Une séparation : Le jeu de la vérité

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Réalisé par Asghar FarhadiAvec Leila Hatami, Peyman Moadi, Shahab Hosseini, plusBerlinale 2011 édition n° 613 prix remportés :- Ours d'Argent de la Meilleure actrice (Sarina Farhadi, Sareh Bayat, Leila Hatami)- Ours d'Argent du Meilleur acteur (Shahab Hosseini, Peyman Moadi, Asghar Farhadi)- Ours d'Or (Asghar Farhadi)6 nominations :- Ours d'Argent du Meilleur réalisateur (Asghar Farhadi)- Grand Prix du jury (Asghar Farhadi)- Ours d'Argent de la Meilleure contribution artistique (Asghar Farhadi)- Ours d'Argent de la Meilleure musique de film (Asghar Farhadi)- Prix Alfred-Bauer (Asghar Farhadi)- Ours d'Argent - Meilleur scénario (Asghar Farhadi)

Une séparation : Le jeu de la vérité

Le cinéma iranien nous avait déjà fait cadeau de celui qui est, à mes yeux aujourd’hui, l’un des plus grand sinon le plus grand des cinéastes de notre temps Abbas Karostami. Il nous livre aujourd’hui un véritable bijou qui fera date dans l’histoire du cinéma.

« Une séparation » sera en effet, j’en suis persuadé, projeté dans les écoles de cinéma et instruira nombre de futurs réalisateurs.

Pour une fois la critique ne s’y est pas trompée puisque ce film a été salué par de nombreux prix au festival de Berlin et que la critique française lui a, de son côté, réservé un accueil enthousiaste. Sans doute faut-il rapprocher ce film, comme cela a été fait à juste titre, de celui de Jean Renoir « La règle du jeu ». Cette règle est simple. Chacun a ses raisons pour agir et c’est de la confrontation de ces diverses logiques que naissent la violence et l’incompréhension qui font le quotidien des jours dans les rapports humains. La psychanalyse aborde chacune de ces logiques à partir d’un seul point de vue, c’est ce qui en fait un exercice passionnant et difficile alors que le cinéma les expose dans leurs relations complexes en montrant le point de vue de chacun des protagonistes.

Les acteurs sont tous absolument stupéfiants dans leur jeu et leurs regards. Pour ceux qui n’ont pas encore vu ce film et qui doivent s’y précipiter sans même achever la lecture de cet article, énumérons ceux qui se présentent devant nous. Un couple qui est marié depuis plus de 13 ans et leur fille de 11 ans et demi. Ce couple est décrit comme riche, c’est-à- dire plus exactement dans l’Iran d’aujourd’hui qu’ils ne sont pas pauvres. Ils vivent dans un appartement, ils possèdent des livres, une télévision. Lui a un emploi dans une banque. Leur fille va au collège. Cet appartement appartient au père du mari. Celui-ci est atteint de la maladie d’Alzheimer. Il faut toujours le surveiller, s’en occuper, le soigner, veiller à ce qu’il ne sorte pas dans la rue.

Pour cette tâche, le mari, a besoin de quelqu’un car sa femme a décidé de le quitter, nous verrons pourquoi. Ils embauchent une femme sensiblement du même âge que le couple. Elle est pauvre, doit se lever à 5h du matin pour se rendre à ce travail. Elle est mariée à un homme qui a été licencié après avoir travaillé 10 ans comme cordonnier. Leur situation est extrêmement précaire. Ils ont une fillette de 4 ans environ, que la mère emmène avec elle. On apprendra bientôt que cette femme est enceinte. Il y a aussi un juge qui va bientôt entrer en scène et une enseignante qui donne des cours à la collégienne. Disons tout de suite que tous les personnages, y compris les enfants jouent un rôle important dans le déroulement de l’action. Chacun a sa vérité et interroge le rapport qu’entretiennent les autres avec celle-ci. Pour exemple le regard que porte la jeune adolescente sur son père soupçonné d’avoir menti est absolument stupéfiant d’intensité et de vérité, comme l’est d’ailleurs le malaise de cet homme sous le regard de sa fille qu’il aime. Dès la première scène, la justice est présente. Le couple est dans le bureau du juge. La femme explique que son mari refuse de la suivre à l’étranger, que c’est pour cela qu’elle veut divorcer. Le juge lui n’est pas là pour connaître la vérité. Il est là pour appliquer la loi. Ce sera sa tâche tout au long du film. Et il devra, avec une patience que la caméra nous fait sentir, s’en tenir à cette règle. La vérité, c’est pour les autres lui, son principe, sa boussole c’est l’application de la loi.

Car, dès la première scène, on apprend que le discours tenu devant le juge ne correspond pas à la vérité. Le couple a un rapport à la vérité qui est non de dissimulation mais d’esquive. Lui est droit dans ses bottes, au moins pour ce qui touche à sa vision personnelle de la vérité : ne pas céder sur son désir, ne pas céder sur ses principes. Il ignore, mais pour combien de temps encore, que de vérité, il n’y en a pas qu’une à savoir la sienne. Ne pas le voir le conduira logiquement à mettre fin à son couple. Elle, de son côté, cherche à l’entraîner dans une autre logique et elle fait seulement mine de partir pour qu’il reconnaisse et lui montre que sa vérité à elle existe aussi pour lui. Ce à quoi il se refuse bien entendu puisque précisément de vérité, pour lui, il n’y en a qu’une. Il s’en tient à ce qu’il enseigne à sa fille : faire front. Si ce couple a vécu 15 ans ensemble c’est que chacun en a tiré ses conclusions et s’est accommodé de cette situation. Quelque chose sans doute s’est produit qui a rompu cet équilibre. On ne nous dit pas quoi mais on sait déjà, me semble-t-il, que la rupture risque de ne pas seulement être l’enjeu d’une négociation mais se transforme en une séparation définitive.

L’autre couple, celui dont la femme est l’employée, fonctionne sur un registre différent. À trois pourrait-on dire. La femme, le mari et la religion ici largement tintée de superstition. Le mari est exclu de beaucoup de choses. Il ignore ce que fait sa femme. Il ignore qu’elle s’est employée chez ce couple qui n’en est plus un puisque l’épouse est partie s’installer chez sa mère. Il feint d’ignorer beaucoup de choses. Lui aussi est à sa façon droit dans ses bottes. Il incarne le prolétaire pauvre mais digne , injustement traité par la société. Pour que le couple puisse quand même continuer à vivre matériellement, la femme doit faire des concessions avec cette intransigeance du mari. Elle doit lui cacher comment elle gagne leur vie, leur survie pourrait-on dire. Et sans doute bien d’autres choses encore. Sa vérité, elle va la chercher par téléphone auprès de ce que l’on suppose être un religieux, un imam. Lui, il dit la règle, comme le juge civil. Il dit à cette femme la règle de la religion. Et la femme de se comporter suivant cette règle car elle craint la punition divine, bien plus redoutable que la punition de la loi civile, une punition qu’elle attend sur terre.

Au bout du compte, c’est chacune des séquences de ce film qui faudrait analyser , décrypter. Asghar Farhadi ne se contente pas de nous donner une magnifique leçon sur les rapports entre les êtres humains. Il nous donne également un formidable témoignage sur le fonctionnement de la société civile iranienne ses valeurs, ses blocages. Une exceptionnelle leçon de cinéma.