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Le sujet divisé dans les « ribin » de l'institution.
Le sujet divisé dans les « ribin » de l'institution.
Le sujet divisé dans les « ribin » de l’institution.
http://www.vigilance-cmpp.infini.fr/
Intervention à l'Assemblée Générale de « Sauvons la clinique » le 05 Juillet 2008
Introduction :
Maryse le BIHAN, actuelle présidente du Comité et Etienne RABOUIN, vice- président de ce collectif souhaitions d’abord remercier sincèrement nos collègues du SIUERPP présidé par Roland GORI.
Au-delà de cette initiative qui nous pousse à élaborer ensemble des arguments, nous voulons saluer non seulement la rigueur conceptuelle en débat permanent, mais la ténacité de leurs positions qui acceptent de « mettre à l’épreuve la question clinique » pour reprendre un terme récent d’Alain ABELHAUSER.
Ceci constitue pour des associations comme les nôtres un appui essentiel pour maintenir en tension une force de réflexion et de proposition aujourd’hui vitale.
Il est cependant évident pour nous, que cet appui ne peut être un accoudoir.
Quelle que soit la taille de nos associations, nous devons nous regrouper, que chacun se sente concerné et s’y mette, à la mesure de ses moyens.
A nous de plancher pour que « Sauvons la clinique » suscite un mouvement suffisamment puissant qui ne concerne pas que des professionnels mais l’ensemble d’une société réduite de plus en plus à une modélisation des comportements, classés, stigmatisés, fichés, qui n’aurait plus qu’à se taire.
Ce texte qui suit, avec d’autres, est fait pour être débattu, contredit, réapproprié et surtout qu’il circule dans une communauté de langage, en somme qu’il vive et ne reste pas lettre morte.
Maryse LE BIHAN - Etienne RABOUIN
http://www.sauvons-la-clinique.org/
Les ribin ( prononcer « ribines ») sont en Breton d’étroits passages. Ils ont souvent été utilisés par les locaux pour échapper aux forces de l’ordre de l’occupant.
Venons en aux faits :
Nous ne sommes plus aujourd’hui face à des intentions, avec nos alarmes, nos pétitions, notre colère.
L’idéologie normative des comportements qui s’annonçait comme un rouleau compresseur avec ses référentiels et indicateurs à l’appui, est là. Il n’est plus question d’analyser, mais d’évaluer, selon des critères que nous sommes « invités » à mettre en place. Comme l'ont clairement écrit J.A Miller et J.C.Milner: « l'évaluation est une chose qui se demande...l'évaluation est la recherche méthodique, inlassable, extrêmement maligne, du consentement de l'autre ».
Ceci ne concerne pas que les institutions. C’est un système. Le « projet de travail » concernant le décret imminent du titre de psychothérapeute apparu le premier juillet 2008 en est l’exemple le plus choquant, le plus destructeur, il nous concerne tous, patients, professionnels, citoyens.
Pour les institutions médico-sociales, il s’agissait progressivement d’évaluer le rapport entre les « troubles » concernés –selon le DSM IV- et le coût de leur prise en charge efficace selon les « bonnes pratiques » et la bonne gestion comparative des établissements.
Mais cette formulation n'a plus besoin d'être officielle, elle ne le sera sans doute pas. Puisque déductible « scientifiquement ». Nous serions dans une « culture du résultat » .
La remise en cause de ces « indicateurs » faisant un lien entre une définition d’un « trouble » et le coût de sa prise en charge paraissait péremptoire il y a 5 ans. Cela occasionnait même des débats et un conflit y compris au sein du bureau de la toute jeune fédération des CMPP comme avec le Comité de vigilance créé à peu près en même temps.
Aujourd’hui, cet espace conflictuel n’a même plus lieu d’exister puisque dissout dans une logique dite « scientifique » par l’Etat.
Le très récent « texte de travail » transmis pour le SIUERPP par Alain Abelhauser le 01 Juillet au sujet du statut des psychothérapeutes se réfère très précisément aux « troubles » du DSM4.
Actuellement cette logique d’entreprise ( le mode de classification du DSM 4 l’est sur un mode strictement comportemental) se prolonge dans une réorganisation complète des modes de gestion et de tutelle des institutions que l’on retrouve déjà dans d’autres secteurs comme la justice ou le secteur hospitalier.
Les CPOMM (contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens mutualisés ) dans lesquels les associations gestionnaires du médico-social devront s'inscrire sont des « contrats de confiance pour une gestion moderne, solidaire et efficace »avec comme outils : un guide méthodologique et un recueil de bonnes pratiques (site du Ministère du Travail ) .Il est prévu, selon la régie des politiques publiques, de diminuer du 1/3 le nombre des associations gestionnaires( plus de 3000 !).
Tout ceci ne se fera pas sans de très vives tensions et de courses aux financements.
Les associations gestionnaires, elles-mêmes mises en question, peuvent-elles se passer des professionnels pour élaborer des réponses cohérentes ?
Pourtant lorsque la parole circule entre ceux qui sont au plus près des mots des patients et les gestionnaires, beaucoup de constructions sont encore possibles dans les institutions.
Les administratifs » sont les premiers à entendre les demandes, remarques et plaintes des patients.
Que de paroles dans les couloirs, les bureaux des secrétaires, a l’accueil. Combien de remarques sur le coût d’un acte institutionnel…
Mais qui est prêt a les entendre et surtout qu’est ce qu’on en fait ?
Balance-t-on du côté de la pleine satisfaction de l’usager au nom de la plus-value d’un service …
ou du côté de l’attention clinique portée aux patients encadrée par une gestion cohérente d’actes responsables dont nous avons à rendre compte au cas par cas.
On se rend bien compte que ces deux modes de gestions n’ont rien à voir dans leurs conséquences.
Nos collègues du Comité de Vigilance des CMPP du sud-est, créé en avril 2008,peuvent témoigner des effets dévastateurs de ce type de réorganisation.
Nous ne sommes plus seulement face à deux logiques, deux conceptions fondamentalement différentes de l’approche du psychisme et du symptôme (cognitivo-comportementalisme / psychanalyse), nous ne sommes plus seulement dans l’annonce, encore moins dans le débat, nous sommes dans la sommation.
On nous parle de « culture de l'évaluation », de « formation à l'évaluation », mais la seule question qui reste est celle-ci :
« Tenez vous a votre accréditation ? »
1 - Est-on aujourd’hui dans un rapport de force suffisant pour s’opposer frontalement à l’engrenage sans fin des protocoles évaluatifs ?
- Certes l'Inserm a reculé sur certains de ses rapports, a été taclé par le Comité d'Ethique,a remis en cause publiquement ses méthodes ...pour revenir une semaine après avec un rapport du même tonneau sur les troubles du langage et des apprentissages .
- Certes la puissance du mouvement engendré par « Pas de 0 de conduite » a permis la remise en cause de la scientificité des rapports prédictifs concernant la prévention de la délinquance ... Mais qu'en est-il des lois votées sur les peines plancher, la récidive, l'usage des tests ADN, la peine de sûreté, les questionnaires expérimentaux de Monein (Béarn) vers les enfants de CM2 sans l'aval ni des parents, ni des enseignants , le fichier « Base-élève » et encore plus récemment le fichier « Edvige » concernant les mineurs de 13 ans, sans oublier la mise en place des MDPH, qui conduit a stigmatiser comme handicapé tout élève en difficulté.
-De fait, dans les établissements comme dans les universités, les psychologues cliniciens sont de plus en plus souvent remplacés par des neuropsychologues ou des cognitivo-comportementalistes sans aucune question posée sur la compatibilité ou non des fondements épistémologiques des pratiques. Il s'agit, dit-on, de « moderniser et d'ouvrir » l'offre de service pour le « panier de soin » de l'usager. Ce si joli terme (panier des soins remboursables- PSR-) qui pourrait faire penser à un pique nique champêtre, vient de l'assurance maladie.
Il intéresse donc particulièrement toutes les compagnies d'assurance aux aguets de la privatisation de ces secteurs.
Aucun texte de loi ne stipule pourtant ce changement, mais l’anticipation de la concurrence, CPOMM et LOLF(loi organique relative aux lois de finances) suffisent pour lancer le mouvement.
L’évaluation est simplement le vecteur très actif et rentable de ce passage, de cette « mutation anthropologique qui fait d'un sujet qui parle une petite entreprise auto-évaluée » pour reprendre Roland Gori et Marie-José Del Volgo.
La première campagne d’évaluations des Universités en 2008 par L’AERES fait état de 670 Unités de Recherches impliquant 3200 experts (Source S.I.U.E.R.P.P) On imagine la mobilisation et le coût que supposent toutes les autres campagnes lorsque l’évaluation s’étend à tous les secteurs d’activité (près de 3 % du budget annuel d’un établissement du médico-social, sans compter la perte d’activité liée au temps passé !). Peut-on parler d’une armée d’évaluateurs auto- évalués ?
Sans-doute nous rétorquera-t-on que ces chevaliers de l’ordre n’ont rien de guerrier et n’ont d’autre mission que l’amélioration de la qualité des soins, les droits et le bien -être de l’usager… en somme son bonheur.
2- Etant sous sommation avec ce rapport de force insuffisant, que faire ?
Lorsqu’une équipe reste cohérente, que l’administratif permet de développer la créativité clinique, un moindre mal consiste à réfléchir ensemble à la façon de ne céder ni sur les mots ni sur les idées en suivant les textes à minima et sans anticiper sur le désir supposé d’un législateur censé tout voir et tout contrôler.
La polysémie des mots permet pourtant de créer des vallons, des aplombs, des versants ombragés à partir de textes de lois qui cherchent à lisser le paysage pour araser tout ce qui dépasse.
Il reste heureusement des îlots institutionnels ou la pensée et la parole fonctionnent mais non seulement ils deviennent rares pour certains professionnels mais font office des bulles protégées du monde extérieur par le désir solide de quelques personnalités. Ce qui est très fragile.
Il faudrait contrôler, en particulier le temps. Le temps et les protocoles.
Rarement le temps de travail n'aura été soumis à autant de contrôles, au détriment de l'acte.
Ouvrons au passage une parenthèse : Comment endiguer cette injonction de jouissance, ce retour à la pulsion qui passe par cette annulation de la pensée et de la création ?
Retour qui passe par exemple par des questionnaires de satisfaction que l’on déposerait dans une urne ? Il ne s’agît malheureusement pas d’une image métaphorique, ça se pratique déjà.
Comment stopper la réduction caricaturale –au nom de la science- de la problématique du langage en une « transmission d’informations » autrement dit de données informatisables ?
Comment limiter cette passion de l'ordre qui ne ménage pas les messages paradoxaux comme celui de la plus grande transparence des informations au nom de la prévention et, au nom de la confidentialité, évider le dossier médical d’un patient de toute référence a un tiers ?
L’énoncé dans un récit d’un « tiers » revient donc ici à menacer dans le réel un autre imaginaire et anticiper ce «tiers imaginaire » comme potentiellement persécuteur.
( Puisqu’il pourrait faire un procès a l’auteur du récit ou a celui qui en a pris note !)
Un patient a donc aujourd'hui parfaitement le droit d'accéder à une enveloppe vide mais dûment sécurisée.
En somme ces textes ont de quoi rendre fou.
Mais ne devient pas fou qui veut, comme disait Lacan. Il faut donc la conjonction de l’écrit d’un législateur et la lecture de quelques uns.
Cette parenthèse ne vient qu’illustrer certains dérapages possibles institutionnels de plus en plus fréquents.
Un très bon exemple de dérive est développé dans le livre « Acte 2 » du Comité de Vigilance des CMPP, l’article collectif s’intitule : « Asphyxie évaluative, quand le désir s’(en) mêle »
Revenant à la « moins mauvaise » façon de subir l’auto -évaluation celle-ci ne restera dans tous les cas pas sans effets, n’en soyons pas dupes.
Qu’est ce qui peut différencier une équipe de cliniciens qui réfléchissent et se parlent de leurs actes, d’une équipe de cliniciens évalués qui n’éprouvent plus - ou moins- le besoin de se parler, ou encore se parlent essentiellement pour chercher la moins mauvaise réponse a des évaluateurs ?
« Un acte ça va pas de soi ! » résumait ainsi J. Oury dans son séminaire de Saint Anne en 84.
L’évaluation, elle, tend vers le général voir l’universel : il n’y aurait donc plus de questions puisque « ça va de soi » : On a respecté le protocole. Même si votre patient se suicide, vous pouvez dormir en paix !
On passe ainsi d’un acte « qui ne va pas de soi » à un acte « qui va de soi ».
Cette référence a J. Oury renvoie a la psychothérapie institutionnelle qui, restant subversive, n’a jamais tenté de faire école, tout en démontrant dans l’expérience sans cesse renouvelée sa fonction diacritique fondamentale, c'est-à-dire la mise à l’épreuve de la clinique au cas par cas dans un espace collectif.
3- Y-a-t-il une « pire » façon de se confronter aux évaluations ?
Malheureusement nous devons constater, par les exemples rencontrés, un « no-limit » ! La question de ce qu’est la clinique peut ne plus se poser, l’institution pensée comme support transférentiel peut ne plus exister, l’acte thérapeutique pourrait n’avoir de validité que par sa codification en temps et en coût et les mots eux- mêmes technicisés jusqu’à l’absurde , désincarnés.
En bref : comment peut-on continuer à travailler en équipe en faisant référence à la psychanalyse ?
Ce n’est pas du tout une question de pure théorie, c’est même très pratique et urgent ! Les patients sont toujours là, nous parlent et nous avons à y répondre.
C’est bien là qu’il faut trouver les « ribin » !
Accueillant un patient, comment penser éthiquement un acte thérapeutique en institution sans savoir si l’acte suivant, parfois en interne, ne vient pas contredire le vôtre ; par exemple en ciblant le symptôme, non dans sa valeur économique au sens psychique du terme, mais comme un ennemi à abattre au risque d’en renforcer la fonction de défense ?
4 Comment peut-on faire lorsque notre réponse ne vise pas à résoudre mais à mettre une problématique en tension ou à transformer ce qui fait symptôme en une problématique ?
Le moteur de ce travail c’est le transfert nous l’expérimentons depuis Freud.
Mais institutionnellement, dans un contexte de recherche de satisfaction systématique de la demande, le maniement du transfert devient de plus en plus complexe. Nous ne deviendrions qu’un spécialiste de plus dont on attendrait conseils, coaching et solutions. Si ça ne vient pas, nous frôlons le jugement d'incompétence, nous pouvons même l’atteindre en dépassant le seuil de l’insupportable, surtout si l’institution nous lâche, elle-même aux prises avec ses contradictions et son souci de surnager à n’importe quel prix.
Il faudrait multiplier les certitudes, les bilans, les résultats, les chiffres.
Dans ces cas de figure, les réunions institutionnelles, même au sujet d’un patient, n’ont plus rien à voir avec un espace d’élaboration a plusieurs pour y mettre en question ses observations et ses doutes.
Il ne reste plus qu’une arène.
On ne peut plus alors parler d’institution et les professionnels sont dramatiquement seuls.
Plus précisément, ils sont dans un collectif vide ( la même imposture que le patient face à l’enveloppe vide de son dossier).
Ceci est très différent de la solitude d’une pratique libérale qui s’articule tout autrement avec le collectif et ne peut se confondre, même en réseau, avec le support constitué par une institution.
Pour conclure :
Il faut parfois des mois pour retrouver avec un patient un « parler vrai » en confiance, dégagé de la recherche de la preuve, de la cause et qui remette le désir en jeu.
Un patient peut-il encore s’appuyer sur une institution si elle se résume à un plateau technique interchangeable censé s’adapter à toutes les restructurations et toutes les modes ; Une institution blindée, aux normes, inattaquable et désaffectée ?
Actuellement n’assiste t-on pas à la disparition de ce qui du collectif s’institue, à l’élimination des failles, des trous, des espaces de surprise et du coup à l’annulation de ce qu’est un « travailler ensemble » ?
Alors comment penser l’institution, ce système collectif vivant, dans toute sa complexité, inscrit dans une histoire et marquée d’un style ?
C’est la question centrale que nous souhaiterions aborder lors des Etats Généraux de la Clinique.
Pour le Comité de Vigilance des CMPP de l’Ouest.
Etienne RABOUIN
Avec le soutien amical et très actif de Maryse Le Bihan qui s’est réapproprié ce texte pour le présenter a Vannes le 21 Juin au meeting organisé par l’ACF-VLB.
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