ne sommes pas que gros »
Patrick Linx psychologue ˆpsychanalyste
Le Kremlin Bicêtre juillet 2012
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