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Hors les murs
Hors les murs
Réalisé par Laurent Cantet Avec François Bégaudeau, Nassim Amrabt, Laura Baquela Plus... Film français. Genre : Comédie dramatique Durée : 2h 8min. Année de production : 2008 Distribué par Haut et Court
Hors les murs ?
Quand « Entre les murs » reçut la palme à Cannes, j’ai ressenti spontanément, par procuration, un sentiment de fierté et de « réparation » : enfin « on » reconnaissait la « grandeur » de notre travail quotidien, enfin l’héroïsme des hommes (et femmes) du commun (cf Lacan), enseignants auprès de jeunes dits « difficiles », était valorisé, regardé comme quelque chose qui ne va pas de soi, et qui mérite de sortir de l’ombre grise des « murs » administratifs.
Enfin aussi, on valorisait une institution publique, républicaine et précieuse, l’Éducation Nationale, qui, si elle souffre en effet actuellement, n’en est pas moins à défendre avec détermination, comme ses autres « cousins » de la fonction publique.
Mais curieusement, quand le film est sorti ces dernières semaines, est-ce l’effet de la rentrée des classes, des retrouvailles avec cette sensation d’être « vidée » à la fin de mes journées de cours, ou d’un sentiment de lassitude ? Tout désir d’y aller voir avait disparu. Je râlais intérieurement contre cette curiosité et fascination médiatiques, voire commerciales, pour ces « ados difficiles mais si attachants », et les clichés récurrents sur l’Éducation Nationale, les profs, etc.
Je lus vaguement quelques critiques de-ci de-là, je voyais la bande-annonce du film tourner en boucle sur les chaînes TV, et déjà l’ennui me gagnait à l’idée d’aller voir ce qui occupe en substance mon quotidien professionnel depuis 13 ans.
Ados en effet « attachants », passionnants, mais épuisants, langage « verlan », familles aimantes mais dépassées, carentes, ou absentes, collègues tiraillés entre générosité humaniste et pondération, cynisme défensif, voire exaspération primaire, machine à café, administrations parfois aidantes, tantôt totalement déconnectées de notre quotidien d'enseignants ou encore tyranique, procédurière...Pourquoi donc aller voir un film qui ne ferait que me tendre le miroir d’un réel que je connais déjà si bien ? Ce qui me faisait reculer était principalement un sentiment « d’écrasement » et de découragement, un ras-le-bol « a priori » devant le spectacle d’une réalité difficile, souvent absurde, que risquait de me renvoyer le film.
Chose étrange : Sans la proposition de L. Le Vaguerèse d’écrire un petit texte critique, je n’aurais pas été voir ce film ces semaines-ci. Mais subitement, la perspective de le voir pour écrire sur un site de psychanalyse rendait la chose pleine de sens, et motivante. Je n’ai en effet pas traîné pour aller voir le film le lendemain, avec impatience. Que s’était-il donc passé en 24 h ?
Cette impérieuse nécessité d’un appel « hors les murs » d’un psychanalyste vis-à-vis de mon point de vue d’enseignante comme support à ma re-motivation à voir ce film, cela était-il donc paradigmatique du malaise chez les fonctionnaires de l’Éducation Nationale ? : un malaise et un découragement, liés à des organisations de travail où ça doit « fonctionner » ? Fonctionnement générant des formes d’enfermement, de stase, tant matériels que psychiques, et où les occasions de réellement penser notre travail sont très rarement offertes ?
Or, ne faut-il pas précisément penser, réfléchir, pour entretenir, ou retrouver, la fameuse « motivation » ? Voici donc quelques touches impressionnistes et ambivalentes, à la sortie d’une « séance » cet après-midi du 3 Octobre.
Le film m’a plu, mais pas au point de justifier (pour moi) la suprême récompense qu’il a obtenue. Ce qui est intéressant, c’est qu’il montre très bien comment la « fonction » dévore tout l’espace du travail d’enseignement, au détriment d’un travail plus étayé sur la dimension subjective. Une sorte d’austérité mécanique s’impose souvent, qui va des relations « en miroir » profs-élèves jusqu’au couperet des sanctions, qui s’apparentent parfois à des règlements de compte, et qui convoquent rarement des tiers « hors les murs » pour tenter d’apporter un autre regard sur les problèmes rencontrés.
Par contre, le film ne restitue pas une réalité de poids : le pouvoir des directions, des proviseurs. Ni le fait que bien souvent ces directions distillent un message d’exigence constante à l’égard des enseignants, sous-entendant fréquemment que nous ne ferions « pas assez », que nous pourrions nous « investir » encore davantage, que nous aurions dû faire « autrement », mieux, etc. Les tensions avec les directions ne peuvent que retentir (de façon inconsciente, insidieuse) sur les relation profs/élève. Ce phénomène passe souvent inaperçu aux yeux de ceux d’entre nous qui ne jugent pas recevable de s’intéresser à l’inconscient…
Quand le film démarre, on est effectivement « dedans », « entre les murs » avec les protagonistes : c'est plastiquement induit par les images en gros plans, qui véhiculent cette sensation de proximité, de familiarité avec les personnages, de « vrais » gens, qui parlent comme dans la « vraie » vie…/Si on est enseignant, c’est quasi inévitable : on ne peut s’empêcher de prendre parti, on a envie d’aller dans sa classe conseiller ce prof, critiquer ou encourager ce qu’il fait au fur et à mesure des scènes. On retrouve, avec la complicité attentive de la caméra de Cantet, le charme mouvant des adolescents, la fatigue aussi, le rêve, la naïveté mêlée à la vision incisive, fine, déjà adulte. Les adolescents sont un peu « mutants », et cette transition entre enfance et âge adulte, cette mue qui les habite, s’entend aussi dans leurs discours.
Elle s’entend, se voit, diversement. Dans la permanente défense narcissique : la susceptibilité, le refus d’avoir tort, la crainte du jugement ou du regard qui « tue ». Mais aussi dans la drôlerie, la finesse, ou la maturité étonnante d’une répartie, ou la recherche constante et tatillonne du sens (des mots, des actions des adultes, etc.…).
Difficulté essentielle du métier d’enseignant face à cette « mouvance » constante, accrue ici par le nombre important d’élèves : atteindre une suffisante « souplesse psychique » (à ne pas confondre avec le laxisme), et une raisonnable solidité narcissique. Or, le film montre très bien comment, même chez ce prof relativement « sympa » et qui s’interroge parfois à bon escient, la souplesse psychique fait parfois défaut. Répondre constammnent du "tac au tac" avec ironie ou mépris aux élèves comme le fait le personnage du film, ou insister lourdement pour qu’une élève lise, alors qu’elle n’est à l’évidence pas bien au moment où l’on lui demande, exiger rigidement des excuses n’est-ce pas pêcher par excès de narcissisme professoral ?
Ces conflits « en miroir » prof-élève sont très fréquents, et créent à l’évidence ces terreaux fertiles de violence. Malheureusement, aucun établissement ou presque n’a la capacité d’une cellule de crise quotidienne et instituée, où l’on suspendrait le cours pour parler et s’entendre mieux avec l’aide de tiers. Caractéristique aussi : la difficulté de prise en compte de la dimension subjective (problèmes personnels des élèves, etc.). C’est tout à fait étonnant, car il me semble que la vie scolaire est habitée par la dimension transférentielle : nous traitons avec d’autres humains, pas avec des machines… Mais certains adultes (administratifs ou enseignants) considèrent en effet que ce n’est pas « notre problème ». Le manque de formation imposée, systématisée, dans ce champ-là est sans doute en partie responsable de ce refus.
C’est pour cette raison que j’ai quitté les lycées professionnels « classiques ». J’exerce actuellement en EREA (la suite logique du passage en SEGPA), où l’enseignement et les structures administratives sont censés s’adapter à des jeunes en grande difficulté… Y enseigner m’y est paradoxalement plus souvent « paisible ».On s’y moque moins de mon éventuel souci pour les problèmes « hors les murs » que rencontrent éventuellement les élèves. Cependant, j’ai récemment ouï dire qu’un membre de l’administration ne comprenait pas que je m’intéresse à « la psychologie » ( ? C’est en fait la psychanalyse, mais..) et aimerait mieux que je fasse uniquement mon travail de prof . Eh oui : Le fait que j’ai par exemple pris en charge un projet collectif de groupe d’analyse des pratiques (avec des intervenants extérieurs) n’est visiblement pas reconnu comme une marque de mon « investissement » d’enseignante.
Dans le film, lors du conseil de classe et du conseil de discipline, on remarque de la part des adultes une totale absence de discours traduisant une volonté d’aide pour le jeune qui se fait finalement exclure. Aide sociale et/ou psychologique, par exemple..Et pourtant ! :
Adolescent créatif (les scènes de l’exposition de ses travaux photos sont superbes, très émouvantes), mais prisonnier de son lien à une mère affectueuse et fière, mais en partie coupée du monde social par la « barrière de la langue », ce jeune est dans le refus de l'écriture: l'écrit sépare et coupe de la mère.
Encore faut-il être suffisamment armé psychiquement pour faire face à ces coupures, ces séparations symboliques, ces éloignements que supposent tout apprentissage. Or, il s’oppose justement au prof (un homme, un père symbolique ?) qui précisément pourrait l’amener à cette « coupure » par l’apprentissage du français. Qui ou quoi va ici l’y aider ? Une exclusion ?
François, le prof. de lettres, est abattu par ce départ-exclusion: mais qui dans ce lycée, et plus largement dans l’institution, s’est donné, ou lui a proposé les moyens de changer la donne ?
Aucune assistante sociale, ni infirmier, ni médecin scolaire, ni psychologue n’assistent au conseil de discipline : est-ce normal ? Les « ni-ni » ne sont pas toujours ceux que l’on croit, ni où l’on croit. Dans ces situations scolaires, « ni psychologue ni médecin » ne sont présents, c’est habituel, et ça me semble préjudiciable à une vision plus juste et équitable des problématiques rencontrées, et de l’avenir des jeunes. Cela allégerait aussi la responsabilité et la culpabilité des profs et administratifs qui statuent seuls, dans ces conseils de classes ou conseils de discipline, sur de tels enjeux…
Un fonctionnaire doit « fonctionner » me lança un jour un collègue pour rire, et il me semble que cette injonction silencieuse mais implicite, cette éventuelle froideur mécaniste (qui n’est heureusement pas toujours présente) est l’un éléments contre lesquels le « sujet » enseignant doit savoir se protéger pour rester un prof à visage humain.
D’autre part, découvrir, admettre, qu’enseignant, il est aussi là pour être « enseigné » de multiple façon par ses élèves, à l’instar, pourquoi pas, de la position d’humilité de Lacan face à ses élèves du séminaire… Enseigné (et soutenu) aussi par le travail en équipe avec ses pairs à l’intérieur de l’établissement. Mais cet indispensable échange entre enseignants n’est pas facilité par l’organisation classique d’un établissement, et des emplois du temp.Échanges qui sont pourtant des clefs essentielles pour trouver des solutions aux problèmes avec les classes et/ou l’administration.
Les rencontres avec les parents correspondent tout à fait à la réalité, à l’émotion contenue qui s'en dégage. Ces visites sont passionnantes, utiles, et nous aident à mieux saisir le « symptôme » de l’élève, qui vient interroger celui des parents, celui du prof, et nous laisse mieux entrevoir sa relation au savoir, à l’avenir.
Autre élément qui m’a étonné quand à la cohérence : le film, se voulant pourtant réaliste, évacue la dimension de la responsabilité et du juridique dans notre vécu avec les classes. Les diverses assurances et « autonomes de solidarités » sont un passage quasi obligé chez les enseignants, et c’est légitime : c’est un métier à risque. La jurisprudence : Les proviseurs peuvent en jouer pour « tenir » leurs établissements, au nom de « l’ordre », et faire pression diversement sur les enseignants.
Ainsi, contrairement à ce qui se passe dans le film, quitter sa salle de classe est interdit, car les élèves sont sous la responsabilité entière de l’enseignant le temps du cours. Ce « détail » n’est pas anodin. Le film est centré sur la pression exercée par la relation aux élèves, mais cette pression de la « responsabilité », plus muette et insidieuse, me parait importante pour comprendre certains malaises « entre les murs ».
De même, « attitude de pétasse » (expression employée par le « héros » François) exigerait dans la réalité des excuses circonstanciées, sous peine d’éventuels soucis sérieux avec l’administration et/ou les familles. Car on l’aura noté : À aucun moment l’enseignant n’envisage de présenter des excuses, lui qui exigea « de force » des excuses d’une élève qui refusa une fois de lire. Le film caricature ici à gros trait l’image d’un prof « tout-puissant », qui se permet l’inacceptable. Mais si cette caricature correspond parfois à la réalité, elle correspond aussi à une autre « misère » bien réelle : celles de familles qui ne jouent pas leur rôle protecteur pour mille raisons diverses, et délèguent aveuglément la tâche éducative aux enseignants, sans aller y regarder de plus près. Quelle importance alors si son enfant est insulté, pourvu qu’il soit pris en charge au quotidien « entre les murs » ?
Ces responsabilités (éducatives, transmissions de "savoirs") qui pèsent sur nous et l'administration, cet envahissement surmoïque constant devraient précisément rendre plus systématiques des outils et supports qui allègent la tâche, et la culpabilité, avec des appels d'air plus fréquents "Hors les murs"
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