Établis par Francesca Bion /Préface Amaro de Villanova
Note de lecture W.R.Bion Quatre discussions avec Bion Bion à New York et à Sao Paulo C’est à, chaque fois, avec émotion que je découvre un nouveau texte de Bion traduit en Français . Et cela n’a pas manqué avec les deux petits (par la taille) recueils de discussions (textes établis par Francesca Bion), édités simultanément en français à l’automne dernier. Et ce d’autant plus que j’ai le sentiment d’y entendre Bion penser tout haut. « Quand je suis sous pression, par exemple « quand-il-vaudrait-mieux-que-je-me-prépare-au-cas-où-vous-me-poseriez-des-questions », je me dis : « Au diable toutes ces histoires !… Je ne vais pas aller chercher ces machins chez Freud ou qui sais-je, ni même dans mes déclarations passées. Je prends sur moi. » Mais, bien sûr, je vous demande par là de prendre sur vous aussi. C’est une improvisation de ce genre.» (New York p.89) Dans sa préface à l’édition anglaise de Bion à New York et à Sao Paulo, Francesca Bion écrit que, pour tous ceux qui cherchent des « réponses » définitives, la méthode de Bion était inexplicable, frustrante, exaspérante … Tout problème suscitait en effet en lui pensée et discussion, jamais des réponses. Apparemment déconcertantes, ses réponses étaient un déploiement de questions. «Je ne connais pas les réponses à ces questions – et si je les connaissais, je ne vous les dirais pas. Je pense qu’il est important de les découvrir par soi-même. » André Green, pour sa part, dans sa préface aux Quatre discussions avec Bion, parle de la réaction de sidération de l’auditoire. Le premier livre, Quatre discussions avec Bion, est la retranscription de discussions, en Avril 1976, au Veterans Administration Hospital de Los Angeles. Le second, Bion à New York et à Sao Paulo, est la retranscription de rencontres avec plusieurs groupes de médecins et de psychanalystes, à New York en 1977 puis à Sao Paulo en 1978. Comme le souligne Amaro de Villanova, dans sa préface à cette édition française de Bion à New York et à Sao Paulo, les tonalités des différentes « discussions » sont spécifiques. Selon lui, à la lumière de la crainte respectueuse qu’inspire Bion aux analystes américains, les séminaires de New York peuvent être lus comme exemplaires du malentendu créé par son œuvre. A ce que Bion a écrit, il peut apporter des éclaircissements, des précisions, à défaut de réponses. D’éminents collègues sont réunis pour entendre et questionner un homme qui « sait ». Au lieu de cela, cet homme s’emploiera à détruire très gentiment et très fermement leurs illusions d’objectivité, d’appartenance théorique à un courant, à un savoir-faire argumenté, ainsi qu’il avait coutume de procéder avec ceux qui venaient le trouver pour une analyse. Par contre, toujours selon Amaro de Villanova, les rencontres de Sao Paulo en 1978 se développent comme une illustration des procédés bioniens de « dépollution » de la pensée émergente. Bion y rêve tout du long à l’instauration et à l’entretien du milieu le plus adéquat au courant sans entrave pour la créativité et la réceptivité. La fluidité même du fonctionnement du groupe de Sao Paulo souligne la réussite de sa manière. Ce n’est pas leur première rencontre et l’on sent moins ce mélange de crainte et d’avidité dont témoignent les irritantes demandes de précision qui ont ponctué les séminaires de New York, l’année précédente. Une dimension poétique s’en dégage. Quant au contenu, comme dans toute discussion qui suit le fil des questions des intervenants ainsi que des associations, rêveries et pensées, il m’est difficile d’en rendre compte. Je peux seulement dire qu’on y retrouve, dans le désordre, les grands thèmes de la pensée de Bion : l’identification projective ; les « fragments bizarres » ; la césure ; l’importance de l’histoire prénatale, fœtale ; la psychè primordiale ; les germes primordiaux de pensées et d ’affects ; le psychosomatique ; les groupes ; la conduite d’une psychanalyse comme relation singulière, de couple, entre deux personnes ; l’état psychique du psychanalyste en séance ; la relativisation du rôle de la communication verbale, révélation et tromperie ; la préoccupation de définir des « fondamentaux » en psychiatrie, comme en médecine somatique ; l’importance de la recherche de la vérité, du « langage fondamental» (« Je crois en l’existence d’une réalité fondamentale, même si j’ignore ce qu’elle est. » Quatre discussions, p 42), du « respect des faits constatés » (« J’observe ce qui gît au-delà du sensoriellement perceptible. » Idem. p 36) ; les conjectures imaginatives, les conjectures rationnelles et les « correspondants figuratifs » comme étapes du travail analytique ; les usages - et mésusages - de la Grille ; la résistance à l’apprentissage ; les édifices théoriques, y compris psychanalytiques comme bouche-trous, dispensant du besoin d’apprendre (cl la citation de Blanchot souvent utilisée : « La réponse est le malheur de la question.»); la naissance des idées et la pensée sauvage; la morale et la culpabilité . Entre autres … Il s’agit toujours « d’aborder les problèmes que le psychanalyste se pose lors de l’acte analytique » (Sao Paulo, p.141), concrètement, avec chaque patient singulier, à chaque moment précis. « Notre attention doit se concentrer sur l’individu… Autant être clair à ce sujet. Notre travail implique un préjugé philosophique favorable à la personne, favorable à l’unicité de l’individu humain. Une pression émotionnelle s’exercera sur quiconque ose attacher de l’importance à l’individu et osera lui-même être un individu.Il se peut que nous soyons tentés de dire : « Je suis américain » ou « Je suis britannique » ou « freudien » ou « jungien » ou «kleinien » ou n’importe quel label « respectable ». Mais chaque psychanalyste doit avoir la hardiesse, et la ténacité qui va avec, d’insister sur le droit d’être soi-même et d’avoir son propre avis sur cette expérience étrange qui a lieu lorsqu’il saisit la présence de quelqu’un d’autre dans la pièce… J’avais suggéré ceci :débarrassez-vous de vos souvenirs, débarrassez-vous du temps futur de votre désir ; oubliez-les, tous les deux à la fois - ce que vous saviez et ce que vous voulez -, et faites de la place pour une idée nouvelle. Il se peut qu’une pensée, une idée errante, circule dans la pièce à la recherche d’une demeure. Parmi ces idées, il se peut qu’il y en ait une qui soit à vous, remontée du fin fond de vos viscères, ou une qui provienne du dehors, c’est-à-dire du patient. » (New York, p.24,25) Et : « Lors d’une séance analytique, nous avons affaire à deux animaux dangereux et féroces ; en même temps, l’un de ceux-ci - et probablement les deux - souhaite être amical et secourable à l’égard de l’autre… Nous sommes devant un paradoxe : psychanalyste et patient, tous deux, nous luttons à la fois pour conserver au mieux cette disposition civilisée et pour mettre en évidence la nature primitive et dangereuse de la situation. » (New York, p.74,75) J’ai cédé au plaisir des citations, espérant vous inciter par là à la lecture de ces transcriptions de pensée en acte. Et, pour terminer, une dernière citation : « Je suis fatigué, et j’en ai marre, d’entendre les théories psychanalytiques. Si elles ne me renvoient pas à la vraie vie, elles ne me sont d’aucune utilité. » (Quatre discussions, p.79) - Ed Ithaque, octobre 2006. Edité en anglais en 1978 - Ed Ithaque, octobre 2006. Edité en anglais en 1980 - Deux des Quatre discussions ont cependant déjà été publiées en Français : la première dans L’écrit du temps n°10 (Automne 1985), la seconde dans Psychiatrie française n°1.Janvier-Février 1986. Françoise Francioli

Bion à New York et à São Paulo
W. R. Bion

Textes établis par Francesca Bion
et préfacés par Amaro de Villanova

Traduit de l'anglais par Ana de Staal

Titre original

Bion in New York and São Paulo

L'œuvre

A New York, en 1977, puis à São Paulo, l’année suivante, le psychanalyste britannique W. R. Bion (1897-1979), l’un des penseurs les plus originaux de la psychanalyse, se livre à une série de discussions avec plusieurs groupes de médecins et de psychanalystes. Déconcertante et féconde, sa démarche évoque ici le dialogue socratique, où les questions nourrissent et mettent en mouvement la pensée. Témoignant du caractère inédit et précieux de l’expérience analytique, W. R. Bion invite le psychanalyste à pratiquer une véritable maïeutique de la psyché.

L'auteur

Wilfred Ruprecht Bion (1897-1979), psychiatre et psychanalyste britannique, a dirigé la Société britannique de psychanalyse entre 1962 et 1965 et a été un des plus éminents collaborateurs de la Tavistock Clinic, à Londres. Grand clinicien, il est aussi l’auteur d’une œuvre théorique remarquable, avec des ouvrages comme : Aux sources de l’expérience ; Transformations : passage de l’apprentissage à la croissance ; Réflexion faite, et L’attention et l’interprétation. Les textes maintenant publiés par Ithaque retranscrivent ses derniers débats publiques.

Extrait de la préface d'Amaro de Villanova :

« Comment passer des perceptions ou des émotions à leur communication, comment les rendre siennes et en même temps recevables, sans éviter la douleur de penser ? Pour l’analyste en tout cas il ne s’agit pas de conceptualiser ces mouvements, mais plutôt d’y reconnaître et de garder distincts les lieux-qualités du conscient, de l’inconscient et de l’inaccessible,
sans trop appuyer. En raison d’une inadéquation indépassable, plus la pensée et le langage ont affaire à du vague, moins s’y distinguent des nuances et plus on a tendance à se l’imprimer en noir et blanc. Pauvreté et cécité deviennent en conséquence un label de maturité, un étalon paradoxal que Bion relie
à des procédés de dilapidation des richesses primordiales
de l’humain, celui-là même qui, après un détour aliénant, demande en analyse de revenir à Soi. »