Sophie la menteuse, la mélancolie de Pascal... et autres contes freudiens.

S’il est un signe de vitalité d’une discipline quelle qu’elle soit, c’est bien sa capacité à s’interroger et à remettre en question les fondements qui constituent ses bases théoriques, voire à mettre au jour certaines contradictions au sein même de ce corpus . À ce titre la psychanalyse, grâce à certains des membres de sa communauté, demeure un lieu de débat en particulier par l’intermédiaire des publications qui paraissent chaque année.

L’une des  controverses actuelles porte sur de ce que l’on pourrait nommer l’apparition ou non d’une nouvelle symptomatologie entraînant par conséquent la nécessité d’inventer une nouvelle métapsychologie laquelle découlerait notamment du déclin de l’image du père dans les sociétés occidentales contemporaines.

C’est en partant de la clinique des patients consommateurs de drogues, les toxicomanes ou comme il les dénomme, ceux qui sont atteints de manie-des-toxiques que Markos Zafiropoulos poursuit son combat contre ceux qui veulent renoncer aux structures élémentaires affirmées par Freud : névrose, psychose et perversions, ou pour le moins en augmenter le nombre. Il le fait en s’appuyant précisément sur une clinique qui peut sembler être la plus représentative du malaise social actuel. Son livre est donc, divisé en autant de chapitres que de cas cliniques venant à l’appui de sa thèse et ses références sont presque exclusivement chez Freud, Lacan , Levi Strauss (dont il soutenait dans un précédent ouvrage combien Lacan avait puisé ses sources chez ce dernier), sans oublier George Lanteri-Laura qui lui avait ouvert les portes de son service.

Dans un précédent ouvrage, Markos Zafiropoulos  a montré le caractère non homogène des pathologies sous-jacentes à la prise de drogue. Ici il s’agit de poursuivre cette réflexion en  tentant de comprendre la place que la drogue occupe dans le fonctionnement subjectif du patient.

L’autre ambition du livre est de montrer que le dispositif psychanalytique est «  un dispositif irremplaçable permettant de passer de la clinique du cas le plus particulier à une intelligibilité de la culture »

Ce double pari est-il gagné ? La lecture de l’ouvrage apporte des réflexions très intéressantes à l’appui de ces thèses. On retiendra notamment le chapitre consacré à « Sophie la menteuse » qui fait sous titre au livre et dont Markos Zafiropoulos n’a d’écho que par le récit que fait sa mère au sujet de sa fille laquelle se drogue au trichloréthylène et écrit un journal intime.

Je ne partage pas le point de vue de l’auteur qui pense qu’un journal intime est fait pour ne pas être lu. Bien au contraire, je pense que c’est le projet d’être lu par un destinataire en général la mère qui fonde l’écriture même du journal intime. Quoi qu’il en soit pour Sophie c’est bien ce qui arrive et l’auteur fait alors une analyse très fine de ce qui se joue entre trois générations de femmes autour de la question de la jouissance féminine. Insistant sur le fait que « la puissance maternelle peut être perçue comme un pouvoir surmoïque poussant la fille vers une jouissance morbide » Il poursuit en  soulignant à quel point la lecture du journal écrit par sa fille laisse la mère sur sa faim en ce qui concerne la jouissance de celle-ci.

Dans le chapitre intitulé « La Loi chez Lacan et la double valeur du symbolique : la mélancolie de Pascal » et qui est également présent en sous-titre , c’est l’autre dimension de l’ouvrage qui se trouve abordée. M.Zafiropoulos reprend ici la question des rapports entre le meurtre du père de la Horde et l’institution de la Loi telles que Freud la pose dans « Totem et Tabou ». Comment , même si l’on renonce à la fable historique qui lui sert de support chez Freud, rendre cette dimension du parricide en cohérence avec la clinique du mélancolique  qui de ses pulsions parricides conclut au contraire à un retrait du monde et à un retour sur lui même de ses pulsions agressives et autodestructrices ?

Prenant le parti de la clinique l’auteur insiste alors pour voir dans l’opposition diachronie /synchronie une solution à la question posée . Il faut pour cela considérer la Loi et son envers qui sont simultanément constitués et non pas successivement. Car le Surmoi qui se constitue en même temps que la Loi vient persécuter le sujet au même titre que le langage dont la fonction est à la fois « pacifiante et pathogène »  ce dernier prenant chez Lacan la place et la fonction du père : « Dans l’histoire de la psychanalyse on peut dire qu’avec Lacan les lois du langage surclassent celles du père et que la souveraineté du langage surclasse la lecture familialiste de l’autorité paternelle. Car depuis le rapport de Rome (1953) Lacan a refondé la psychanalyse en revenant à Freud par le chemin de Levi-Strauss »

On ne saurait ici faire le tour des pistes ouvertes par ce livre très riche en réflexions de tous ordres, mais auquel on reprochera d’être parfois trop magistral et tranché, mais c’est aussi l’intérêt de ce livre que d’engager la discussion en présentant le point de vue de l’auteur sous la forme de thèses dont chacune mérite un débat et  dont il pose de façon originale les bases susceptibles de le susciter.

Markos zafiropoulos est Directeur de Recherche au CNRS et à l’École Doctorale « recherches en psychanalyse »  de l’Universiité Paris VII Denis Diderot. Il préside le Cercle international d’anthropologie psychanalytique.