Ogawa, Mallarmé, Lacan

Jean Allouch propose une étude centrée sur l’écriture et ce qu’elle peut parfois convoquer de la mort. Prenant pour exemple une romancière, un poète et un psychanalyste, et affinant les questions, gradation pour en venir à ce qui se joue sur le divan, le lecteur suit le cheminement d’une pensée rigoureuse et sans ambages.

Littérature et psychanalyse au point de jonction qu’est la mort, pas tant dans une démarche de psychanalyse appliquée que dans ce qu’il nous est approchable alors d’une finitude (celle de l’auteur, de l’œuvre, du lecteur…) à cela s’ajoute la question suivante : la postérité prive-t-elle l’auteur de sa seconde mort ?

Le premier chapitre est une analyse de L'annulaire de Yoko Ogawa. Dans ce texte, la narratrice, qui a perdu l’extrémité de son doigt, trouve un nouvel emploi de secrétaire dans un laboratoire de conservation des spécimens. M Deshimaru le fondateur de ce laboratoire explique que les spécimens sont « différents pour chacun. Il s’agit d’un problème personnel. », sont ces choses que les gens viennent déposer définitivement quelque part, le laboratoire les conserve, les « naturalise » apportant ainsi une réponse à ces problèmes personnels. Mais lorsqu’une jeune fille après être venue faire naturaliser des champignons, revient pour qu’il en soit de même de sa cicatrice faciale, la narratrice pense alors à faire naturaliser son annulaire. Si la première jeune fille se fait elle-même spécimen, le texte finit sur la narratrice prête à entrer dans la salle de naturalisation.

Le spécimen comme bout de soi définitivement perdu, le parallèle avec le processus de deuil est évident sans être plaqué au texte ce qui le pose simplement en illustration, sans vouloir l’expliquer. Mise en abyme de la naturalisation : J. Allouch se (nous) demande ce qu’il en est pour l’auteur de livrer un tel objet, brève allusion à la poubellication (réussite littéraire et échec du deuil…).

Mallarmé et Lacan sont abordés dans les deux chapitres suivants selon ce point commun de l’hermétisme linguistique, le disparaître et les jeux de langage. Reprenant ce que Lacan a pu livrer de lui de son rapport au savoir etc… J. Allouch oppose ce dernier au poète qui plus qu’au savoir aspirait au sens. Se questionnent les liens entre disparition et lieu d’existence, où siste donc le sujet pendant l’acte littéraire. Si le sens prime pour Mallarmé, le savoir vient ancrer Lacan dans une autre perspective : celle de la transmission. Ainsi chacun, dans un hermétisme vectorisé différemment, s’assure une part d’éternité dans la profusion des interprétations, la fixation d’une signification unique semblant insupportable. Il ne s’agirait pas d’aller contre (anti) l’éternité mais bien d’y être tout contre, un au plus près, comme cet au plus près de la mort que convoque l’écriture.

La dernière partie traite de l’amour (et de la mort) dans l’analyse. Reprenant le « roussi au feu de l’amour » freudien, il déploie la métaphore du feu en exploitant les différentes figures où mort et amour se trouvent condensées (le mort-aimé…) et les met en lien avec la (les) position(s) de l’analyste.

Peu de chose à redire quant à la qualité de l’argumentation, néanmoins peut-être faut-il interroger les postulats : il y a la première mort, la mort physique, biologique et la seconde mort, qui est la disparition de toute trace du déjà défunt. Mais cette seconde mort n’a-t-elle pas de consistance que pour les vivants ? Tout processus de production (littéraire ou autre) viserait à une pérennisation du sujet sur des substrats palpables. On peut s’interroger sur la distinction de la littérature parmi les productions humaines, la peinture n’est-elle pas tout aussi résistante au temps ?

Là où J. Allouch pose la question de l’impensable, de l’à jamais méconnue – l’inconscient ne connaissant pas la mort – l’idée (est-ce un concept ?) de la seconde mort semble être une façon d’aller au plus près de la vérité singulière de la finitude. En soi, la seconde mort ne me paraît ni un enjeu spécifiquement littéraire, ni une question animant l’écrivain mais une construction névrotique des survivants (tendant vers la sublimation) sur tout ce qui engage le sujet. Qui meurt une seconde fois, quand, pour qui ?

Il y a en fait dans cet ouvrage grand nombre de concepts (le « joui-sens », le lien avec la philosophie analytique de Wittgenstein, etc…), à peine énoncés mais finalement déployés tout au long de la réflexion. L’on aimerait des définitions plus académiques, peut-être même un cours, mais l’auteur semble avoir pris le parti de dé-livrer une réflexion avant tout personnelle. Pour certains il n’existe pas de métalittérature, et écrire sur l’écriture semble a priori risqué dans la mesure où, souvent, il s’agit d’une réduction des œuvres à quelques interprétations. J. Allouch nous offre un texte, son texte, l’on peut objecter contredire, reste l’envie de discuter avec cet analyste, et de plonger dans la lecture des textes cités.

Le livre humble d’un analyste encore en question, ce qui en soi mérite d’être salué.