dans la cure de l'adolescent et de l'adulte

L'événement juvénile dans la cure de l'adolescent et de l'adulte

Tristan Garcia-Fons et Jean-François Solal

 

Tristan Garcia-Fons et Jean-francois Solal sont tous les deux pédo-psychiatres. Ils ont donc l'habitude de recevoir des adolescents et de jeunes adultes. Cette pratique qui m'est également familière, donne a ceux qui s'y collent une approche assez spécifique dont les auteurs témoignent dans cet ouvrage. Chacun sait à quel point les adolescents posent souvent des problèmes aux adultes de leur entourage. Il n'est pas rare dans ces conditions que ce soient les adultes qui soient les premiers à s'adresser au psychanalyste ou au psychiatre, témoignant du comportement, vécu par eux comme inquiétant ou insupportable, de leurs enfants.

 

Cependant, ceux-ci viennent également par eux-mêmes lorsque la nécessité s'en fait sentir. il est bien évident que cette hypothèse est de loin préférable sinon, comme parfois avec l'enfant, le psychanalyste se heurte à un mutisme qu'il est  difficile de vaincre. La confiance ne s'achète pas, elle ne se force pas, elle se mérite.

Se colleter avec les jeunes adultes est de ce fait une pratique qui bien qu'un peu acrobatique, présente l'énorme avantage de forcer le praticien à sortir des sentiers battus et l'oblige à inventer au fur et à mesure une façon originale et singulière d'intervention dans la cure, ce dont les auteurs témoignent tout au long de cet ouvrage.

C'est bien entendu la question du transfert qui se pose d’emblée. Sans détour, mais en témoignant parfois d'un certain embarras, les auteurs n'hésitent pas à rapporter des situations au cours desquelles ils ont eu l'impression de franchir la ligne jaune qui sépare une position analytique d'une position d'adulte face à un patient qui pourrait être leur propre enfant. Il ne me semble pas cependant que cela pose un problème sauf à s'inquiéter de s'éloigner d'une hypothétique pureté analytique. Au contraire c'est une position certes un peu acrobatique mais qu'il faut savoir pleinement assumer même si elle est difficile à expliquer aux collègues. De toute façon le transfert on en est toujours dupe et  on a bien tort d'adopter  une position de défensive à l’encontre de ce dernier. Il faut savoir la plupart du temps accepter de s'y laisser prendre et se faire confiance.

Ce moment juvénile, les auteurs le distinguent de l'infantile et même du passage adolescent et l'on peut déduire de leur réflexion qu'ils ne limitent pas ce dernier à un moment mais à plusieurs. De fait, ce moment n’a de juvénile que le nom. Il se produit chaque fois que le corps impose sa loi : ménopause, maladie, handicap, vieillissement, . Étape incontournable. On la franchit ou on ne la franchit pas et dans ce cas, l'on en reste à l'étape antérieure avec tous les inconvénients que cela suppose.

 Car ce refus conduit celui qui recule devant l’obstacle à se maintenir dans cet entre-deux tout à fait inconfortable. Quant à l’entourage, il a bien du mal à réaliser la difficulté que représente pour le sujet cette entrée dans  cette nouvelle étape de la vie.  il en résulte ces moments d’incompréhension mutuelle, source d’éventuels affrontements, repliements sur soi etc.

C’est la perspective d'une rupture, d'un impossible retour en arrière qui produit ce flottement.

" c'est parce que la maturité sexuelle ouvre à une possibilité qui est aussi un impossible, que l'adolescent est pris de vertige devant l'imminence de son acte et recule devant ses conséquences. Il n'est pas sans savoir qu'il est castré, que les figures parentales sont en voie de désidéalisation que rapport sexuel dont on lui rebat les oreilles est une escroquerie et le confronte à l'irrémédiable inadéquation entre les sexes"

Tristan Garcia-Fons et Jean-François Solal font le tour de diverses situations dans lesquelles l'adulte jeune pris dans ce temps d'incertitude trouve ou pour le moins cherche à s'extraire de ce tourbillon. La fiction, la rêverie, le shit avec ceux qui « comatent » et ceux qui sont en position de voyeurs, les piercings et autres tentatives d'inscrire du définitif à même leur peau tracent les contours de ce "moment". Quant aux acting-out si fréquents avec cette population, les auteurs les inscrivent dans la difficulté permanente ressentie par ces jeunes à exprimer ce qu'ils ressentent en utilisant le langage.

Les exemples que prennent les auteurs pour illustrer leur propos sont choisis dans leur expérience de praticiens et de contrôleurs mais aussi dans la littérature et le cinéma. Ils insistent à juste titre sur l'écart entre le vécu d'une situation et sa compréhension à posteriori. Ajoutons que cette compréhension est rarement une. Chaque étape de la vie entraîne une nouvelle compréhension des évènements du passé, complémentaire ou différente de la précédente et toujours surprenante.

L'ouvrage qui nous est proposé ici n'est jamais pesant. Il parlera à tous ceux qui sont confrontés aux jeunes gens et jeunes filles d'aujourd'hui et évoquera tant aux parents qu'aux éducateurs et aux analystes des situations bien connues et parfois difficiles à comprendre. Mais au-delà, c'est aux étapes de la vie de chacun que ce livre renverra utilement.

Note à propos du livre de Christine Angot "un amour impossible"

  • Le hasard de mes lectures estivales m'a conduit à aborder ce livre qui fait, en partie, écho au travail de Tristan Garcia-Fons et Jean-François Solal. Bien que n’ayant jamais lu de roman de Christine Angot, l'histoire de l'inceste paternel qu'elle a subi adolescente m’était cependant connu car il a fait l'objet de plusieurs de ses livres et des commentaires qui en ont résulté.

Christine Angot, dans cet ouvrage, fait une brève allusion à cet épisode de l'inceste avec son père, mais cet "amour impossible" qui fait le sujet de ce livre n'est pas celui qui la lie à son père mais à sa mère. Ce qui nous est narré ici, c'est la très brève rencontre entre une jeune femme de province et un jeune homme se prétendant d'une classe supérieure à sa compagne. Ce dernier, soi-disant épris de liberté, tout en refusant de s'engager dans une relation officielle, ne recule pas devant la perspective d’une paternité qu’il mettra cependant  un certain temps à reconnaître pour sienne. Ces deux personnes sont en fait non seulement des personnages de roman mais bien entendu respectivement la mère et le père de Christine Angot.

 Ce que son père propose à la mère de Christine, c'est une sorte de liaison faite surtout d'absence imaginant, sans réaliser l'incroyable prétention d'une telle demande, que celle-ci se tienne en permanence à la disposition de son amant. Tout en refusant d'accepter ce contrat léonin, la mère de C. Angot reste attachée à cet homme avec lequel elle n'aura finalement vécu qu'une très brève rencontre soit en tout et pour tout quelques jours partagés sur la côte d'azur et revécus par elle comme un moment sublime, idéal, en un mot inoubliable.

Si le père, renonçant à ce soi-disant désir de ne jamais se lier à quiconque, finit tout de même par se marier et avoir avec sa nouvelle femme un autre enfant, la mère de Christine, elle, restera toute sa vie durant attachée à cet amant d'un jour et passera à côté de l'inceste vécu par sa fille de 14 ans, ce dont C. Angot ne lui fera finalement pas reproche attribuant cette cécité au vécu auto-dépréciatif de sa mère. Une vision au final plus sociologique et culturelle que psychologique.

On peut opposer à ce point de vue une autre compréhension qui tient compte des positions d'impossible franchissement tant du côté du père que de la mère de Christine Angot. Du point de vue de la mère les choses sont claires. Plutôt que d'assumer une vie de femme, elle reste dans une position adolescente dans laquelle aucun franchissement ne se produit. Sa maternité ne l'introduisant qu'à un lien fusionnel avec sa fille, lien qui va ouvrir à la possibilité de l'inceste. Quant au père, qui brandit lui aussi un désir affiché de ne pas s'engager dans une vie adulte, c'est au travers de sa relation incestueuse qu'il va montrer son incapacité à intégrer sa place de père, et son impossibilité à se placer dans l'ordre des générations.

Au total  ce livre aurait bien eu sa place comme exemple littéraire dans l'ouvrage rédigé par Tristan Garcia-Fons et Jean-François Solal.