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Edito : Par la fenêtre ou par la porte : le sujet du harcèlement au travail
Edito : Par la fenêtre ou par la porte : le sujet du harcèlement au travail
Edito : Par la fenêtre ou par la porte : le sujet du harcèlement au travail
J’étais hier, à l’invitation de Roland Gori, à la projection du film de Jean-Pierre Bloc « Par la fenêtre ou par la porte ». Ce film a pour sujet la lutte syndicale qui s’est déroulée durant dix ans et qui a conduit à l’inculpation (modeste) du dirigeant de l’entreprise Orange Didier Lombard, ancien Polytechnicien considéré par ses pairs comme un modèle du « grand patron ». Il faut ajouter que si ce dernier a bien été inculpé en appel, ses avocats ont d’ores et déjà fait un recours en cassation.
De quoi Didier Lombard était-il accusé et en quoi cela nous concerne-t-il ? Au tournant des années 2000, plus précisément autour de l’année 2006 l’évolution voulue de l’entreprise (jusqu’à cette date Service Public) France Télécom a été progressivement privatisée malgré les nombreuses dénégations des gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédés à la tête de l’État. Cette privatisation s’est accompagnée d’un processus qui nous est décrit ici, à savoir le licenciement massif des employés de l’entreprise.
On assiste donc à un processus bien connu et qui se trouve présent partout en France et évidemment dans le monde, d’une libéralisation des grandes entreprises, du désengagement de l’État avec comme conséquence la sous-traitance et « l’extériorisation » de nombreuses tâches s’accompagnant du déclassement des employés. Une mutation industrielle qui a sa logique, mais qui a pour conséquence de faire peser de tout son poids ses effets destructeurs sur les employés qui voient leur devenir professionnel brutalement impacté par des décisions auxquelles ils n’ont aucune part.
L’histoire industrielle de la France est jalonnée de faits de ce genre. Que l’on pense un instant à la suppression des mines de charbon du nord et à la désertification de la région Lorraine. La lutte désespérée des « gueules noires » n’y a évidemment rien changé mais le processus avait un tel caractère dramatique que personne ne pouvait y être indifférent. Aujourd’hui des processus identiques se produisent mais ils semblent ne plus faire aucun bruit.
Quoi qu’il en soit, la brutalité avec laquelle ce processus a été engagé au sein de l’entreprise Orange durant la décennie Didier Lombard a entraîné un nombre massif de souffrances au travail avec ses conséquences en termes de pathologie et de façon encore plus tragique par la multiplication des suicides au sein de l’entreprise avec parfois des messages indiquant clairement le lien avec la situation professionnelle de celui qui avait fini par mettre fin à ses jours.
Le film nous décrit les procédés managériaux qui ont été mis en place pour licencier ou plus exactement faire partir « volontairement » près de 22 000 employés. Mises au placard, changement de poste, harcèlement moral répété avec dévalorisation, isolement progressif de celui ou de celle dont on a décidé de se débarrasser et comme le souligne l’une des personnes interviewée dans le film sans que nul ne soit à même de savoir pourquoi celui-ci et non celui-là avait été ainsi choisi comme victime du harcèlement ce qui évidemment entraînait un processus naturel d’autoaccusation.
Il est évident que la lutte syndicale qui s’est déroulée au sein d’Orange a eu plusieurs conséquences. La première bien sûr fut de faire connaître par l’intermédiaire de la presse et des médias ce qui se déroulait dans un silence pesant. L’autre point souligné dans le film fut l’inventivité et la ténacité de ceux qui se sont investis dans cette lutte avec au bout la reconnaissance de l’implication de la direction dans les effets tragiques qu’avaient entraînée leur politique et enfin la reconnaissance juridique de la notion de préjudice moral.
Pour ma part J’ai tenté hier de mettre l’accent plutôt sur un aspect absent du film et qu’il me semble utile de poser ici, celui de la place des soignants : médecins, psychiatres, psychologue, psychanalystes dans la réponse que nous pouvons tenter d’apporter à ceux qui viennent vers nous dans ces situations de harcèlement pouvant conduire ceux qui les subissent à des tentations suicidaires.
Ne parlons pas des médecins du travail, leur nombre restreint, leur situation de dépendance au sein de l’entreprise subissent les situations qu’ils affrontent sans vraiment de solution pour y répondre, tant ils subissent eux même des pressions de la part de la direction. Hier l’une des intervenantes psychologues allait plutôt dans le sens de la révolte, ce qui me parait une fausse piste qui nous fait quitter notre place de soignant. J’ai vécu pareille situation lorsque consultant au Bureau d’Aide Psychologique Universitaire le BAPU les dirigeants de la mutuelle étudiante, la MNEF qui nous employait avaient dans les années soixante-dix l’idée que nous psychanalystes devions transformer les étudiants venus nous consulter en militants révolutionnaires ; il nous fallut bien de la persévérance pour leur faire comprendre que nous n’avions pas cet objectif en tête en recevant les étudiants.
La réponse aujourd’hui des médecins est tout aussi fausse qu’il s’agisse des arrêts de travail, récemment contestés dans leur délivrance, ou de la prescription d’antidépresseurs. Et pourtant c’est à l’évidence la plus répandue. Quelle peut-elle être alors ? Un homme , une femme, un adolescent voire un enfant qui évoque l’idée du suicide comme solution a le sentiment que sa vie est une impasse qu’il ne trouve aucune issue, aucune solution aux problèmes qu’il rencontre. Le plus souvent il choisit de s’incarner comme victime plutôt que de prendre en compte tous les éléments qui interviennent dans l’impasse qu’il décrit et dont il ignore consciemment certains aspects. Si la démarche de l’écoute comporte plusieurs étapes dont la première consiste bien à entendre sa souffrance comme telle et à en attester l’existence, le deuxième temps est bien de le sortir de son isolement, de démonter les éléments d’auto dénigrement et d’autoaccusation qu’il a lui-même construits et à mettre aussi au jour ce qu’il refuse de voir en lui-même. Ce point est sans doute douloureux pour lui et peut-être inadmissible du point de vue de son entourage mais le courage d’y faire face est la seule voie acceptable pour le soignant et singulièrement pour ceux qui se veulent des soignants du psychisme qu’ils soient psychiatres psychologues ou psychanalystes. En ne se contentant pas de recevoir la plainte mais en s’affrontant à la complexité de chaque situation ces derniers peuvent être vus à tort comme d’insupportables suppôts du capitalisme, des êtres sans cœur et sans conscience politique. Mais voilà, c’est précisément notre rôle d’être et de demeurer à cette place-là aussi inconfortable soit elle. Notre rôle n’est pas de faire bonne figure sur la scène sociale mais bien de tenir notre place, celle que nous avons choisi de tenir quelle qu’en soit la difficulté et l’inconfort. C’est de cette façon que nous serons le plus utiles, libre à celui venu nous voir de faire de sa liberté psychique retrouvée ce qu’il choisit de faire de sa vie. Que ce soit de se battre au sein de l’entreprise, de changer de vie ou tout autre choix qui sera dès lors le sien et non le nôtre.
Laurent Le Vaguerèse
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