Youpi, mon fils est trans ! Le Nudge, ce nouveau surmoi social

Youpi, mon fils est trans ! Le Nudge, ce nouveau surmoi social

 

Les parisiens ont eu droit la semaine passée à des affiches apposées sans doute par la mairie vantant de cette façon et dans un mélange des plus suspect homosexualité et transsexualité. Je ne parlerai pas ici des enjeux complètement différents qui sont impliqués dans ces deux entités et dont les objectifs peuvent d’ailleurs s’avérer contradictoires. Pour ceux que cela intéresse, et j’espère qu’ils sont nombreux tant les enjeux me paraissent absolument considérables pour nos sociétés dites démocratiques, je ne peux que conseiller une nouvelle fois la lecture de l’excellent ouvrage d’Eric Marty[1].

 

Cette campagne publicitaire et surtout sa modalité attirent une nouvelle fois notre attention sur un concept qui fait fureur et qui est issu des sciences du comportement, je veux parler du Nudge[2]. À mon avis, si vous ne connaissez pas ce concept, il est plus que temps de vous informer à son sujet. En effet il interroge la question de la manipulation des personnes et par là même la démocratie. Il est, me semble-t-il, un symptôme tout à fait essentiel et inquiétant de notre modernité.

 

On peut résumer ainsi son propos : « « Tout le monde pense ceci pourquoi penseriez-vous différemment ? ». Bien sûr, ce sont les tenants de la campagne qui affirment que tout le monde pense pareil et qui surtout défini ce sur quoi ils seraient d’accord. C’est un propos « performatif « » : Je dis ceci et cela devient la réalité, même si ce n’est pourtant rien d’autre que le projet que j’ai qu’il en soit ainsi et que je vous convie à adopter. Exemple : « 10 millions de personnes ont téléchargé Stop covid. Ils sont prévenus plus tôt en cas de contamination et ils ont accès à un test » Ah bon ? Mais alors si moi je ne le fais pas, je vais me trouver en infraction ? Et si je n’ai pas de téléphone connecté, je fais comment pour avoir un test ?

 

Tout le monde pense ainsi. Donc vous devez penser pareillement voir faire pareil. Comment autant de personnes pourraient se tromper. Et même si c’était le cas, vous ne seriez pas le seul dans ce cas et votre responsabilité en serait amoindrie. Dans le même sac pourrait-on dire ce qui est tout de même un peu fort.

 

Bien entendu en ce qui concerne les tenants de cette manipulation on retrouve en premier lieu les publicitaires mais les entreprises ont bien entendu emboîté les pas et les politiques ne sont pas en reste. Je pense qu’il n’est pas utile d’insister sur le caractère manipulatoire de ce procédé, mais allons plus loin. Bien sûr de cette façon on réduit à néant les positions diverses des individus ici rassemblés dans ce « tout le monde ». De plus une invitation est faite à chacun de surtout ne pas penser et de se comporter comme des moutons.

 

Pour ma part, que cela vienne du comportementalisme cela ne devrait pas nous étonner puisqu’il s’agit par ces procédés non de penser mais de s’adapter. Évidemment penser et s’interroger sur le fond des problèmes qui se posent à nous c’est fatigant.

 

Prenons l’exemple du GPS que les tenants de cette approche mettent en avant pour en justifier le bien-fondé. (Eux-mêmes reconnaissent d’ailleurs qu’il peut y avoir une « mauvaise » utilisation de celui-ci dit le « sludge »). L’exemple positif mis en avant c’est le GPS. Ce dernier calcule pour vous une route que vous êtes libre de suivre ou non. Comme chacun d’entre vous j’utilise le GPS notamment en voiture lorsque j’ai la flemme de regarder mon parcours sur une carte et je me laisse conduire. Pourtant l’expérience montre qu’il n’est pas facile de s’en écarter même pour un court détour car alors on est soumis à une sollicitation contradictoire. Le GPS sorte de surmoi tyrannique vous dit de faire une chose qui s’oppose avec insistance avec ce que vous avez consciemment décidé de faire. De plus si vous vous laissez guider sans consulter une carte vous ne savez bientôt plus du tout où vous vous trouvez ni par quel chemin le système vous a « invité » à passer.

 

Ne pas aller au fond des choses, tel est l’objectif caché. Le propos de la démocratie visait grâce à l’éducation de la population tout entière à faire en sorte de forger des individus responsables, conscients des enjeux, capables en quelque sorte de faire des choix éclairés et de les exprimer librement. Ce n’est semble-t-il plus guère d’actualité. Ce qu’il faut c’est massifier, manipuler, mentir.

 

On pouvait penser qu’adhérer à un parti politique revenait, après avoir rencontré certains de ses dirigeants ou de ses militants et avoir débattu des objectifs de ce dernier, à s’engager à ses côtés pour en faire triompher les idées. En permettant l’adhésion grâce à un clic sur internet il ne s’agit à mon sens que de faire de cet acte un achat marketing.

 

Ne pas penser, ne pas réfléchir. Agir dans l’intérêt commun mais qui défini cet intérêt commun ? Comme l’indique le professeur Henri Bergeron (sociologue)[3] l’exemple du traitement du chômage par Pôle Emploi pose la question suivante : « est-ce en modifiant l’accueil des demandeurs d’emploi que l’on règle le problème du chômage en France, une question que se posent bien des politiques et bien des économistes et dont la logique et les causes nécessitent une réflexion diversifiée et approfondie qui serait tout à coup résolue par la méthode Coué ? Le laisser penser c’est déjà orienter chacun vers une compréhension gadget des problèmes posés et les situer plus bas qu’une conversation du café du commerce. Et ne parlons même pas de ce qui est abordé dans l ‘émission de France Inter et qui concerne le consentement par défaut.

 

Une des conséquences en tout cas me semble la multiplication des phénomènes dits de « complotisme » car l’impression d’être manipulé trouve là une réponse erronée à un vrai problème. C’est un vieil adage des politiques : si nous ne sommes pas populaires et si les électeurs ne nous suivent pas, si l’abstention est massive c’est un problème de communication, et non pas parce que nous sommes incapables de résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Oui, décidément, le Nudge, il est temps en cette veille d’élections de s’en préoccuper.

 

Laurent Le Vaguerèse

 

[1] Éric Marty. « Le sexe des modernes » pensée du Neutre et théorie du genre. Collection « fiction et Cie » Seuil

[2] Secret d’info Comment le pouvoir s’est emparé du Nudge. https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-12-juin-2021

[3] https://www.cairn.info/le-biais-comportementaliste--9782724622409.htm . Science PO. Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques.