Madame Klein

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Théâtre des Abesses

Du 4 au 20 octobre 2017

traduction : François Regnault

mise en scène : Brigitte Jaques-Wajeman

avec Marie-Armelle Deguy Mme Klein, Sarah Le Picard – Paula, une amie, Clémentine Verdier Melitta, la fille

Mélanie Klein

Mme Klein

de Nicholas Wright

 

J’ai été ému de voir cette pièce. Je pensais tout connaître de Mélanie Klein : j’avais lu le magistral livre de Phyllis Grosskurth[1] ; j’avais traduit les débats qui eurent lieu à la Société britannique de psychanalyse à partir des années 1940, ce qui m’apporta une vue imprenable sur les conflits institutionnels où Mélanie Klein a été si fortement impliquée[2] ; et, enfin, j’avais fait converger ces deux livres dans une série d’articles portant sur vies et expulsions dans les groupes psychanalytiques[3]. En outre, comme nous avons proposé, Monique Lauret et moi, une année d’études sur « Mélanie Klein avec Jacques Lacan », à Espace Analytique, cette pièce nous intéressa au plus haut point.

Cette mise en scène, faut-il le souligner, bénéficia de l’animation proposée par L’Envers de Paris. La pièce, dit-on dans son programme, fut découverte par Jacques-Alain Miller à Londres en 1988. Elle connut un premier montage à Aubervilliers en 1991. Il est très probable que l’intérêt des uns et des autres pour M.K. ait rendu la pièce actuelle. Sans eux, qui s’intéresseraient encore à une Mélanie Klein au théâtre ? Il convient de rappeler que Lacan mentionne Mélanie Klein dans vingt-deux de ses vingt-quatre séminaires. Rarement une passion si grande exista dans le mouvement psychanalytique. « Une aruspice aux yeux d’enfant, tripière inspirée, » dit d’elle Lacan, citée dans le programme de la pièce.

Ce n’est pas la seule chose que Lacan dit d’elle. Pour tout savoir de ce qu’il en dit, il faut le courage de s’attaquer au formidable livre de Marie-Claude Thomas, Lacan, lecteur de Mélanie Klein, maintenant à sa énième édition, chez Erès. Lacan en parle, la discute, la cite, s’en émeut, l’attaque, l’injurie, bref, il l’aime de passion. Le livre de Marie-Claude est sobre. Il établit un catalogue précis des dires de Lacan au sujet de Klein. C’était sa thèse à elle pour son doctorat il y a plus de vingt ans de cela. Toujours réédité, il témoigne d’un intérêt soutenu envers celle que Lacan désigna aussi comme ayant « mis à la place centrale de das Ding le corps mythique de la mère...[4]. » Une Klein représentante de Heidegger en psychanalyse en somme.

Mme Klein est magnifiquement jouée par Marie-Armelle Deguy ; Melitta Schmideberg, Klein de son nom de jeune fille, Melitta Klein, sa fille, est jouée par Clémentine Verdier ; Paula, en vérité Paula Heimann, par Sarah Le Picard. Ces trois femmes se trouvent une nuit et un jour chez Mélanie Klein. La pièce est bâtie autour de l’annonce faite par Melitta à Mélanie de son opinion sur la mort récente de son frère, Hans : elle croit qu’il s’est suicidé, elle en est sûre. Mélanie Klein ne veut pas en entendre parler, elle ne peut pas lire la lettre de sa fille où elle le lui annonce un tel drame. Paula assiste à leurs bagarres, obéit à l’une ou à l’autre et dénouera l’intrigue. Elle croit soulager Mélanie Klein en lui annonçant qu’il a eu un accident en prenant un mauvais chemin en montagne après avoir quitté celle qu’il aimait. Il était amoureux d’une femme mariée et mère de deux enfants. Ce qui devait atténuer la douleur de Mélanie Klein, l’aggrave encore. Il serait donc mort libéré d’elle.

Peut-être il y aurait fallu quelque explication au sujet du nom de Edward Glover, parfois prononcé « Glauber » ce soir-là ou sur celui de Schmideberg, si importants dans cette pièce ? Le drame est lourd, les trois actrices paraissent toutes petites, comme dans Une maison de poupée, sous un décor trop écrasant où domine le noir d’imposants des rideaux. Mme Deguy, qui joue Mme Klein, est une femme élancée, svelte, au visage pâle encadré par des cheveux noirs. Mélanie Klein était plutôt ronde, boulotte. En fait, Mme Klein jouée par Mme Deguy évoque plutôt Maud Mannoni ou une autre analyste de la scène française. C’est une Klein mélancolique et enragée, plutôt Mélanie Mell, issue des pages de Maria Torok, de Barbro Sylwan et Adèle Covello[5].

Car, s’il y avait bien un grain de folie, ou plusieurs, chez Mélanie Klein, il y avait aussi une joie féroce. Tout au long de sa vie nous trouvons des témoignages qui l’attestent. Lisez celui-ci, de 1924 :

« Elle ressemble à une pute devenue folle — ou, non — elle est vraiment Cléopâtre (la quarantaine bien sonnée) car, en dépit de tout, il y a quelque chose de très beau et d’attirant dans son visage. C’est une toquée. Mais il ne fait aucun doute, quoi qu’il en soit, que son esprit regorge de choses d’un intérêt captivant. Et c’est une gentille personne[6]. »

Et puis, celui-ci, de 1957 :

« […] il y avait quelque chose chez elle qui me rappelait les bateaux de plaisance cinglant en amont et en aval sur le Danube à Budapest. Sa robe noire était comme un voile noir musulman et elle portait une broche assez grande pour que personne ne l’ignore et pour tous essayent de deviner, discrètement mais clairement, si elle le portait sur son bon sein ou sur son mauvais sein…[7] »

Entre pute, Cléopâtre, bateau de plaisance et voile noir ouvert à tout vent, naviguait Mélanie Klein. Peut-être cette pièce manquait-elle un peu de cette allègre exultation dans le malheur ?

Et puis…

A un certain moment Lacan s’éloigne de Mélanie Klein.. Pourtant, dès qu’il commence à s’en écarter, il la remplace par …Felix Klein et par la bouteille de Klein, puis par tous ses mathèmes. La force du signifiant faisant son chemin, Klein apparaît comme le nom de code des mathèmes de Lacan et le signifiant cachée au cœur de l’objet petit a. La bande de Moebius, liée à la bouteille de Klein, ne ferait que transposer dans un langage algébrique les interactions projectives et introjectives décrites par Paula Heimann. Le langage infernal de Mélanie Klein serait devenu froide logique avec Jacques Lacan.

Dimanche dernier, l’Envers de Paris organisait au Théâtre des Abesses un après-midi d’échanges sur « Psychanalyse et Théâtre ». La salle composée à moitié par nos collègues de l’Envers de Paris et à moitié par des lycéens en programme culturel scolaire a applaudit avec enthousiaste cette Mme Klein. Cela faisait un bel ensemble harmonieux. J’espère que d’autres soirées d’échanges se produiront.

 

[1] P. Grosskurth, Melanie Klein, son monde et son œuvre, Paris, PUF, 1989, traduction C. Anthony.

[2] P. King et R. Steiner (éditeurs), Les Controverses entre Anna Freud et Melanie Klein 1941-1945, Paris, PUF, 1996.

[3] L. E. Prado de Oliveira, Les pires ennemis de la psychanalyse, Quebec, Liber, 2009.

[4] J. Lacan (1959-1960), L’éthique de la psychanalyse, p. 160

[5] M. Torok, « Introduction à Melanie Mell par elle-même » ; « Melanie Mell » ; B. Sylwan, « Récit d’un voyage au pays de Melanie Mell » ; A. Covello, Melanie Mell à l’œuvre »,  R. Major (éd) Géopsychanalyse, Les souterrains de l’institution, Rencontre franco-latino-américaine, Confrontation, 1981.

[6] P. Grosskurth (1986), Melanie Klein, son monde, son œuvre, Paris, PUF, 1990, p. 183. Cette biographie, un des plus beaux fleurons sur l’histoire de la psychanalyse, est le document de base de tous ceux qui écrivent sur Melanie Klein. Elle traite longuement de son anglais.  

[7] L. Stonebridge et J. Philipps, (eds) « Editor’s note », Reading Melanie Klein, Londres et New York, 1998, p. 55