"Jeune et Jolie" de François Ozon

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« Jeune et jolie » de François Ozon

Se promener dans Paris en cette fin d’été, c’est découvrir au coin d’une rue le regard d’isabelle/léa allongée nue sur un lit. Un homme dont on ne voit pas le visage, mais seulement le dos, s’approche d’elle. À l’instar de ce que nous enseigne par exemple Roy Lichtenstein, - mais c’est avant lui la leçon des impressionistes- c’est l’instant d’émotion que la rencontre suscite qui doit être ressentie par le spectateur à la vision de l’affiche, du dessin ou du tableau. Sur l’affiche Léa ne semble pas inquiète plutôt satisfaite de détenir un pouvoir dont elle use sur les hommes qui achètent un moment de plaisir avec elle, plaisir de caresser un corps jeune pour des hommes âgés et riches, dans un hôtel de luxe.

La première image du film plante le décor qui prolonge la vision de l’affiche. Notre regard de spectateur, forcément voyeurs du corps nu de cette adolescente, passe par celui d’un garçon plus jeune, sans doute 14 ou 15 ans qui utilise ses jumelles pour observer à loisir celui de sa sœur plus âgée. Nous sommes donc d’emblée dans la perversion mais dans deux registres très différents ;

Le frère de Léa est dans ce moment de curiosité sexuelle dont nous gardons toujours une trace et qui fixe notre regard lorsque nous voyons sans être vus, un spectacle qui suscite notre émotion, éveille notre désir sexuel. Nous sommes tous, à l’occasion, des pervers qui s’ignorent mais que le hasard place dans cette position. Léa, elle, et c’est le propos du film, redoublé en quelque sorte par le cinéaste, nous montre son corps et ce qu’elle en fait sans rien nous dire de ce qui motive son choix. C’est précisément ce silence, qui est la clé du personnage.

Mais revenons à cette première image. Le corps de Léa est bien un corps d’adolescente. L’actrice, ancien mannequin nous dit-on et dont la critique ne tarit pas d’éloges, nous montre presque de façon caricaturale, ce qu’est aujourd’hui un corps idéal. Les formes en sont à peine dessinées, pas la moindre trace de gras, tout semble lisse, sans relief, sans défaut. Aucun trait ne la distingue. Elle représente au mieux une figure glacée à l’image de celle que l’on trouve dans les magazines.

François Ozon a bien raison de ne pas faire d’un quelconque drame familial, la raison du comportement de Léa/isabelle. Rien dans ce qui nous est dit de cette famille ne nous donne d’explication sur le désir de Léa de se prostituer, sinon sans doute l’absence d’un père, mais lors de la rencontre avec le psychanalyste, elle n’en dira rien ce qui est aussi très bien vu. Cette famille est normale, plutôt à l’aise financièrement. Sa vie ressemble à celle de la bourgeoisie parisienne et ses membres semblent plutôt bien dans leur peau. Famille recomposée, certes avec une liaison extraconjugale de la mère mais quoi au fond de plus banal.

Et l’on se tromperait profondément si l’on voulait y trouver je ne sais quelle piste clinique, sinon une nouvelle façon pour Léa d’affirmer son pouvoir. Une fois révélée la prostitution de Léa, la mère d’ailleurs se méfie de sa fille dont le pouvoir d’attraction sexuelle, tout à coup , lui saute aux yeux pourrait-on dire.

Encore plus explicite est précisément la scène au cours de laquelle la mère de Léa apprend stupéfaite ce que fait sa fille. La scène montre la mère hésitant entre l’incrédulité, la culpabilité, l’agressivité, la tendresse. Devant cette situation, loin de s’expliquer, de parler de ses motivations d’expliquer , Léa/isabelle se tait mais l’image nous la montre plutôt dans la jouissance du malaise que provoquent à la fois ce qu’elle a fait mais aussi, mais surtout son silence.

Par ce silence même que le cinéaste ne trouble d’aucune explication, Léa rejoint la cohorte des femmes prises dans la perversion. Celle des anorexiques graves, celles des femmes qui se rendent volontairement malades et provoquent les médecins dont elles jouissent secrètement de les mettre en défaut de les provoquer. Plongés par ces patients dans une perplexité que les psychanalystes s’ils n’en possèdent pas les clés ne sont guère mieux armés que le personnel hospitalier pour décrypter cette énigme , ceux-ci se perdent en conjecture. Ces femmes sont celles que décrit Alain Abelhauser dans son ouvrage « Mal de femme. La perversion au féminin », et dont Léa représente un exemple parfait.

Jouissant de leur corps et de leur silence devant la réaction de leur entourage. Muettes sans doute plus par incapacité de se dire à elle-même ce qui fait leur jouissance une jouissance sans parole, sans mot , sans commentaire. Jouissance Autre sans aucun doute.

Léa, renvoyée à ses études, joue un moment à être Isabelle. Une petite jeune fille qui a quelques amours adolescentes incertaines et qui quitte pour l’occasion ses vêtements de prostituée (dont certains étaient quand même empruntés à sa mère lieu de l’identification et de la rivalité inconsciente) pour revêtir ceux de la lycéenne type : baskets et jean, mais qui garde le savoir acquis dans son activité de prostituée pour réveiller le désir d’un garçon quelque peu troublé par le corps présent/absent de Léa. Mais Ozon nous montre que tout cela paraît bien fade aux yeux de Léa et que la jouissance enfermée dans une petite boite contenant la carte sim qui est son accès à l’internet et à son retour à la prostitution reste ce qui au-delà d’un comportement qui prend les apparences des conventions sociales est toujours présent et ne cherche qu’une occasion pour se manifester à nouveau.

On l’a compris, François Ozon ne s’est pas trompé dans sa description de la perversion au féminin. Un bon film pour entamer la rentrée, qui n’en doutons pas nous fera certainement au cours de l’année croiser une ou plusieurs « Léa » dans nos consultations.