Journal de vacances : Godard et Marilyn

Jean-luc Godard

Autres critiques de l'auteur

« Vienne 1913 », d'Alain Didier-Weill

Vienne 1913

Une pièce au Centre Rachi de janvier à Mars  « Vienne 1913 », d'Alain Didier-Weill, mise en scène J.L. Paliès ou « histoire » et psychanalyse : entre théâtre public et théâtre privé. Lorsque j'ai visité l'exposition « Klimt,...

Lire la suite

Vienne 1900 « À chaque époque son art, à l'art sa liberté »

exposition Vienne 1900 Klimt, Schiele, Moser, Kokoschka

le site de l'exposition « À chaque époque son art, à l'art sa liberté » (inscription gravée sur le porche du pavillon de la Sécession, mouvement artistique...

Lire la suite

Pages

Bert Stern. Marilyn Monroe, la dernière séance. Livres d'Art, Gallimard, 2006 Exposition « Marilyn Monroe, la dernière séance » L'exposition « Marilyn Monroe, la dernière séance » (musée Maillol, du 29 juin au 30 octobre 2006) présente un ensemble réunissant 59 photographies prises lors de deux séances de pose accordées par Marilyn Monroe en 1962 à la revue Vogue et confiées au photographe Bert Stern. Lors de la première séance, qui se déroula à l'hôtel Bel-Air, à Hollywood, la star autorisa exceptionnellement de se laisser photographier nue. La revue Vogue fut enthousiasmée par le résultat et souhaita une seconde séance. Marilyn posa cette fois habillée. Le jour de la publication du numéro de Vogue, on annonçait la mort de l'actrice. Marilyn Monroe vit les planches-contact avant leur publication. Elle marqua par des croix celles qui ne devaient pas figurer dans le reportage. La présence de ces croix, allégorie et prémonition de sa mort imminente, apporte une dimension dramatique aux œuvres. Au travers de cette exposition, l'image de Marilyn rejoint les œuvres destinées à être le symbole d'une époque. Elle est devenue une icône du XXe siècle. Dans les photographies de la « dernière séance », c'est toute la question de la beauté célébrée par un moment de l'histoire qui se joue. C'est également le destin tragique de l'actrice victime de sa propre image. Les 59 tirages présentés à l'exposition furent sélectionnés et développés par Bert Stern en 1982. Considéré comme un « chasseur d'icônes », il était connu des milieux du cinéma pour la qualité de ses portraits. Il sut traduire dans ses photos sa fascination pour la beauté de Marilyn Monroe. Il prit plus de deux mille photos durant les deux séances. L'immense succès du reportage publié par Vogue lui apporta la notoriété. L'exposition Du 29 juin au 30 octobre 2006 Fondation Dina Vierny-Musée Maillol 61, rue de Grenelle — 75007 Paris Tél. : 01.42.22.59.58 www.museemaillol.com Le catalogue Bert Stern. Marilyn Monroe, la dernière séance Dans la collection de Michaela et Leon Constantiner. Traduit de l'anglais par Jeanne Bouniort, avant-propos d'Olivier Lorquin. Suivi de La star, l'œuvre et le modèle par Bertrand Lorquin, Livres d'Art, Gallimard, 2006 128 pages, 67 ill. - 35 €

Journal de vacances

L’Utopie ou la mort… ? : Sur le divan, Godard, et la dernière séance de Marylin.

Ce Jeudi 3 Août, je suis allée voir l'expo Godard au Centre Georges Pompidou, « Voyage en utopie ». Dominique Chancé a déjà fort bien évoqué ce grand espace, cet art consommé du vide et de l'inachevé qui fait le charme de cette expo.

D’entrée de jeu, oui, je trouve cette installation de Godard a quelque chose de …psychanalytique : la libre association des objets et éléments éparses et divers donnent cette impression. Egalement, Godard oblige, on retrouve ici la critique justifiée d’un monde qui souffre d’un trop plein…de jouissance vide, et d’un symbolique en berne, critique qui s’entend ou se lit aussi et surtout chez les psychanalystes.

Esprit assez lacanien aussi…ou peut-être plus largement « esprit structuraliste » : l’expo joue des mots et des démos, et invite à envisager les choses non dans leur apparitions anecdotique mais dans leur structure, les unes par rapport aux autres. Mais sans cependant, donner ce réponse trop « évidente » : comme dans ses film, Godard joue de l’énigme et de l’ellipse. « Tout se tient », semble-t-il dire, « mais à vous spectateurs de trouver comment et pourquoi ».

Comme Un peu « gênée », le petit dépliant évoque une éventuelle impression première du visiteur d’« absence de sens », qui ne serait qu’une apparence, etc…Bref bref, chers visiteurs, nous dit-on en substance, ne vous y fier pas, en fait, c’est plein de cohérence, malgré ce bordel apparent. Cette expo ressemble du reste au lieu même de Beaubourg : espaces de vides délibérément revendiqués, patchwork de productions humaines (cinéma, peinture, écriture, objets manufacturés, objet de « design »..), et impression d’art conceptuel, de refus d’un sérieux trop « académique ». Le grand chic des trait de crayons non gommés, des maquettes ébauchées, des objets volontairement mal placés. Refus du sens « facile », mais tout est signifiant. Un léger vent de snobisme (qui pourra agacer certain(e)s) souffle même sur ce maniérisme « spontanéiste », un peu « Dada », un peu « Ready made ». Un peu « destroy » aussi. Ceci étant, Godard ne perd pas le nord de la temporalité : il nous impose quand même en 3 salle son « Avant-hier/avoir été », son « Hier-à voir », et son « Aujourd’hui-être »…/ La promenade nous rappelle, s’il en est besoin, ce que nous aurions tendance à trop vite oublier : le passé, et toute l’imagerie cinématographique et culturelle qui va avec, et qui nous habite ici et maintenant, au quotidien. N’est-ce pas un peu à cette sorte de déambulation-remémoration à laquelle nous convie le travail analytique ?

Bref, faire feu de tout bois. Godard s’allonge, nous livre ici ses dernières libres associations. Dans la 3ème salle, « Aujourd’hui-être », photo du divan de Freud, à gauche au dessus d’un vrai lit au draps bleus. Que suggère l’auteur ? Le divan nous aiderai à dormir, pour oublier les horreur du monde ? Une amie qui m’accompagne, assez versée dans le « politique » et la polémique, me dit «  Moi, cette photo du divan de Freud à Vienne, au milieu de cette reconstitution d’un appartement bourgeois moderne, ça m’évoque surtout que la psychanalyse est très liée au confort bourgeois , et est née dans une société bourgeoise ». C’est un point de vue…Mais que veut nous signifier Godard avec ce divan freudien en clin-d’œil ironique ? Que l’objet serait « bon à prendre » pour supporter l’horreur « moderne » ? Aiderait-il l’homme à rester éveillé, (et bien réveillé, même) si il s’y allonge ? Aiderait-il l’homme à supporter de ne plus avoir à s’accrocher à l’ « Autre » pour survivre ?

Ou, au contraire, Godard fait-il avec cette ironie scénique et visuelle son « Livre noir de la psychanalyse » à sa manière, en suggérant ainsi que le divan ne serait qu’un gadget de plus pour esprits modernes, paumés, abêtis et irresponsables ? Esprits (et corps) humains capables d’ingurgiter pubs et films-jouissance de guerre-boucherie et/ou pornos-viande en boucle, sur des écrans plats et géants, producteurs d’images toutes aussi plates ? Le divan, comme aide à la bonne conscience et au confort d’un homme et d’une culture toujours plus infantiles ? Accroché à son téléphone portables, aliéné à l’appel de l’Autre quand ce « mobile » sonne, comme s’amuse à le montrer un vaste panneau blanc ? Ou aliéné aux croix des fanatismes religieux et/ou identités nationales, autre panneaux voisin et assez énigmatique ? Delacroix, bien sur, sert de support à cette évocation cruciverbiste…

Grand chantier de signes, bric à brac de références et de clins d'oeil-suivez-mon regard, et mise en garde avant-coureuse des errances liées à l’image toute puissante : tout cela déjà présents dans les premiers films du maître en déconstruction cinématographique : « Le Mépris » (1963) B. Bardot  déambulant devant les grands murs blancs noyés de soleil de l'Italie, les aplats de couleurs primaires. Le Mépris où l'on tourne un film ("L'odyssée"), et que c'est là aussi que Godard donne à voir du "chantier", du work-in-process, et de l'inachevé : le cinéma dans le cinéma, la caméra filmée comme un acteur, etc...Silence, on tourne. Silence, on bosse. Ca bosse tellement (la culture, le social, la civilisation) que le couple, l’intimité Piccolo/Bardot va à la dérive. Le regard, plus que la parole, comme ultime preuve d’amour : « Et mes fesses, tu les aimes ? ». Bardot interroge l’amour de son mari par corps morcelé et regard interposé. Pas étonnant que le désir s’effondre : elle se donne non comme sujet du désir, mais comme image de jouissance. L’intimité, le singulier, la parole s’effacent au profit de la consommation morcelée, de la jouissance des images, et de l’apparence. Vous ne verrez pas d’extraits du « Mépris » dans l’expo, pas plus que de « Pierrot le fous », autre film culte…, où abondent aussi les 3 couleurs primaires, jusque sur le visage du héros-Belmondo. Les 3 couleurs qui sont « essentielles » à toutes la naissance et la mise en chantier de toutes les autres.

Dans "Pierrot Le fou », on est aussi en chantier, mais on ne travaille pas. Société de l’oisiveté, de l’argent facile, de l’arnaque…Ou plutôt, immoral, on travaille à surtout ne pas travailler « comme tout le monde » : maisons à peine installées, inconfort voulu, impulsivité des envies (partir à l’aventure !!), puis ennui, envie d'autre chose : "Mais qu'est-ce que je peux faire, j'sais pas quoi faire", nous chante la belle, brune, menue et presque enfantine Anna. Elle ne travaille pas, elle jouit, c’est l’aventure, donc elle finit par s’ennuyer. Ainsi Lacan avait bien annoncé « L’enfant généralisé »…

« Week-end », par exemple, et son horreur apocalyptique et grimaçante, se voit dans l’expo, en extrait. Un dialogue avec Mireille Darc, Jean Yanne, et un type qui les menace de son arme en voiture : le type demande à M.Darc son nom. Elle donne d’abord son nom de femme mariée. Puis son nom de jeune-fille…celui de son père. Elle ne réussit donc, à propos d’elle-même, qu’à se nommer des noms de 2 autres personnes (son mari..et son père). Conclusion grinçante de l’homme qui l’interroge (donc de Godard) : « Vous ne connaissez donc pas votre nom. C’est ça la culture chrétienne, c’est le refus de se connaître ». La culture juive, celle de Freud, inventeur de la psychanalyse, aurait-elle une plus grande « culture » de la vérité ? Le dialogue sus cité ne l’évoque pas. Que pense vraiment Godard de la psychanalyse ? Ou que lui veut-il ? A propos de « Livre noir »…regardez bien dans l’expo… : il y en a un, tout petit, mais bien « noir et livre » quand même.

6 Août 2006, Musée Maillol, « Marylin, La dernière séance » : Drôle de date, quasi anniversaire de la mort de l’actrice, j’aurai voulu faire exprès que j’aurai pas fait autrement.  Marylin Monroe en 1962, photographié par Bert Stern. La merveille de l’inachevé et du « chantier », on la retrouve aussi dans cette réunion de photos-tableaux, si proches chronologiquement de la mort tragique de l’actrice. Je connaissais ces photos magnifiques, qui se distinguent par le naturel des éclairages, des poses, et la complicité que l’on devine entre l’actrice et le photographe. La surprise réside dans la taille des reproductions, qui donnent un caractère inédit et saisissant de beauté à ces images pourtant célèbres. Grandes repros, aussi grandes et amples que des tableaux, à la fois dans leurs tailles et dans leurs effet plastiques.

Que Marylin savait fleurter avec l’objectif des appareils photos et caméras, à la perversité à la fois voyeuriste, dévorante, et possessive, on le savait. Qu’elle se « réparait », ou se vengeait, de certaines perversions et abus sexuels dont elle fût victime enfant, par la séduction et le pouvoir qu’elle exerçais ainsi, c’est probable. Perverse à son tour ? Oui, peut-être…CQFD. Qu’elle cherchait, en étant si « connue », à combler un immense désespoir de petite fille (mère paranoïaque, doublée d’un père inconnu) c’est fort possible. Confondant ainsi la « reconnaissance » et la « célèbrité »…

Cependant, la magie opère sur ces photos, car Marylin ne s’est sans doute jamais autant « livrée » à un objectif, cicatrice en prime…Marylin « s’allonge » : au propre, il y un lit dans cette suite de l’Hotel Bel-Air à Los Angelès…et au figuré . Cette séance, à l’instar d’une séance d’analyse, est un travail au corps avec et le narcissisme et le désespoir authentique et sans masque.

Mais pas sans voile : Marylin, intelligente, savait sans doute que le voile est vecteur du désir. Norma Jean Baker, née en 1926, n’est jamais ici vraiment nue, et c’est bien en cela que les images sont si fortes : le drap, le voile, ou le vêtement sont toujours quelque part. Marylin vestale, debout et enroulée dans un drap, Marylin femme voilée, Marylin triste mais « classieuse » en robe noire, telle Audrey Hepburn…etc…On est dans «  l’entre deux »… : entre rire et larmes, entre jeu et désespoir, entre séduction « phallique » et abandon, entre femme et petite fille, entre vie et mort.

Ce qui est beau, c’est ce caractère sur « le fil du rasoir  : Marylin est en effet très « naturelle »…mais jusqu’à un certain point : elle n’a pas oublié son trait d’eye liner, ni son rouge à lèvres…Et c’est ce qui magnifie les photos nimbées de lumière blanche et vaporeuse, à contre-jour : le trait d’eye-liner, la bouche, se détachent graphiquement sur ces grandes surfaces quasi monochromes, blanches,simplissimes. On est bien bien au-dessus d’un travail de photographe de talent… : Ces photos deviennent de véritables tableaux, parfois quasi abstraits. Les photos sont belles, parce qu’elles savent montrer à chaque fois, et une seule image, la Marylin « sociale, mondaine » (maquillée, parfois habillée, etc…), et la Marylin « intime » : joueuse, séductrice, décoiffée, endormie…, et cicatricielle. Et, comble du génie photographique du couple modèle-photographe : l’anecdote disparaît. L’épure est présente, et, paradoxe, la jeune femme en paraît d’autant plus proche de nous, émouvante, vivante…Epure d’autant plus que le photographes joue avec la monochromie, parfois mauve, bleue, qui donne aux images un « plus » de poésie, et… de tendresse.

Ce n’est plus la star apprêtée que nous voyons là. Un naturel éblouissant, une espèce abandon sensuel, drôle, ou triste, complice s’offre au regard. Marylin s’offre presque en « écorchée », témoin sa cicatrice d’opération de la vésicule biliaire. Témoin cette étrange croix orange faite de sa propre main sur des photo qu’elle ne voulait pas voir publier. Tout est présent sur les images, jusqu’à cette exigence terrible, sévère, surmoïque, de la star avec sa propre image  (grande croix orange de « censure »). Et la toxicomanie (l’alcool, entre autre, mais on sait aussi que l’actrice goûtait les « petites pilules de la performance ») L’alcoolisme célèbre de l’actrice est présent, sans détour : coupe de champagne, Martini…et regard un peu « parti » en effet. Fragilités…, fêlures, manque. Un peu comme dans l’expo de Godard, on goûte alors cette esthétique du raturage, du « work in prcocess », du brouillon, de l’inachevé. Une esthétique de la coulisse : on montre l’actrice en train de se faire coiffer avant la séance « officielle », etc…Marylin semble dire quelque chose comme : « Je n’ai rien à perdre », « Je peux tout me permettre ». L’innocence et la provocation mêlées, un certain retour à l’enfance aussi, se dégagent des poses et des images. Les draps sont froissés. La relation de séduction semble à son comble entre le photographe et son modèle,et met presque mal à l’aise « Ont-ils fait l’amour » ? peut se demander le spectateur-voyeur, témoin de l’intimité tendre qui émanent des photos. En tout cas, on est bien loin ici de la viande pornographique, que Godard dénonce dans son espace : cette « séance » a bien fait naître ici des images du désir.