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libre opinion: Euthanasie
libre opinion: Euthanasie
Je crois savoir que le texte législatif - autorisant la sédation profonde continue, jusqu'à ce que quelqu'un, un malade « condamné », comme on disait autrefois, privé de tout apport hydrique et calorique, meure de déshydratation et d'inanition - a été voté par l'Assemblée et refusé par le Sénat. Si ces deux assemblées ne parviennent pas à un accord, il sera voté une deuxième fois par l'Assemblée nationale et aura force de loi. Il paraît que le quidam ne sentirait ni la soif ni la faim qui détruisent son corps ; comment l'a-t-on prouvé ??? Je ne sais. Je ne sais pas non plus pourquoi on a choisi ce mode d'exécution qui semble cruel pour les gens incroyants dont je suis : j'ai vu, en réanimation, des hommes aller vers leur mort et j'ai toujours eu le sentiment de regarder de l'humain qui souffre.
La sédation profonde continue usque ad mortem, est pour moi un meurtre légal, et je remarque que toute la discussion autour de cette loi future omet deux termes essentiels - c'est que la mort est scandaleuse, qu'elle est un scandale si grand qu'on n'a cessé d'inventer des rites pour tenter à la fois de la dénier et de l'humaniser, depuis l'extrême onction catholique jusqu'à la construction des pyramides - et que la mort est sale, puisqu'elle entraîne immédiatement un relâchement des sphincters et que là aussi, il y a eu tout plein de rites inventés comme la thanatopraxie ou le tahara bret, planche rituelle juive pour laver les mort. ces faits, aucune loi ne changera jamais rien.
C'est, proposé par le gouvernement, une première forme d'un meurtre normé… oire : la loi Veil (1975) avait déjà permis de tuer in utéro les enfants non désirés ou suspects de quelque grave pathologie.omme beaucoup, j'aurais voté pour cette loi qui a été une étape aussi importante dans la liberté des femmes que la pilule contraceptive (légalisée en 1967). Il n'empêche qu'une barrière avait été franchie, sans qu'on y prenne garde, en toute bonne conscience : celle de l'interdit de tuer un être humain, fut-il rudimentaire.
Le meurtre judiciaire, la peine de mort, a existé jusqu'à son abolition par la loi Badinter en 1981. e qu'on nous promet, c'est que le meurtre légal ne sera plus une violence d'Etat exécutée par un bourreau payé pour ça, mais qu'il sera décidé et exécuté par des médecins dans les limites d'une loi, et cela valait pour la loi Veil comme cela vaudra pour la sédation profonde continue jusque mort s'ensuive. L'Etat n'est plus le seul dépositaire de la violence meurtrière dont le désir est au cœur de chacun.\\
Le premier septembre 1939, premier jour de la guerre, « l'Euthanasie » (Action T4) fut lancée par un ordre écrit signé de la main de Hitler.\Le moteur de cette Action T4 était- un peu idéologique : préserver la pureté de la race germanique porteuse de toutes les grandeurs à venir- clairement économique : dans la guerre qui se profilait, il fallait se débarrasser du fardeau des « bouches inutiles » et des « vies indignes d'être vécues », afin que chaque allemand vivant soit en état de participer à l'effort de guerre
Pratique : libérer des lits et des soignants pour les blessés de la guerre à venir
et enfin habillé de quelques oripeaux scientifiques : libérés du poids des malades inguérissables, des enfants mal bâtis et des psychiatriques chroniques, les médecins auraient du temps pour mieux soigner les malades intéressants, jeunes et capable de rentrer à nouveau dans le circuit économique, grâce à des soins mieux éclairés - et avancerait alors, d'un bon pas, « La Science » allégée de fardeaux inutiles.
La loi sur l'euthanasie valorisait les médecins qui avaient maintenant en charge la pureté de la race germanique, et le bon état sanitaire de la population allemande : avouez que c'était plus gratifiant pour leur ego que de passer sa vie à écouter les plaintes monotones des individus souffrants.
Des problèmes pratiques se posaient : qui désignerait les malades à exécuter, qui les assassinerait ?
Le bon vouloir des médecins et des infirmiers allait résoudre ces questions pratiques, car ils s'y mirent de bon cœur et avec une belle efficacité, et surtout, c'est d'une extrême importance, avec le sentiment qu'ils faisaient bien, qu'ils faisaient ce qu'il fallait faire.lors, « l'Euthanasie », ça se faisait partout : dans les services hospitaliers où on apprenait aux jeunes internes la technique de l'injection du luminal ; ça se faisait aussi dans des centres d'abattage comme le château d'Hartheim, avec les gaz d'échappement des camions bâchés. Ça se faisait, en psychiatrie, par inanition : à mesure qu'on diminuait la ration calorique, on augmentait les sédatifs et pour pénétrer dans les salles d'hommes, les infirmiers étaient armés.l y avait une administration centralisée pour gérer tout ça, y compris pour prévenir l'animosité des familles par des transports noirs, des avis de décès réglementaires et des urnes de cendre.n estime le nombre d'allemands ainsi supprimés, à 200 000.
Le système offrait une certaine complicité silencieuse aux familles : on leur proposait un nouveau traitement qui pourrait peut-être améliorer l'état de leur enfant handicapé, mais que ce traitement comportait un risque de 95/100 de mortalité… ui ne dit mot consent : en l'absence d'un refus énergique, l'enfant était tué.
la fin de la guerre, dans les procès de Nuremberg ou de Cracovie, ces médecins plaidèrent tous non coupable, non pas par perfidie, souligne Götz Aly, mais par conviction sincère d'avoir fait leur devoir. A preuve qu'en 1967, vingt ans après la fin de la guerre, il s'est encore trouvé un praticien pour proposer qu'on crée un organisme avec médecin, famille, et prêtre, pour décider des enfants trop handicapés, de ceux qu'il fallait tuer parce que non humains.\près ce détour dans un passé, disons de 70 ans pour s'aligner sur l'anniversaire de la libération d'Auschwitz, je crois qu'il est bon de se poser quelques questions quant à la loi à venir.
Les motivations généreuses et altruistes sont sur les banderoles en tête du défilé : mourir dans la dignité, proprement, sans sanglots inutiles, sans souffrances, sans cris – en silence et sans déranger personne.
Mais qu'en est-il des autres motivations dont on se garde bien de parler :- motivations économiques : la République manque de sous et l'entretien des malades chroniques, en attendant qu'ils meurent de leur belle mort, est ruineux.- motivations pratiques : on va pouvoir enfin désencombrer les services de réanimation et les services de pointe, ça va faire de la place.- motivations scientifiques : ça va libérer du temps, du personnel et de l'énergie pour faire des publications brillantes.\Pour resserrer ma pensée : la loi sur l'euthanasie va très probablement être votée - sous un prétexte idéaliste « d'humanité », - parce qu'elle est, à terme, une source d'économies considérables et que l'Économie est la reine du jour,- sans prendre en compte le dégât que peut créer la levée, même encadrée par une loi, de l'interdiction du meurtre, pilier essentiel des sociétés humaines.
Parlons cinéma.
Les invasions barbares.j'ai revu hier soir sur mon ordinateur « Les invasions barbares ». C'est un film délicieux, plaisant, plein de gaieté. Les gens rient, s'aiment, s'attablent, boivent de grands vins dans une belle maison au bord d'un lac.e héros est mourant d'un cancer généralisé dans un hôpital pourri, débordant de malades dans les couloirs, mais son fils, trader à Londres, est plein de fric et arrange tout, comme un magicien…l lui fait aménager une chambre seule, lui envoie une pseudo infirmières pour des massages érotiques, lui procure de l'héroïne qui calme ses douleurs et le rend joyeux. Pour finir la partie on lui en administre une dose massive et il meurt le soir au bord du lac, entouré de tous ses amis et de ses anciennes maîtresses, en rêvant de ses premières amours.
Ah ! Mourir comme ça … on en redemanderait. Moi, je serais preneur d'une telle euthanasie: je vais faire des papiers pour ça (mais, hélas, je n'ai pas de fils trader).
C'est la vision fantasmatique et romantique de l'euthanasie, comme chacun en rêve, et quand l'assemblée nationale s'apprête à légiférer, c'est cette image qui est stimulée dans la tête de chacun.
La réalité est tout autre : dans une unité de réanimation, quand un malade s'incruste, de complications en incertitudes, ça tourne vite vinaigre ; l'équipe devient nerveuse, le malade un mouton noir qu'on voudrait bien voir ailleurs, même dans la mort. Et puis ça coûte des fortunes pour pas grand chose, un « légume » qui ne survivra pas longtemps après son transfert dans une unité de malades chroniques… c'est ressenti pas les équipes jeunes et « qui en veulent », comme du gaspillage d'argent et d'efforts qu'on voudrait bien investir dans une affaire rentable. Il faut s'en débarrasser, mais ça n'est pas toujours possible, défaut d'identité, manque de papiers, manque de services de désencombrement…
Le service a pourtant un impératif catégorique : rester capable d'accueillir des gens en détresse vitale pour les relancer dans l'existence et, s'il se laisse encombrer, il perd la capacité de remplir la mission pour laquelle on l'a créé : sauver des vies ! \Alors, de ce point de vue, la légalisation d'une euthanasie sans le dire ni se salir les mains,"la sédation profonde continue » - serait bien utile pour désencombrer les services et faire des économies.
Il y a aussi des lieux où en entre pour mourir : les unités de soins palliatifs où serait théoriquement possible une euthanasie heureuse, dans le genre de « Les inventions barbares », mais en noir et blanc, d'autant que ces unités sont bien équipées en personnel de qualité et en nombre suffisant, médecins, infirmières et psychologues.Malheureusement (ou heureusement) quand on écoute ces soignants, on apprend que les demandes d'euthanasie : « qu'on me zigouille aujourd'hui, tout de suite » n'existent pas : les gens peuvent avoir le désir de parler de leur mort, mais il ne faut pas prendre la chose pour argent comptant : me tuer ??? on en reparlera « demain », le demain des barbiers où « on rase gratis ».\onc, le champ d'application de « l'euthanasie », la sédation profonde continue jusqu'à la mort, que nous propose l'Assemblée nationale, ce sont vraisemblablement les unités de réanimation ou autres services de pointe, qui s'en serviront pour cause de désencombrement.\
12-8-2015 Joseph Gazengel
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Comments (1)
Mon cher Joseph,
Comme je te l'ai écrit dans une correspondance privée,la question économique, si elle n'est pas absente des considérations actuelles sur l'euthanasie, ne me semble pas en soi choquante. Comme le rappelait il y a quelques temps mon ami Antoine Lazarus, une politique de santé publique consiste à choisir ses morts. La politique des nazis aussi horrible et inhumaine qu'elle puisse nous apparaître relève de la même logique. En démocratie c'est donc à chacun de dire ce que doit faire dans ce domaine la puissance publique. On a vu qu'à certaines époques que tu rappeles, la population n'était hélas pas opposée que ce soit en Allemagne ou aux Etats-Unis notamment, à des politiques qui nous paraissent à juste titre inacceptables et barbares. Faisons en sorte que l'Histoire ne nous condamne pas au même titre que nous condamnons les politiques passées
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