Alain Didier Weil a trouvé chez Lacan le mot de mystère « l’homme est nécessaire à l’action du logos dans le monde… nous avons à voir comment il y fait face… comment il le soutien de son réel, c’est-à-dire.de ce qui lui reste toujours de plus mystérieux. »

Il va prendre cette idée de mystère pour la mettre en musique avec celle du sujet freudien qui doit advenir après avoir dit simultanément un « oui » et un « non » aux flux pulsionnel.

Tout au long de cet ouvrage il va articuler la conception de l’inconscient freudien qui doit être dévoilé par la parole , à la notion de Réel chez Lacan « qui dit la vérité mais ne parle pas  »

Il va tenter d’expliciter le passage du  « Fiat lux «  au « Fiat trou » à l’homme qui doit faire son « trou  » Le trou du Symbolique dans le Réel, le trou du Réel dans le Symbolique.

Il s’agit pour lui de penser la question de l’articulation entre la manifestation de la poussée continue du pulsionnel et l’apparition du discontinu.

il interroge ce point mystérieux d’alternance , de scansion,. d’émergence de quelque chose de nouveauIl illustre son questionnement à travers , entre autre, l’exemple du danseur qui par la pointe de son pied va produire sur le réel terrestre un trou symbolique : le sol devient une scène ; la scène y répond par une contre- poussée transitoire qui permet au danseur son envol (trou du Réel dans le Symbolique.) L’envol dans un troisième temps , sera interrompu par l’attraction terrestre, la loi de la chute des corps fera retomber le danseur sur terre…

L’auteur va explorer cette question sous de multiple formes ,en interrogeant l’art, la musique, la danse, la peinture… les textes bibliques chrétiens, (Saint Paul,) hébraïques dans la Thora. On découvre là, l’ampleur de sa culture, l’originalité, la brillance de ses questions, la souplesse de sa réflexion qu’il sait toujours nous rendre accessible. Il ne perd jamais sa position d’analyste accompagnant son raisonnement de situations cliniques éclairantes.

IL sait nous mettre en mouvement, nous faire bouger en souplesse.

On peut parfois se sentir égaré dans la complexité de sa réflexion, mais il faut accepter de se laisser mener dans la danse à trois ou quatre temps… un tango , une valse…. qu’il nous invite à faire. Et, au risque de faire quelque faux- pas, il est très agréable de se laisser guider car lui ,ne perd pas le rythme.

Christiane Laffourcade

Psychanalyste

Groupe de lecture d’Angers

------------------------------------------------------------------------------------------------

Note de lecture pour le Prix Œdipe des libraires

Alain Didier-Weill : « Un mystère plus lointain que l'inconscient » Par Marie Pesenti-Irrmann

Groupe de lecture de Strasbourg

Le livre d’Alain Didier-Weill, «  Un mystère plus lointain que l'inconscient » est sans doute le plus audacieux de ses ouvrages déjà publiés en ce qu’il nous mène – comme l’annonce le titre- dans ces contrées où règnent l’impossibilité de savoir, la défaillance de la pensée, où le mot fait défaut pour dire cet « incognito intime » (p 163) propre à tout sujet.

Sur ce chemin, Alain Didier-Weill ne s’avance pas seul, il est accompagné de ses interlocuteurs habituels avec lesquels il ne cesse de dialoguer, Freud, Lacan mais aussi Dyonysos, Héraclite et bien sûr Saint Paul, mais cette fois relayé par la lecture qu’en fait Alain Badiou.

Autant le dire de suite, ce livre n’est pas facile et requiert du lecteur qu’il accepte de suivre une pensée originale avec ses fulgurances, ses trouvailles, mais aussi avec ce qui, pour l’auteur, s’est déjà tissé au fil des ouvrages précédents.

Mais si on y retrouve la rigoureuse scansion des trois temps, d’abord dépliés dans « Les trois temps de la loi » mais ici appliqués à la question du silence et de la pulsion de mort, la question de la vision du sublime développée dans le brillant « Lila ou la lumière de Vermeer », celle de la pulsion invoquante tissée dans l’ouvrage « Invocations », Alain Didier-Weill fait ici un pas supplémentaire pour tenter de s’approcher comme il le dit « du temps mythique originaire » (p 18) où se produit la rencontre originaire du Signifiant et du Réel.

Il s’agit là d’un livre exigeant qui tire les conséquences de ce que l’auteur a pu développer dans les ouvrages précédents, dès lors qu’est centrale pour lui la question de ce que produit une psychanalyse, une fois dépassé le retour du refoulé, une fois dépassé « le renouvellement d’une expérience ancienne qui du fait de l’oubli a pu devenir lettre morte » (p 25).

Car ce qui meut Alain Didier-Weill, ce qui meut l’enthousiasme de l’analyste, à l’instar de l’enthousiasme de Dyonysos, de « l’endieusement de l’analyste » (p 33) comme il l’appelle, c’est qu’au-delà du signifiant qui ouvre à un signifiant qui aura pu être refoulé dans l’inconscient, c’est le surgissement d’un signifiant nouveau, qui ne renvoie pas à quelque chose de toujours déjà là, mais au contraire à quelque chose qui surgit comme si c’était la première fois, à quelque chose d’inédit.

Alain Didier-Weill reprend à son compte la question qu’a pu se poser Lacan, qui est celle de savoir si une analyse peut produire un signifiant nouveau.

C’est ainsi qu’il est amené ici à croiser ses propres développements déjà en mouvement, faut-il le rappeler, dans ses interventions au séminaire de Lacan, avec les avancées faites par Lacan lui-même dans ses derniers séminaires, « Le sinthome » « L'insu que sait », « La topologie et le temps » etc.

Car l’intérêt qu’a porté Alain Didier-Weill à la création artistique, au mouvement de la danse, à la lumière enténébrante ou rayonnante d’un tableau, à la pulsation musicale, l’amène à reconsidérer la clinique, la direction de la cure et de ce fait la responsabilité de l’analyste, quand il ne méconnaît pas la jouissance autre et pas seulement la j’ouïs-sens propre à l’inconscient en jeu chez un sujet.

« (…) Alors que dans la jouïs- sens, l’inconscient se dévoile, par la « jouissance autre » le réel se révèle comme lieu d’existence d’un réel commençant (…)  (p 15). L’expérience de la révélation n’est pas l’expérience d’un signifiant renvoyant à un autre signifiant ; comme dans la production artistique, elle est expérience d’un signifiant ouvrant à un réel vibratoire dont l’art nous donne le soupçon. Un tel réel est l’inouï auquel renvoie une note musicale, il est l’invisible auquel renvoie une touche picturale » (p 16).

Comme a pu le faire Lacan en mettant l’accent sur la tragédie comme lieu où peut s’apercevoir la question de la jouissance, Alain Didier-Weill, qui a trouvé dans la création artistique de quoi s’approcher de ce rien d’où naît la création, postule qu’il s’agit du même lieu que celui où se tient la vérité, celle qui ne peut que se mi-dire, et « fait résonner un point de non-savoir radical » (p 120).

Il y a à cet endroit une double pulsation qui est propre au réel, celle d’une ouverture à la symbolisation, qui en s’offrant au oui de la Bejahung, s’ouvre à l’appel à la symbolisation et en même temps d’une rébellion à la symbolisation.

Aussi ce mystère du réel ne saurait s’appréhender autrement que par un poïein, un faire poétique, une praxis qui loin d’être une pratique de la raison, du dévoilement, est bien plutôt celle de la résonnance qui prenne en compte « l’accent poétique de la vérité » (p 120).

La structure de cet ouvrage est à l’image de ce que Alain Didier-Weill soutient ici. Car s’il y a des pensées qui déplient leurs argumentations dans un continuum, une certaine linéarité raisonnante, finalement reposante pour le lecteur, il n’y a rien de tel dans l’écriture d’Alain Didier-Weill, qui est une écriture que l’on pourrait dire de la diffraction, du rayonnement, éblouissante à plus d’un titre et qui parfois s’obscurcit pour le lecteur qui ne possède pas l’érudition de l’auteur et le bouscule.

C’est que ce livre est un ouvrage à plusieurs entrées, qui porte tout autant sur la clinique, l’art que sur le dogme religieux, la question juive et celle des droits de l’homme, à partir notamment de deux motifs qui parcourent tout le livre, qui sont l’étonnement et l’inespéré comme ce qui est au fondement de l’humain dans son rapport au réel.

Il faudrait suivre chacune de ces pistes dans lesquelles Alain Didier-Weill fait se croiser les trois cultures, grecque, juive et chrétienne, pour, avec ténacité, ne pas fermer les yeux sur la capacité qu’a l’homme de se laisser fasciner par les sacrifices faits au dieu obscur, mais pour au contraire soutenir la résistance d’un « courageux regard »(p 294), qui ne méconnaît pas l’imprescriptibilité de notre rapport au signifiant, qui fonde en nous une loi « qui (nous) oblige mais n’énonce pas à quoi elle (nous) oblige » (p289), une « obligation illimitée qu’aucun article de loi ne pourrait traduire par des mots » (p290).

Nous n’insisterons ici que sur une seule de ces pistes, parce qu’elle nous est plus familière, celle de la clinique.

En prenant appui sur le dernier Lacan, Alain Didier-Weill nous montre comment la psychanalyse peut aujourd’hui différencier deux types de symptômes, les symptômes qu’il appelle freudiens qui, comme formations de l’inconscient sont interprétables, et ceux « qui ne sont pas abordables par l’histoire du sujet mais par sa structure originaire » (p 147). En cela, nous dit-il, ces symptômes que l’auteur illustre par deux fragments cliniques dont il nous fait part, « la femme à la tache » et « l’homme aux points noirs », ne sont pas tant des formations de l’inconscient que « la manifestation d’un réel informe qui n’a pas été informé » (p 147).

Dès lors, on le voit, la tâche de l’analyste est toute autre, sa responsabilité aussi du reste, puisqu’il ne s’agit plus ici tant d’interpréter que de ne pas reculer devant la sidération et de produire la nomination du réel auquel est confronté le patient, réel qui « n’ayant pu échoir au symbolique, déchoit comme déchet radicalement silencieux » (p 171). Il s’agit pour l’analyste, comme il le dit, « d’entendre, en poète, la présence de la voix, qui une seconde avant de se taire était encore vive (p 131).

A charge pour l’analysant de produire une réponse sinthomale qui pourra pour lui faire invention.

Mais, Alain Didier-Weill le souligne, le Moi s’oppose à toute nouveauté du fait de son attachement à la stabilité spéculaire qui le fonde. Or s’il y a une dimension du réel qui s’appréhende en termes de répétition, de répétition monotone du même, il en est une autre, sur laquelle insiste l’auteur, et qui a trait à sa dimension surgissante, un réel « qui ne peut se transmettre que comme une chose jamais vue » (p 24). « Il est en effet impossible de s’habituer à l’expérience du réel. Quand il se délivre, le réel ne se livre que comme nouveauté absolue » (p 24).

Et de la même façon qu’il est attaché à sa stabilité spéculaire, le Moi ne veut rien savoir de la pulsation temporelle qui met en question cette stabilité, et dans sa fixité tend à « résister au rythme du temps » (p 36).

Cette pulsation temporelle, c’est ce qui est perdu dans la mélancolie, le syndrome de Cotard, à propos duquel Alain Didier-Weill se demande s’il ne s’agit pas, dans cette perte mélancolique de la perception interne du rythme, « d’une forclusion de la scansion originaire qui procréé en nous l’expérience vécue du temps » (p 32).

Il poursuit en soulignant combien la pratique par les chamanes du rythme du tambour permettrait de rendre réversible cette forclusion d’un signifiant originaire, là où le mot n’aurait pas le pouvoir « d’exercer une réversibilité sur ce qui a été forclos » (p 77).

La pratique de Lacan, par l’importance accordée à la scansion des séances, était là pour rappeler au « sujet et non au moi qu’il est structuré par une pulsation originaire qui ne demande qu’à prendre vie » (p 34).

Ceci permet à Alain Didier-Weill de rendre compte dans des termes inédits de deux aspects de la clinique qui auraient trait pour l’un au refus de « l’embrasement du réel par le logos » (p 29), comme dans l’autisme ou la schizophrénie par exemple, et celui où il s’agirait pour un sujet de l’impossibilité de dire non à la fascination, non au silence traumatique, au silence mortifère, à cette voix tyrannique du Surmoi qui lui dit qu’il n’est pas libre.

Cette expérience de liberté est l’occasion d’une crainte radicale dans la mesure où « le sujet humain peut être plus effrayé par l’appel à dire oui au droit d’exister que par l’injonction mortifère de lui dire non » (p239).

Mais c’est aussi à cet endroit que peut s’opérer cette transmutation subjective, de la sidération au dé-sidérant et donc au désir, et permettre au sujet, tel le danseur, de prendre son envol, comme l’illustre la photo de couverture du livre.

C’est cet envol, ce nouveau absolu, cet inespéré, qu’Alain Didier-Weill déplie dans tout son livre.

Note de lecture sur le livre d’Alain didier WEIL

« Un mystère plus lointain que l'inconscient »

Par Isabelle Carré

Groupe de lecture de Grenoble

Alain Didier Weil est analyste, il a fondé en avril 2002 avec des analystes et des artistes le mouvement "Insistance" qui est un mouvement de recherche sur la part de l'être parlant mise en jeu dans l'acte de création.

Alain Didier Weil est l’auteur de multiples livres, articles, créations artistiques. Il a écrit, parmi d’autres…" Les Trois Temps de la Loi", auquel il se réfère dans ce texte comme une relance," Lila et la lumière de Vermeer", des pièces de théâtre, dont un volume vient de sortir en 2010. ("Vienne 1913", 2006, "Jimmy", 2001, "L’heure du thé chez les Pendlebury", 1992… etc) et le bien connu "Quartier Lacan", Denoël, 2001.

L’écriture d’Alain D.W. a gardé toute sa limpidité et son éclat depuis "Lila et la lumière de Vermeer", qui reste sans aucun doute un livre à part dans les écrits récents sur la psychanalyse. Nous retrouvons les thèmes précieux à Alain Didier-Weil, mais ce texte n’est pas une redondance des écrits précédents, même si certaines pistes se répètent, se parcourent de nouveau et se rejouent plutôt. Mais c’est bien évidemment en répétant que vient l’essence de la pensée, et que se produisent les déplacements psychiques.

Dans un mystère plus lointain que l’inconscient, Alain DW fait le pari de nous étonner, et ne cesse de continuer de commencer et de recommencer. Son texte débute par la question originaire « pourquoi ? » « lorsque le langage s’empare de l’infans, de celui qui se destine à devenir parlant. « Ce pourquoi, au-delà de la curiosité et de l’étonnement, ne porte pas sur l’espoir d’une réponse, mais dans ce qui se révèle à lui dans la possibilité que ses parents n’aient ni la réponse, ni le savoir » Ce désir d’inespéré, l’auteur l’appelle le désir x, et c’est ce déploiement qu’il questionne. Viennent au fil du texte des éclaircissements précieux sur le cheminement de la pensée lacanienne, l’invention du réel, la notion de jouissance autre, celle qui se révèle, différente de la jouissance qui se dévoile dans les effets du langage et de l’inconscient.

Il revient et établit ainsi le lien avec ce qui est une des trouvailles centrale de "Lila et la lumière de Vermeer". Ce que révèle l’inouï de la note musicale, l’invisible de la tache de couleur du peintre, et l’impondérable du pas de deux du danseur, qui reste un bien bel énoncé. Bien que parfois très ardue sur le plan théorique, l’écriture ne s’éloigne que parfois de la clinique pour mieux y revenir, notamment autour de l’inefficacité du mot dans certains délires, là où la résonance musicale produit un effet.

ADW tente de creuser la théorie, de la malaxer, d’en faire une pâte plus fluide, digeste, et il est sans doute inutile de tenter de tout vouloir capter pour suivre le cheminement de sa pensée, mais bien plus propice de prendre ses propres pistes à partir de celles qu’il propose.

Nous trouvons notamment une vision décalée de la pulsion, comme mouvement sans repos, poussée incessante, perçue au travers de la musique et de la danse : la psychanalyse agit par le mot. Or, dans certains délires, c’est bien le son et le rythme d’un tambour qui agissent, là où les mots sont sans effet. C’est donc un nouvel espace qui s’ouvre, souvent peu abordé dans les écrits analytiques : « la psychanalyse, qui reconnaît l’impuissance du mot à soustraire, grâce à l’interprétation, le mélancolique à son délire, n’a-t-elle pas à se poser la question suivante : si le mot ne détient pas le pouvoir d’exercer une réversibilité sur ce qui a été forclos, comment rendre compte du fait qu’un son rythmé a ce pouvoir ? »

Vient ensuite un chapitre sur le traumatisme, qui peut ramener le sujet au rang de déchet, avec l’impossibilité dès lors d’en sortir seul sans en passer par la scansion du signifiant qu’il appelle sidérant, qui dispose du « pouvoir d’indiquer qu’il existe « un ailleurs » (dritte person) vers lequel aller pour quitter la prison traumatique. » Cette question d’un au-delà permet seule d’envisager comment l’être peut ne pas se réduire à ce à quoi on l’assigne. Il cite cette phrase terrible d’Etty Hillesum qui écrivit à propos des camps nazis : « je suis auprès des affamés, des persécutés, des mourants, je suis aussi près du jasmin et de cette part de ciel bleu derrière ma fenêtre… J’ai une certitude : je trouve la vie belle, digne d’être vécue et riche de sens en dépit de tout. » C’est bien là qu’est la question : comment ce déplacement est-il parfois possible, cette chose énigmatique qui n’est pas enfermable au simple concept de sublimation. C’est d’ailleurs un peu le thème du dernier Woody Allen, « vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu. »

Dans le chapitre suivant sur « la réponse », il laisse la chance aux questions, car lorsqu’un monde perd toute complexité, toute capacité d’étonner, il cesse bien de l’être, questionnant. La vignette clinique de la femme tachée lui permet d’aborder des réflexions sur la nudité, le voilement, le dévoilement, la parole comme manifestation parlante de ce qui a disparu et s’est voilé, en passant par des questions sur des symptômes comme la peur de parler en public, de rougir, d’être mis à nu. Qu’est-ce qui différencie notamment le regard de la fascination et celui non fascinable que pourrait être celui de l’analyste ? Son cheminement dense mais clair le conduit à distinguer deux types de symptômes, les uns plutôt « freudiens », les autres plutôt « lacaniens » : ceux qui sont liés à des évènements historiques, donc interprétables et ceux qui « ne sont pas abordables par l’histoire du sujet, mais par sa structure originaire, et appelant la nomination du réel », ce qui ouvre de nombreuses perspectives de réflexion à prolonger.

Sans dévoiler la suite, l’auteur nous entraîne dans un cheminement passionnant du symptôme au sinthome, sans nous laisser dans un état de fascination hypnotique, même s’il est fort utile de s’accrocher et de ne pas avoir peur de se perdre un peu, de tomber, car « face à l’impossible, il est cependant possible qu’une autre voix prenne la parole. » Le sinthome prend les formes d’une invention de ce qui a chuté comme symptôme, ou d’un signifiant nouveau, d’une nomination du réel qui ne renvoie pas à un autre signifiant, comme « quelque chose qui va plus loin que l’inconscient. »

Juste une critique, qui tombe un peu nue (« mais de quelle nudité s’agit-il ? ») : les références mythiques et bibliques parfois très nombreuses effacent parfois la lisibilité du texte, même si elles sont sans doute un détour nécessaire à l’auteur pour élaborer sa pensée et la transmettre. Mais une telle culture déroute, amuse et transporte aussi sans pouvoir s’apprivoiser ou se maîtriser, éveillant l’originaire « pourquoi » de l’enfant qui n’attend pas forcément la réponse.

Dans le dernier chapitre, il aborde le lien à nos différents héritages culturels, bibliques, grecs et chrétiens, mais aussi d’ordre politique depuis le siècle des lumières. Il traduit la contradiction entre l’enjeu des traditions et celui des lumières, et fait un parallèle avec le fameux « Wo es war soll ich werden » freudien. « là où c’était, j’ai à devenir. » Il établit des passerelles avec la question de la liberté qui se pose pour tout un chacun devant ce qui devient possible, et peut s’entrevoir aussi dans une cure analytique :

« Si l’angoisse est possible, c’est que l’expérience de liberté qui s’ouvre quand il n’y a plus de culpabilité est l’occasion d’une crainte radicale. Devant quoi ? Devant la possibilité offerte au sujet de procréer une existence nouvelle et de voir jaillir le mystère de ce qu’il y a de plus réel chez l’humain. L’énigme d’une telle expérience est que le sujet humain peut être plus effrayé par l’appel à dire oui au droit d’exister que par l’injonction mortifère de lui dire non »

Un livre multiple, tantôt poétique, tantôt conceptuel, parfois trop, oserais-je, mais sans doute faut-il aussi laisser de côté cette résistance bien commune, un livre très clinique aussi, musical, qui suit la cadence des pensées de celui qui écrit et nous entraîne dans son désir de partager et de transmettre.

Isabelle Carré