Intervention de l'Ah non à la réunion Oedipe du 29 avril 2006: Mer agitée entre Charybde et Scylla

État des lieux de la mobilisation étudiante

Je fais partie de l’Ah non, un collectif d’étudiants de psychologie d’orientation analytique à Rennes 2. Il s’est constitué au moment de l’amendement Accoyer pour défendre le maintien de la psychanalyse à l’université dans les formations cliniques, à l’heure où la réforme LMD pouvait la remettre en question. Nous travaillons sur la place de la psychanalyse à l’Université, sur la fonction des stages dans la formation clinique et leurs conditions, ainsi que sur les questions que posent les changements dans la politique de santé mentale, et plus largement dans le champ social.

Nous informons les étudiants de l’actualité de notre champ et des réflexions qui le traversent, en répercutant les positions des différents professionnels, et en diffusant des articles et des interviews dans un bulletin semestriel, et sur notre site internet (http://www.lahnon.org). Des newsletters sont régulièrement adressées aux 300 membres inscrits. Nous formons également des groupes de travail sur les questions qui nous interpellent.

En janvier dernier, nous avons pris connaissance du premier projet de décret. Il nous a paru qu’il amplifiait les défauts de l’article 52 jusqu’à un point inacceptable. Notre collectif a alors rédigé, en commun avec les collectifs étudiants de Nantes et Toulouse, une pétition demandant l’abrogation de l’article 52.

Cette pétition a réuni 1600 signataires. D’autres pétitions étudiantes avaient circulé. Nous les avons remises conjointement au ministère de la Santé lors de la journée de la réunion de concertation du 21 février. De cette rencontre est née la coordination nationale des étudiants contre le décret sur la psychothérapie (CNECDP), qui va bientôt changer de nom pour élargir son champ d’action aux dérives liberticides dans le champ sanitaire et social. Cette coordination s’est en effet d’abord rassemblée pour centraliser la mobilisation étudiante contre cette première version du décret. Notre point de rencontre est politique, de sorte à ce que l'hétérogénéité de nos formations ne nous divise pas, mais au contraire enrichisse les débats

Il s’agit de réunir, au sein de cette coordination, deux représentants pour chaque université ou formation. Sont actuellement présentes les Universités d’Aix Marseille, Angers, Lyon, Nice Paris 7 et 13, Rennes, Strasbourg, Toulouse et Tours. Le groupe Dix-it est également représenté. Au sein des universités, les étudiants sont peu au courant de l’actualité du décret ; la coordination vise à pallier ce manque d’information par différentes actions : organisation de réunions entre étudiants ou de discussions avec les professionnels, diffusion de textes en amphis… Notre ambition pour l’avenir est d’élaborer des prises de position communes.

Une délégation de la coordination comprenant des membres de l’Ah Non s’est ainsi présentée au ministère le 7 avril pour déposer sa motion commune qui argumentait de la première version du décret. Nous avons été reçus par Nadine Richard, chef du bureau de la santé mentale à la DGS, qui a transmis notre position à Xavier Bertrand.

Quelques interrogations sur l’article 52 et ses décrets

Sur la nouvelle rédaction du décret, la coordination des étudiants n’a pas encore une position tranchée. Nous débattons actuellement de ses implications et des réactions des différents professionnels. Deux positions se discutent principalement, celle des partisans de l’abrogation et celle des tenants de la politique du moindre mal. J’exposerai donc ici les questionnements spécifiques de notre collectif l’Ah non, enrichis des débats de la coordination.

Nous nous sommes demandés, en rédigeant cette intervention, pourquoi l’option de l’abrogation de l’Article 52 était apparue plus massivement maintenant, pendant la rédaction des décrets d’application, et non au moment de la parution de la loi en août 2004. Notre collectif aussi a diffusé une pétition demandant l’abrogation, à partir de la version précédente du décret, ce qui ne va pas de soi. C’est que les décrets concrétisent les conséquences de l’article 52 et en répercutent les faiblesses, patentes. Au-delà, cette législation se construit sur un impossible, celui de la garantie dans notre champ.

En effet, l’article 52 a pour but de protéger les patients des charlatans. Beaucoup de professionnels et d’étudiants reprennent aujourd’hui cette chansonnette de la protection de l’usager, alors que le législateur lui-même s’est aperçu qu’il s’agissait d’un leurre, au point de déclarer les services du ministère de la Santé incompétents pour définir la psychothérapie. Il laisse ainsi libre la place de cet impossible, qui ne relève que de la responsabilité de chacun. Le législateur s’est alors rabattu sur la seule exigence d’une formation minimale en psychopathologie pour user du titre, laissant libre la pratique.

Si la connaissance académique minimale, demandée sous le terme de psychopathologie est par nature insuffisante, elle reste néanmoins nécessaire à l’exercice de la psychothérapie. Dès lors, quel devrait être le degré légitimement requis de formation universitaire en psychopathologie ?

Dans tous les cas, les psychologues seront les dindons de la farce, concurrencés par le haut ou par le bas. Si un haut degré de formation est exigé, et qu’il s’agit d’une formation spécifique, cela concurrencerait de façon directe les psychologues ; si, comme dans la dernière version du décret, un bas niveau de formation est retenu, le risque est grand de voir apparaître des techniciens de la santé mentale, plus contrôlables et coûtant moins cher que les psychologues, d’autant que le ministre n’a pas écarté la possibilité que soient embauchés les nouveaux psychothérapeutes dans la fonction publique. De plus, la possibilité que des titulaires d’un diplôme dans le champ sanitaire et social puissent user du titre ne laisse présager rien de bon, à notre époque où règne le transfert de compétences.

Le SIUEERPP veut éviter ces impasses en demandant que cette formation soit intégrée aux cursus de psychologie et de psychiatrie existants. Tous psychologues, les psychothérapeutes ! A l’heure où certains viennent de lancer une pétition pour exiger un numerus clausus à l’entrée de Master 1, et où l’on constate un manque d’encadrement criant des étudiants en psychologie, est-il possible d’accueillir ces nouveaux étudiants pour les former à la psychopathologie ?

Alors, ce décret va-t-il dans le sens de la création d’une nouvelle profession ? N’est-elle pas déjà là de fait, même non réglementée ? Il existe des psychothérapeutes depuis bien plus longtemps qu’il n’existe des psychiatres, des psychanalystes et des psychologues. L’article 52 ne le reconnaît-il pas en statuant sur l’usage du titre et en distinguant une catégorie, en creux : ceux qui n’obtiennent pas le titre de droit ? C’est donner aux psychothérapeutes ni-ni une existence juridique. Toute la question est de savoir si cette profession sera inscrite sous le régime du code de la Santé, faisant des psychothérapeutes des paramédicaux.

Notre principale interrogation s’est cristallisée autour de l’article III section 1, qui concerne les pièces que doivent fournir les psychothérapeutes voulant faire usage du titre pour la première fois. Je cite : « - l'attestation de la formation en psychopathologie clinique prévue par l'article 6 ; - une déclaration sur l'honneur, accompagnée de la photocopie des pièces justificatives, faisant état des autres formations suivies dans le domaine de la pratique de la psychothérapie ; - le cas échéant, l'attestation de l'obtention d'un diplôme relatif à une profession réglementée dans le champ sanitaire et social ». Selon que ces pièces sont demandées de façon alternative ou cumulative, les conséquences sont sensiblement différentes.

Certains disent que 150 heures de cours et quatre mois de stage suffiraient désormais pour user du titre de psychothérapeute, ce qui établirait une équivalence scandaleuse avec les formations autrement plus longues des psychiatres et psychologues. D’autres redoutent que les professionnels du champ sanitaire et social (éducateurs, infirmiers…) puissent obtenir le titre, par exemple par voie de formation continue ou de VAE, et en viennent ainsi à occuper les postes des psychologues.

Mais si ces exigences en matière de formation sont cumulatives, les psychothérapeutes ni-ni devront de surcroît attester de leurs formations privées, ce qui nuance la légitimité de telles inquiétudes quant à l’apparition de psys au rabais. Bien sûr, cela ne fait que repousser la question des critères de formation, puisqu’il faudrait bien déterminer les conditions d’agrément de ces organismes. S’agissant de l’exercice en libéral, quel est l’intérêt de réclamer plus de formation ? Si les formations suivies par les professionnels sont publiées, les usagers pourront s’informer eux-mêmes des conditions de leur protection ! C’est là encore l’exercice en institution qui pose problème, eu égard à la diversité et à la complexité des situations psychopathologiques rencontrées. Dans quelle mesure serait-il possible d’obtenir du ministre l’assurance que ce droit ne leur sera pas accordé ?

De nombreuses questions restent pour nous en suspens. Nous attendons des discussions de cette journée des éclaircissements sur les positions de chacun, afin de permettre une lecture plus globale de ce qu’elles impliquent, quant à l’abrogation ou aux aménagements proposés du décret.

Alice Creff et Caroline Leduc