Ce livre part de l’intention de l’auteur de travailler sur l’« inquiétante familiarité » qu’elle rencontre dans le récit d’une de ses patientes. Elle s’est sentie « interpellée dans sa personne », les paroles de cette femme en analyse la mettant « en contact » avec ce qu’elle avait « toujours côtoyé mais qui restait bien enfoui ».

Cette position de départ subjective m’a semblé intéressante. Le livre se propose également d’étudier certaines « profondeurs effrayantes » du texte coranique et de ses commentaires” (Hâdith), « au-delà du charme de la belle surface » (dixit la 4e de couverture). L’auteur consacre donc plusieurs chapitres à l’étude des figures mythiques féminines en Islam, à partir du Coran essentiellement, mais on y rencontre aussi les « Mille et Une Nuits » de Shéhérazade en fin de lecture, ou d’autres textes poétiques.

J’exerce comme professeur d’art en banlieue auprès de publics dits « en difficulté », je côtoie au quotidien de jeunes « beurs » filles et garçons, je m’intéresse à l’actualité des « révolutions arabes » : j’étais donc désireuse de découvrir ce livre.

Trois grands chapitres découpent l’ouvrage : « Les voies sinueuses du théologiques », « La poétique du sexuel », « Lorsqu'une femme raconte l'Éros ». Si le premier chapitre est une recension des différentes figures mythiques féminines, les deux suivants s’orientent vers des développements plus personnels sur la question de la féminité. L’auteur souligne les « échos » possibles d’une culture à l’autre concernant le « féminin » : Les figures de l’Islam tendent à l’universel avec la figure de la Mère, la Femme fatale, l’enfant abusée, des structures familiales incestueuses, etc. les figures « cousines » d’autres cultures apparaissent en résonance (Méduse par exemple, à laquelle fait écho la « femme fatale » du livre).

Derrière chacune de ces figures féminines, se profilent les portraits d’une mère étouffée et étouffante, et d’un « père » monstrueux – est-ce le père de la horde de Totem et Tabou ? - jouisseur, abuseur, violent, polygame, disposant des femmes pour satisfaire ses désirs en restant sourd aux leurs, etc.

Effectivement, entre une mère mythique décrite par l’auteur comme haineuse – cette mère qui redoute la naissance à venir de sa fille Fatima, vécue à priori comme rivale - et un homme-père tout-jouisseur, non protecteur, vers qui peut se tourner la fille pour être entendue dans son désir de reconnaissance et d’ouverture sociale ?

L’auteur aborde la question de la « différence sexuelle », détaille la question du voile, ouvre sa réflexion sur l’érotisme, la poésie, etc. La violence des injonctions de certains versets coraniques est étudiée dans « On bat des femmes », où le lecteur pourra trouver certaines hypothèses sur la position subjective des hommes et des femmes saisis dans ces dogmes religieux.

Dans la seconde partie du livre, au chapitre « Le féminin et le mouvement », H. Abdelouahed propose une remise en question des théories freudo-lacaniennes (relatives au « phallus ») sur la féminité et la sublimation féminine. H. Abdelouahed soutient que le concept psychanalytique de « phallus » serait du côté du « statisme », et s’opposerait donc au mouvement spécifique du « féminin ». D’où l’idée suggérée par l’auteur que Freud ou Lacan n’auraient pas vraiment entendu la spécificité de la « question féminine ».

Il y a plusieurs lectures possibles d’un ouvrage. Pour celui-ci, on peut avoir au moins deux approches : le prendre essentiellement pour un ouvrage d’érudition et s’y documenter à propos du socle mythologique d’une culture, et en même temps s’étonner que l’auteur n’en ait pas profité pour faire liens entre le passé mythique et l’actuel politique.

Un numéro récent du « Courrier International »1, titrait sur « L'automne des femmes arabes », « grandes perdantes des révolutions en cours ». Un article rapporte le « coup de colère » de la féministe Nawal El-Saadawi qui dénonce le fait que pas une seule des femmes portant voile ou niqab et participant au pouvoir islamiste en Egypte « ne se fait entendre pour défendre le droits des femmes, de plus en plus malmenées au nom de la religion 2 ». Or, même si l’auteur y fait de discrètes allusions, l’ouvrage de H. Abdelouahed fait le choix d’une mise à distance de « l’actuel ». Les développements sont plutôt centrés sur « l’intériorité » féminine dans ses liens au passé. Je noterais aussi que la position de l’auteur au début du livre, témoignage subjectif et sensible, m’est apparue comme « en contraste » avec la suite de l’ouvrage, qui se situe davantage du côté de l’érudition et de l’étude des textes fondateurs.

ll y a quelques années, Fethi Benslama a publié un autre ouvrage riche d’enseignements, « La psychanalyse à l'épreuve de l'Islam »3. L’auteur psychanalyste, un homme, y mettait notamment en lumière le « refoulement du féminin » en Islam comme constituant le frein majeur aux progrès démocratiques espérés. Houria Abdelouahed, avec sa subjectivité féminine, aborde autrement et de manière très approfondie cette thématique du « féminin » islamique à partir de ses fondements historiques. Son livre très documenté a une facture plutôt « universitaire » par l’extrême densité des citations, traduction de vocabulaire, références abondantes. A tout le moins, si ce livre n’aborde pas plus radicalement certaines questions d’actualité, au moins peut-il être un outil précieux pour ceux qui veulent les travailler.

Nathalie Cappe, décembre 2012.

  • 1.

    « Courrier International » du 25 au 31 octobre, n°1147.,

  • 2.

    « Courrier International » n°1147, « Les oubliés de la révolution », p.43.

  • 3.

    Benslama Fethi, « La psychanalyse à l'épreuve de l'Islam », Poche, 2004 (ou Aubier/Psychanalyse pour la première édition).

Comments (1)

Bravo pour cette analyse très fine du livre.
Yves Thoret