Ce qui compte pour un psychanalyste

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Ce qui compte pour un psychanalyste

(intervention à la journée organisée le 19 Novembre 2011 par l’ARISSE Association et Ressource pour l’Insertion Sociale par le Soin et l’Éducation)

Nous voici donc à la fin de ce mois de Novembre, et déjà 2011 touche à sa fin, bouclée parce que l’on nomme les fêtes de fin d’année. Il fut un temps pas si lointain où les médias faisaient un détour parmi les diseuses de bonne aventure et autres astrologues afin de prédire l’avenir. C’était le défilé des « madame soleil » et autre bonimenteurs. Je pense que ce n’est plus guère utile, car ce que sera 2012, je crois que chacun ici en a une idée peut être un peu flou mais pas plus rassurante pour autant. Autrement dit, vous avez aimé 2011 et vous allez adorer 2012.

Il faut bien avouer que le crash test des banques, a shunté le forward looking des hedge fund ainsi que le shadow banking, insuffisant pourtant pour constituer une véritable blacklist. Si vous n’étiez pas encore convaincus que la langue de Shakespeare avait peu à peu laissé la place, comme le dit Roland Gori, à la langue de Wall Street, c’est que vous n’écoutez pas souvent ni la radio ni la télévision.

Est-ce que cela nous concerne ici même en tant que professionnels ? Dans un article du journal « Le monde » en date 13/14 novembre je lis la chose suivante : « le ministre grec de la santé, Andréas Loverdos – ça ne manque pas de sel car l’overdose je crois que les Grecs en ont un léger aperçu- a annoncé devant le parlement que le taux de suicide avait augmenté en Grèce de 40 % au premier semestre comparé aux six premiers mois de l’année 2010 ». Alors, ou bien la Grèce compte un nombre incalculable de banquiers et autre responsables politiques, conscients de leur rôle dans la crise qui frappe leurs concitoyens, où bien cela concerne la population grecque en général et demain la population française que nous recevons chaque jour, sans parler de nous-même. J’indiquerai pour en finir avec cette introduction que cette situation n’est pas pour demain mais qu’elle est déjà sensible aujourd’hui même tant la souffrance sur les lieux de travail trouve écho dans nos cabinets de consultation. J’ajoute, puisque l’actualité m’en fournit l’occasion, que l’air du temps illustre bien cette nouvelle conception des choses. Plutôt que de s’interroger sur la façon de rendre la vie au travail plus supportable, les dernières mesures du gouvernement sur les arrêts de travail, font fi de cette réalité et des problèmes sous jacent pour au contraire stigmatiser et diviser, en oubliant que si les médecins sont amenés à prescrire certains arrêts de travail qui ne relèvent pas d’une affection organique ils n’en sont pas moins dans leur rôle si l’on s’en tient à la définition même de l’OMS.

La psychanalyse n'est pas une technique c'est une éthique

Je ne vais pas vous raconter ma vie, mais enfin cet été je n’ai pas emporté avec moi en vacances que des livres de psychanalyse, qui comme chacun le sait, sont tous aussi passionnants les uns que les autres. Je suis donc tombé sur une phrase de l’excellent auteur de roman policier norvégien Gunnar Staalesen qui racontant la promenade mélancolique de son personnage principal dans un cimetière, le policier Varg Vum, lui fait dire, en lisant les inscriptions sur le marbre des tombes ces phrases que j’ai fait reproduire dans l’argument qui vous a été fourni :

« Un nom deux chiffres : une vie réduite à des faits. Tout et rien : une poignée de lettres et huit chiffres. Toutes les humiliations, et toutes les joies. Tout le chagrin et tout le rire. L’amour et les déceptions. La tendresse et la solitude. Ils n’y sont pas. »

Gunnar Staalesen : « La nuit tous les loups sont gris » folio policier.

Et je me suis dit que c’était bien à cela que depuis toujours certains cherchent à nous réduire, quelques chiffres, quelques lettres rendant la vie dérisoire. Déjà étudiant en médecine, il y a 40 ans, je me battais pour que l’on ne dise pas le diabète de la chambre 10 ou le cancer de la 15, mais madame ou monsieur untel. Aujourd’hui je dis à une mère que j’ai envoyé à l’hôpital pour avis, de ne pas confondre son fils avec « un autiste », diagnostique qui lui a été asséné sans plus de précautions oratoires et que le terme de Trouble envahissant du développement n’a pas longtemps abusé.

Au moment où la souffrance psychique devient le handicap, où la morale remplace l’éthique, où le comportement prend la place de la structure, où le symptôme devient un mot clé pour recherche sur Google, où le secret médical devient tellement partagé qu’il circule jusque sur les genoux des administratifs, où la parole devient seulement le lieu d’un décryptage et d’un comptage pour remplir un questionnaire, la question se pose de savoir jusqu’où il est possible d’aller sans trahir ceux qui viennent se confier à nous et attendent précisément qu’on ne les réduise pas à une vie se résumant à des faits et des chiffres ?

Au-delà du choix fait par chacun selon sa propre expérience, peut-on avancer dans notre réflexion sur la question suivante : sur quoi un psychanalyste ne saurait céder sauf à y perdre son âme ? À quel moment, doit-on assurément dire non. Je n’ai pas la prétention de répondre à cette question, mais celle-ci fait partie à mon sens de notre vie d’homme et il ne manque pas d’écrivains, de cinéastes, de philosophes, de poètes, d’hommes politiques qui se sont penchés sur cette question dans des contextes multiples et variés. Chacun de nous doit, me semble-t-il dans sa pratique professionnelle, se poser la question : sur quoi je ne suis pas prêt à céder ?

Dans le dernier film de Nani Moretti « Abemus Papam » autrement dit « nous avons un pape », phrase qui est prononcée à chaque nouvelle élection par l’assemblée épiscopale, ce dernier incarne un psychanalyste appelé à la rescousse car le pape désigné ne se juge pas capable d’assumer cette tâche. Le problème pour lui c’est qu’il n’a pas le droit de faire parler ce pape sur ce qui le fait homme : sa vie, ses espoirs , ses fantasmes , sa famille , sa colère, sa peur, ses rêves, la sexualité bien sûr etc. Il en est réduit à faire de l’action sociale, culturelle et sportive organisant un tournoi de volley-ball au sein du Vatican. J’ai parfois le sentiment en écoutant le témoignage de certains collègues que nous sommes peu à peu conduits au sein des institutions à devoir renoncer à ce qui fait le cœur même de notre métier.

Peut-on exercer la psychanalyse partout, dans tous les pays du monde ? l’arrestation de la psychanalyste syrienne Rafah Nached qu’avec le Comité de soutien que j’ai réussi à constituer, dans lequel ont siégé des représentants de la quasi-totalité des associations psychanalytiques de la Société Psychanalytique de Paris à l’École de la Cause Freudienne , des Forums du Champ Lacanien au 4e groupe et auxquels se sont associés le syndicat National des Psychologues, l’ensemble des organisations syndicales de la psychiatrie- vous voyez, ça fait du monde et du monde qui ne se fréquente pas souvent- et les bientôt 10 000 signatures qui ont soutenu cet extraordinaire élan de solidarité , nous avons très récemment réussi à faire libérer, nous démontre si cela était nécessaire que tel n’est pas le cas. C’est un mouvement assez formidable quand même qui s’est mis en place de solidarité avec des personnes dans le monde entier. Bien sûr , ce sont majoritairement des psychanalystes qui se sont mobilisés, mais pas uniquement. Je ne peux pas même brièvement vous citer tout ce qui a été fait pour sa libération. Je voudrais plutôt insister sur ce qui a fait qu’elle a été emprisonnée.

Contrairement à ce qui a circulé concernant la responsabilité d’un article d’un journaliste de l’AFP dans son arrestation, il semble maintenant plus probable que les services de renseignements syriens ont été alertés par deux actions qu’elle a entreprises. Elle a reçu des opposants qui avaient été torturés et elle a également pris contact avec des enfants qui ayant répétés des slogans hostiles au régime ont été arrêtés, torturés et violés ce qui avait entraîné en réponse de violentes manifestations des adultes, manifestations également très brutalement réprimées.

Oui, donner la parole librement à des gens, sans que cela ne débouche sur une action politique quelconque, dans certains pays, ça dérange suffisamment pour qu’on vous mette en prison pour cela. Dans une certaine mesure je pense que nous pouvons en être fiers. Etre psychanalyste ça se mérite et dans certains pays ça se mérite plus, bien plus qu’ailleurs. Je ne veux pas dire pour autant que la situation Syrienne peut être transposée en France, ni que cela soit la même chose que les situations qui se sont produites par le passé dans toutes les dictatures de l’Allemagne hitlérienne à l’URSS stalinienne, aux dictatures d’Amérique latine. Sachons, en toute circonstance, raison garder.

Il y a maintenant quelques années, j’ai quitté un endroit consacré à l’accueil des étudiants dans lequel j’avais exercé pendant une trentaine d’années et dont j’ai assumé la direction médicale dans une période de crise qui a bien failli lui être fatale. Comme toujours, il y avait de nombreuses raisons à ce départ, mais la goutte qui a fait déborder le vase fut un épisode que je vous résume rapidement et qui peut-être, c’est du moins ce que je souhaite, vous en évoquera d’autres. Un jeune homme, un peu énervé était entré un jour dans l’établissement et avait fait peur aux secrétaires en les menaçant verbalement. La réponse de l’institution fut la mise en place d’une gâchette électrique et d’une caméra vidéo pour « identifier » les visiteurs. Qu’un lieu supposé composé de psychanalystes puisse répondre de cette manière à un incident de cette nature m’a semblé symptomatique d’une dérive dans laquelle cette institution s’était laissée entraîner et à laquelle je ne souhaitais plus m’associer. C’est, je pense, ce genre de minuscule événement qui subitement , sans même que nous l’ayons véritablement décidé, peut nous faire dire : ça suffit.

La question du langage à nouveau reposée

Une question s’impose à moi aujourd’hui. Nous sommes-nous à ce point trompés dans notre vie, dans notre approche de l’autre dans sa souffrance, qu’il faille subitement tout mettre à bas ? je parle ici de la génération qui est la mienne et qui a grandi avec les voix de Sigmund Freud, Jacques Lacan, Michel Foucault, Georges Dumézil, Roland Barthes. Quelle cassure m’a séparée, brutalement ou pas mais de façon radicale, de tous ceux pour lesquels l’inconscient est un machin dépassé ?

Cette question, je ne peux éviter de me la poser tant les discours que j’entends me semblent à des années lumières de ce que j’ai appris tout au long de mon analyse, de ma vie et de ma pratique de la psychanalyse. Coaching, développement personnel, gestion du stress , course au bonheur, la vie mode d’emploi en quelque sorte. Même une émission sur TF1 à présent. J’ai failli en tomber de ma chaise ! Et si vous n’êtes pas heureux, si vous n’êtes pas bien dans votre peau, si vous n’avez pas réussi dans la vie, c’est de votre faute, si le monde va mal c’est aussi de votre faute, si vous êtes malade, pauvre c’est de votre faute. Si vous êtes touchés dans votre chair par la mort d’un proche et que vous êtes triste, que l’être cher vous manque, que vous le voyez partout quand vous sortez dans la rue, mais prenez donc des médicaments. Éprouver de la peine, avoir le sentiment soudain que la vie n’a pas de sens, c’est absurde. Vous n’allez quand même pas pleurer, prendre un temps d’arrêt dans votre travail pour réfléchir. Prenez des anti-dépresseurs, vous verrez à nouveau la vie en rose et bientôt vous pourrez commencer à être dans la résilience ! Le monde, notre monde est-il décidément devenu fou ?

La psychanalyse, ses fondements, son éthique, ses avancées, tout cela a-t-il été seulement une illusion ? au contraire chacune de ces attitudes, de ces mots me heurtent comme des gifles.

Et si c’était à refaire, choisirai-je le même chemin ? Suis-je donc un vieux réactionnaire qui veut préserver sa vision du monde, ses acquis, ses privilèges ? sur quoi ne suis-je pas prêt à céder quoi qu’il puisse m’en coûter ?

Sans doute, puisque les organisateurs aujourd’hui ont choisi pour thème le langage, faut-il partir de là, et rappeler que tout cela est venu précisément des questions que chacun était en droit de se poser à propos de ce qui était opérant dans le langage, de ce qui de la parole et du langage était opérant sur le symptôme. Dois-je rappeler qu’il a fallu Sigmund Freud pour que l’on sorte enfin de ce que l’on appelait le traitement moral de la folie, et que, si l’épisode de l’hypnose a servi de tremplin à la psychanalyse, il fallait bien un jour où l’autre pouvoir en sortir et de quelle façon, c’est ce que je vais tenter d’esquisser. Parce que c’est précisément ce qu’il s’agit de préserver absolument.

Le langage, comme Obélix dans la potion magique, nous sommes tous tombés dedans quand nous étions petits. Ce bain de langage, c’est Lacan qui en a tiré les conséquences plus que quiconque. Je ne vais pas rentrer dans des considérations théoriques compliquées sur la jouissance dans lalangue, mais simplement vous rappeler que sa formule « l’inconscient est structuré comme un langage » est venue tout bonnement indiquer qu’il y avait quelques similitudes entre ce que Freud avait posé très tôt qu’il y avait quelques similitudes entre la façon dont fonctionnait l’inconscient par déplacement et condensation, et que ça paraissait ressembler à ce que les linguistes étudiaient à l’époque et en particulier ce qui se désigne sous le vocable de métaphore et de métonymie.

Que l’on se mette à s’intéresser à la langue, et à ce que cela nous fait précisément d’être non seulement baignés dedans mais que, dès que ça manque ça fait problème comme dans le cas des autistes, vous paraît sans doute évident mais cela ne l’est pas tout à fait puisqu’au fond il aura fallu Jacques Lacan pour s’y intéresser vraiment d’un peu près, au moins lorsqu’il ne s’est pas agi des sphères cérébrales et de ce que l’on nomme les aires du langage qui déjà du temps de Freud ont été l’objet de nombreuses recherches y compris par Freud lui-même au temps où il était neurologue.

Le sens des mots

Il faut se méfier des mots. Freud avait déjà souligné qu’ils pouvaient présenter une face double comme celle de Janus, dire une chose et son contraire. Mais c’est déjà une autre dimension que celle illustrée par la devise placée au fronton d’Auschwitz : « le travail libère l’homme ». Auschwitz ne libérait l’homme que de l’envoyer rejoindre un monde supposé meilleur. Auschwitz c’est un camp de concentration, il fallait pour y aller avoir encore la force de travailler et passer par la case travail pour finir « ad patres ». Son voisin Birkenau lui, vous faisait passer directement par la case chambre à gaz. C’était un camp d’extermination. Il ne faut pas céder sur les mots car on finit toujours par céder sur les choses disait Freud.

Aujourd’hui, les mots sans doute de se fonder sur cette « première » - une première qui n’en finit pas de fonder les siècles qui suivent – les mots ne sont plus seulement à double sens, ils ne jouent plus sur l’équivoque, ils s’affirment crânement comme contre vérité jusqu’au scandale. Péchiney défend l’environnement ! Monsanto développe l’agriculture biologique et défend l’écologie. Mais oui, ne soyez pas naïfs. C’est sous ces oripeaux-là les oripeaux que les mots sont devenus, que se dissimule le scandale du monde.

Il m’arrive rarement d’être seul. Je suis comme chacun de vous sans doute entouré par ma famille, femme enfants et petits enfants, de nombreux amis, connaissances, j’ai aussi mon travail, mes collègues, mes patients. Il m’arrive cependant comme à chacun d’entre vous de me trouver seul. C’est une expérience importante. Et si par ailleurs je ne suis alors soumis à aucune contrainte extérieure je dois décider à chaque instant de ce que je dois faire. C’est absolument épuisant. Dans la vie courante il n’en est rien. L’emploi du temps social décide à notre place. Dans ces circonstances , je constate que je me parle plus que d’habitude. Nous avons un besoin vital de parler et si nous ne parlons à personne, si personne ne nous parle il nous faut alors nous parler à nous-même.

Quand j’étais collégien, j’avais le sentiment que mes professeurs ne me parlaient pas. Ils parlaient, certes, mais ils ne s’adressaient pas à moi et leur discours, je l’avais compris assez tôt, était surtout là pour nous empêcher de penser. Alors je me parlais à l’oreille durant les heures de cours.

Ceux que l’on rencontre parfois et qui parlent tout haut et que l’on qualifie volontiers de malades, les vieux qui parlent à leurs morts ou à leur poste de télévision, nous indiquent que l’on ne peut pas vivre sans parole et que si cette parole fait défaut alors il faut être à soi-même son propre interlocuteur. Nous ne devons pas aujourd’hui laisser nos patients seuls face à eux-mêmes, faire semblant de les écouter car alors ils retourneront à leur soliloque. Il faut qu’ils puissent trouver à qui parler

La parole donc est le premier pilier de la psychanalyse. L’association libre le fondement de la cure. De la cure dont l’analyste a fait lui-même l’expérience et cela constitue le deuxième pilier sur lequel il n’est pas question de céder. J’ai de la peine à penser qu’il faille aujourd’hui enfoncer ce clou mais je suis prêt à encourir vos sarcasmes. Et ce, pour la simple raison, que je reçois aujourd’hui des mails, des courriels, me demandant si l’on peut se former à la psychanalyse par correspondance et combien cela coûte ? Cette expérience de la cure que tout analyste doit vivre nous fait toucher du doigt non seulement les effets du transfert mais aussi et en premier lieu la difficulté qu’il y a à parler. Il s’agit aussi, faut-il le souligner de faire basculer le savoir du côté de l’insu, et qu’il n’est pas cet insu à chercher du côté de l’analyste même s’il peut justement y trouver un écho du fait de l’expérience qu’il a lui-même vécu mais bien du côté du patient lui-même. Enfin le troisième pilier c’est la sexualité infantile. La aussi, cela n’a l’air de rien, mais enfin l’une des révolutions freudiennes, celle qui a fait le plus scandale c’est bien l’existence d’une sexualité chez nos petits anges innocents. Et quand j’entends parler de Jung je bondis, car c’est un point qu’il n’a jamais admis.

La psychanalyse comptable

Aujourd’hui, je ne vous apprends rien, la psychanalyse n’a pas bonne presse. Enfin, elle a encore pas mal de forces vives, mais elle ne règne pas autant qu’auparavant. Évidemment, c’est la faute des psychanalystes. Il faut dire qu’ils se sont fait mousser plus que de raison en se poussant du col. ça a permis un formidable retour de ce qu’on croyait disparu à jamais : des gens qui pensaient que le corps c’était une machine qui fonctionnait hors langage et ça, ce n’était pas une bonne nouvelle du tout.

Et puis,en particulier après la Dissolution de l’École Freudienne de Paris et la mort de Jacques Lacan, mais ça avait commencé bien avant, les psychanalystes ont dépensé tellement d’énergie à se battre entre eux et à se disputer sur des broutilles, qu’ils n’ont pas vu que le train de l’histoire était entrain de leur passer sous le nez et qu’il ne suffisait pas de réciter du Lacan tous les soirs à vêpres et à matines pour que ça suffise à résoudre certains problèmes.

Il y a une question qui nous renvoie à la précédente à savoir sur quoi reposait essentiellement la psychanalyse, et c’est de déterminer qui est psychanalyste et qui ne l’est pas. Les psychanalystes se battent depuis toujours là-dessus. Il y a les tenants de la classique cooptation après un parcours balisé centré sur le trépied cure, séminaires, contrôle. Pour ma part, peut-être de façon paradoxale pour vous, j’en suis, car cela revient à faire confiance aux analystes eux-mêmes qu’ils soient en position d’analyste ou de contrôleur du postulant. La-dessus, Lacan a donné un coup de pied dans la fourmilière avec la passe et contrairement à ce que pense mon ami Yann Diener ici présent ça n’a rien arrangé du tout et même ça n’a fait qu’ajouter un peu plus de confusion à quelque chose de dèjà passablement embrouillé.

Là dessus l’État s’est mis en tête de résoudre ce problème à la place des psychanalystes eux-mêmes, puisque , les pauvres ils n’étaient pas capables de s’en sortir tout seuls, on allait les aider. On a vu ce que ça a donné.

Le paradoxe c’est que pour définir ce qu’était un psychanalyste on s’est dit que le mieux c’était que ça revenait à dire qu’était psychanalyste celui qui était membre d’une association de psychanalystes. Évidemment ,on tourne en rond. Sauf que, depuis Lacan il y a des associations de psychanalyse qui ne sont pas des associations de psychanalystes puisque précisément s’y trouvent des gens qui ne sont pas psychanalystes et qui sont précisément là parce qu’ils ne sont pas psychanalystes mais autre chose et que la psychanalyse ça les intéresse à un autre titre. On en est là pour le moment il faudra un jour ou l’autre dire quelles sont les associations de psychanalyses que l’État reconnaît. Sur quels critères ? ah, là comme disait Napoléon ça se Corse. Je vous donne rendez-vous pour la suite dans les prochains mois.

Est-ce que tout cela, ça a permis d’éclairer le bon peuple ou bien est-ce que ça n’a fait qu’accentuer la confusion qui, je le concède n’était déjà pas mince. Pour ma part, je pencherai plutôt pour la deuxième proposition. Car enfin ça aboutit à donner une caution à des gens qui n’ont aucune qualification, à créer un nouveau métier qui mélange tout le monde dans un même sac, à faire l’égalité par le bas pour les besoins d’une société qui visiblement a choisi de nous faire perdre nos repères plutôt que se confronter à ses problèmes pour chercher des solutions peut-être pas faciles, peut-être pas évidentes, mais qu’il nous faudra un jour affronter

Alors, finalement, c'est quoi un psychanalyste ?

Parce que dire qui est psychanalyste et qui ne l’est pas ce n’est pas si simple ; Définir ce qui fait de quelqu’un je ne dirai pas même qu’il est psychanalyste, ça n’a pas de sens, c’est là encore quelque chose qui renvoie à un discours mystique, ça renvoie tout simplement à ce que l’église catholique reconnaît comme la transfiguration, le moment ou la nature divine du christ transparaît au-delà et pourtant au travers de sa face humaine. Vous voyez ça d’ici, le psychanalyste tout à coup, sa face s’illumine et crac, vous voyez apparaître, comme on dit, du psychanalyste. Totalement ridicule !

La nomination

Les sociétés de psychanalyse avant Lacan et pourquoi ne pas le dire, bien après lui mais sous d’autres formes, sans même qu’aucune administration ne vienne s’en mêler, ont défini la psychanalyse sous une forme comptable pas très éloignée de celle que nous contestons aujourd’hui dans tous les domaines où l’on nous invite à gérer l’humain comme certains pensent devoir gérer la production industrielle. Ainsi pour être psychanalyste il fallait garder ses patients une heure les voir 5 fois par semaines leur faire payer cher leur séance, faire payer les séances manquées , ne jamais répondre etc. Tous ces critères qui chacun pris un à un peuvent avoir leur justification, être tout à fait indispensables dans certaines circonstances fussent elles fréquentes, ces aspects extérieurs de la cure ne sauraient définir la démarche analytique, ne définiront jamais un psychanalyste. Or, bien entendu, après Lacan ça a continué à fonctionner à l’envers , On trouve toujours quelque benêt qui, en vous déniant le fait de pratiquer la psychanalyse y trouve l’intérêt d’être auto nominé pour respecter lui, à la lettre si j’ose dire, ces critères. Lacan en a balayé quelques-uns pour malgré lui parfois en instituer quelques autres tout aussi néfastes. Bien entendu cela a fonctionné comme critères d’évaluation et continuent de l’être incidemment, honteusement parfois.

Alors comment sortir de là ?

Je vais vous faire un aveu, je n’en sais absolument rien , mais alors rien de rien. ça ne m’a pas empêché de me poser la question: à quel moment je me sens « bien » dans ma place de psychanalyste et à quel moment je ne m’y sent pas du tout. Voilà je vous livre ça comme ça. Là ou je peux penser que je suis à ma place de psychanalyste, c’est un moment fugace, légèrement angoissant, ce moment se situe précisément lors de la rencontre, de chaque rencontre de la première à la dernière et se situe juste avant que le patient ouvre la bouche, cet instant dont précisément de placer le savoir chez l’analyste le DSM me prive. Car il me fait échapper à ce vacillement que l'on ressent devant ce qui va venir et qu'on ne sait pas et ce au profit d'un savoir supposément assuré et qui évite cette sensation étrange qui résulte de cette position de non-savoir anticipatif. C'est un peu angoissant. On fait alors un pari. Il va nous dire quelque chose que je ne sais pas et qu'il ignore au moins autant que moi. Ce pari je le fais chaque jour, plusieurs fois par jour. Parfois rien ne vient. La rencontre n'a pas eu lieu. Je suis déçu. Lui ou elle aussi sans doute. Ça ne m'empêche pas de situer ce point où le rejoindre devant, au-delà de mon propre savoir qui n'est pas annulé pour autant mais qui attend l'occasion pour servir. À ce moment je ne renoncerai à aucun prix.