Une lecture d'été par Marilyn Videau

mon vrai nom est Elisabeth

Mon vrai nom est Élisabeth est un récit autobiographique d'Adèle Yon, paru aux Éditions du sous-sol le 6 février 2025. L'écrivaine enquête sur la vie de son arrière-grand-mère diagnostiquée schizophrène et à qui l'entourage familial et médical a fait subir des électrochocs, une cure de Sakel, une lobotomie et un internement sans consentement à l'hôpital psychiatrique de Fleury-les-Aubrais pendant dix-sept ans[1],[2]. Outre un travail de recherche doctorale, il s'agit d'une quête personnelle qui amène l'auteure à la conclusion : « J'hérite de la colère de mon arrière-grand-mère, pas de sa folie »[3].

Nicolas Demorand

« Les événements racontés dans ce livre se déroulent sur plus de vingt ans. Pendant toutes ces années, je me suis tu. Aujourd’hui, j’écris en pensant à toutes celles et ceux, des centaines de milliers, peut-être des millions, qui souffrent en silence du même mal. »

Nicolas Demorand est journaliste.
Il co-anime la matinale de France Inter depuis 2017.

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Quant on est « psy », les livres à lire de l’été 2025 …

 

par Marilyn Videau,  auteure aux éditions Atlande

 

Parmi les livres de l’été, que l’on a pu éventuellement lire à l’ombre de quelques arbres, en passant rapidement sur ce que tout psychanalyste sait déjà pour les entendre mille fois, et en relisant attentivement ce que l’on a plaisir à voir enfin découvert et formulé par les auteurs, même de façon minimaliste, figurent pour ceux que le monde de la psychologie humaine passionne, le livre de Nicolas Demorand bien sûr, écrit à partir d’une suggestion à écrire formulée par son acolyte de radio Léa Salamé, et qui témoigne de son immense enfermement à chercher et à décrire, mais aussi le très réussi livre de la trentenaire Adèle Yon « Mon vrai nom est Elisabeth », écrit à partir de la recherche menée généalogiquement aussi, par l’auteure, sur ses ancêtres et leurs secrets.

 

Il est vrai qu’il ressort du livre de Nicolas Demorand qu’il tient bien peu en estime les psychanalystes, et qu’il croit certainement plutôt par préférence au pouvoir des médicaments, ou même au pouvoir des produits stupéfiants administrés dans les hôpitaux en toute légalité tels que la kétamine (et peut être le lsd) qui l’aident de façon chronique à décompenser ponctuellement de sa bipolarité, tout en l’inscrivant dans une démarche de soins entièrement dépendante de la chimie, et assez éloignée de toute démarche introspective ou de l’habileté du psychanalyste, et de ses éventuels « actes », ou du souvenir et des éventuelles blessures et traumas qu’on peut bien imaginer qu’il subit en silence – dans un silence seulement rompu par les affres de ses humeurs « qui montent et qui descendent », et qu’il est un Xavier Demorand perdu, seul, recroquevillé sur ses pelotes de protections multiples et variées, qui lui donnent pour seule satisfaction apparente de pouvoir s’appuyer sur sa réussite sociale et professionnelle.

 

Toute autre est la démarche assez logique de d’ Adèle Yon à propos de son arrière grand-mère Betsy. Pourquoi et comment, à partir d’une fratrie de 9 enfants, c’est à l’auteure qu’est dévolue en quelque sorte la mission périlleuse d’essayer de faire la lumière sur l’histoire de cette arrière grand-mère « folle ».

 

Globalement j’ai lu son récit en trois moments correspondant à trois cycles.

 

Le premier, qui correspond au commencement de ses interrogations, concerne à peu près l’ensemble des choses que la plupart des gens disent et répètent sans véritablement approfondir aucunes des assertions, à propos des maladies mentales, et qu’Adèle entend depuis longtemps et qu’elle répète et croit aussi en un sens.

 

Par exemple il semble que la famille de la folle, ait pris le parti de constamment tourner en dérision le fait que Besty « est folle », donc ses moments de délire sont racontés sous l’angle du comique, en semblant donc totalement ignorer que Betsy pourrait éventuellement surtout « souffrir » ou être « absente à elle-même ».

 

Et puis Besty bien sûr fait peur aussi, et cela justifie aux yeux de la famille qu’elle soit enfermée, comme par exemple le fait qu’on la soupçonne d’avoir mis le feu à la maison où devaient se tenir ses noces.

 

De plus la seule chose qui semble vraiment inquiéter cette famille concernant cette grand-mère, tante, mère, femme, est de savoir quel risque génétique ils encourent de donner naissance à un schizophrène, ou d’avoir des enfants « porteurs du gène » de la schizophrénie. Puisque bien sûr tout le monde semble facilement tomber d’accord sur le fait que ses problèmes sont d’ordre génétique, balayant ainsi collectivement et si confortablement le fait que des évènements aient pu affecter la vie de Betzy et la rendre schizophrène.

 

De même, les descendants de Betzy sont éduqués dans la crainte des drogues « car on sait que les drogues déclenchent les maladies psychiatriques »...et seraient parfois la seule cause de maladies psychiatriques...

 

Au passage, l’auteure raconte comment les gens de la famille ne connaissant rien à Freud et à ses travaux, envoient des boulets de canon sur les psychanalystes et leurs travaux, basés sur des propos tellement rapides, allant jusqu’à pérorer que « certains schizophrènes inventent leur passé », qu’ils « inventent qu’ils ont été violés ou agressés sexuellement, ou qu’ils ont subi des violences », que les schizophrènes sont dangereux à écouter et qu’il ne faut pas les fréquenter….

 

Ainsi évoquées quelques unes des informations qu’Adèle trouve auprès des membres de sa famille, on pourrait dire que cette première partie du livre pourrait être très utile à lire par les malades psychiatriques quand ils souhaitent comprendre ce que leur famille pense d’eux, puisqu’en général la famille tourne vastement le dos au « fou »…. et permet de bien saisir sur quoi repose la discrimination des malades, par leur propre famille, et qui les laisse dans une solitude avancée….

 

Je dois dire que la lecture de cette première partie m’a semblée désespérante tellement elle comporte de bêtises et d’assertions fausses et tellement superficielles et discriminantes, l’évocation de toutes les sottises et injustices qui affectent tant les malades psychiatriques et même ceux qui ne passent pas par la psychiatrie et qui souffrent aussi, tels les « simples dépressifs » non psychiatrisés par enfermement en hôpital….

 

Mais il fallait continuer la lecture, car il faut toujours lire un auteur jusqu’au bout de son récit, dit-on….

 

Ainsi l’enquête d’Adèle progresse quand même à travers ses propres déductions logiques et observations du monde de la schizophrénie, et des hôpitaux psychiatriques et des « méthodes de soins »...

 

Une deuxième partie du livre, est donc fort intéressante du point de vue de l’histoire de la psychiatrie, et retrace les sombres années de la folie si enthousiaste de lobotomiser les patients, mais aussi de pratiquer les cures de sakel (déclencher des comas diabétiques), de pratiquer les violences, ou encore la différence entre les psychiatres dit « aliénistes » et les psychiatres humanistes, les changements liés à la sectorisation, l’arrivée de la première molécule contre la schizophrénie, l’origine du métier d’infirmier psychiatrique qui était jusqu’alors dévolu à l’hygiène et au ménage, le fait que les comportementalistes l’ont emporté dans les hôpitaux….

 

Adèle mène donc son enquête sur la psychiatrie…

 

Et à partir de cette étude et en tout logique qu’elle nous explique, elle en vient à penser que les maladies de l’esprit ne peuvent être seulement causées par des modalités chimiques et du corps et que les maladies ne l’esprit ne peuvent être qu’organiques...

 

Une troisième partie du livre, est donc enfin la rencontre de la « vérité », qui dénoue la recherche de Betzy et lui ôte aussi ses angoisses de « tomber elle-aussi folle » un jour...de ce secret qui n’est pas bien compliqué à comprendre, mais qu’on se sait pas pourquoi dans les familles, les individus ont toujours beaucoup de difficultés à envisager, alors que...c’est tellement logique pourtant malheureusement.

 

Ainsi si l’on part de l’idée qu’Adèle est une très bonne enquêtrice, les psychanalystes ne seront pas surpris de lire la suite de l’enquête et ce qu’Adèle découvre, à force de faire parler les murs, et de faire parler ceux qui veulent bien dire les choses… et que je ne dirai pas dans cet article, car il ne faudrait donc jamais dire la fin de l’histoire à celui qui s’apprête à la découvrir ?...

 

Sinon aussi le livre d’Adèle Yon restitue les lettres formidables que s’écrivaient Betzy et son mari, mais aussi Betzy à sa famille, notamment dans le contexte de la guerre de 14-18, et l’on apprécie aussi combien à cette époque pourtant si proche encore temporellement, l’on soignait son langage dans ses correspondances, et combien l’on essayait d’y parler avec son coeur…

 

Ancienne patiente des hôpitaux psychiatriques je ne peux que confirmer que les hôpitaux psychiatriques sont emplis de personnes qui ne sont que des victimes qui ne peuvent plus parler, soit parce que le traitement médicamenteux les empêche de parler correctement, soit parce que ils ont eu des difficultés dans leur développement à acquérir le langage, soit parce que leurs souvenirs sont ensevelis sous des tonnes de gravats de folie, mais que les hôpitaux sont emplis de victimes que leurs familles discriminent et qui meurent dans l’indifférence et en enterrant ainsi les secrets de familles si honteux et dramatiques à transmettre dans les chaînes de successions, et pourtant qui ne sont bel et bien que les seules causes malheureusement à trouver des maladies mentales.

 

Et je suis rassurée à titre personnel, et en tant que lectrice et aussi en tant que « folle « diagnostiquée », qu’Adèle ait réussi à découvrir les secrets de son arrière grand-mère et à lui rendre justice à travers ce livre.

 

L’histoire ne dit pas ce que la grande famille d’Adèle a fait de cette découverte.

 

Et pendant ce temps Nicolas Demorand prend tous ses médicaments, et révise ses leçons sur la bipolarité telle que vue si succinctement et superficiellement par ses grands amis cognitivo-comportementalistes. Ainsi on sait qu’il n’aime pas appeler la bipolarité de son « sous-nom » de « psychose maniaco-dépressive », et que « ça monte et ça descend », et que « c’est comme un diabète » et qu’il a « des hauts et des bas » et qu’il « procrastine » et qu’il fuit les psychanalystes, peut être autant qu’il fuit son propre récit sous-jacent ? Et qu’il désigne même Léa Salamé comme sa confidente permanente, qu’il cherche donc quand même son psychanalyste, mais que Léa Salamé si brillante soit elle, n’est tout de même pas là pour mener une thérapie sauvage, et qu’il tente de convaincre par son ouvrage qu’il est heureux de sa thérapie comportementaliste, alors que son récit se termine par ses « trips sous kétamine ».

 

J’ai préféré le livre d’Adèle Yon mais je ne peux pas accabler non plus Xavier Demorand de quoi que ce soit, car qui pourrait accabler un malade qui par l’écriture essaie peut être de chercher du haut de sa folie.

 

Il y a quelques années en 2009 le grand peintre Gérard Garouste avait écrit avec Judith Perrignon « L’intranquille : autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou » qui témoignait de sa terrible relation avec son père, et de la bipolarité dont Gérard Garouste est peut être en conséquence atteint. Historiquement d’ailleurs c’est plutôt lui qui a osé en premier révéler sa bipolarité et témoigner à son propos et de ses interrogations et observations ;

 

De même et sans qu’il dise qu’il souffre de bipolarité dans « L’Américain » écrit en 2004, l’éditorialiste Frantz Olivier Giesbert raconte sa relation avec son père, et les violences terribles et permanentes que celui-ci lui infligeait en permanence jusqu’à un âge avancé.  

 

Est ce pour le cas de Nicolas Demorand à mettre en lien avec sa très brève allusion « aux bonheurs de son père » qu’un psychanalyste trop pressé et diffamant certainement par sa pratique charlatannesque le titre de psychanalyste, a voulu méchamment mettre à jour en « une seule séance » ?….Le choc de la question a encore renvoyé aux calendes la découverte de la question, qui semble n’être même pas élaborée par le sujet à ce stage, et montre la gravité dans laquelle le sujet survit nécessairement.

 

Ainsi les enquêtes ne peuvent cependant se mener entièrement seuls dans les for intérieurs.

Marilyn  Videau