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l'ancêtre. À propos de la psychanalyse à l'hôpital.
l'ancêtre. À propos de la psychanalyse à l'hôpital.
L'ANCETRE
Merci à Jean-Pierre Basclet de m’avoir invité à prendre la parole dans son séminaire. J’en suis d’autant plus touché qu’il m’a dit votre intérêt pour la psychanalyse, et le psychanalyste à l’hôpital,Puisqu’il m’a convoqué ici comme ANCETRE - oui c’est bien à ce titre que je suis parmi vous - je vais me permettre de vous raconter des histoires, des histoires comme ça.
C’est la deuxième fois que l’écriture d’un texte (Au delà du principe de plaisir… une rêverie) me vaut la joie d’une rencontre comme ce soir. La première fois, c’était il y a un peu plus de quinze ans. J’avais écrit un texte sur les locked-in, ces emmurés à l’intérieur de leur propre corps (je vous en reparlerai peut-être plus tard), AML ( Association pour le Maintien du Lien psychique en soins intensifs ), était en train de naître. Roselyne Marcailhou qui participait à ces débuts avait lu mon texte et m’avait invité à une soirée de discussion chez Dinah Farhi, la fondatrice de notre association, et de là je suis resté à travailler avec AML jusqu’à ce jour avec quand même une interruption de deux ou trois ans.
Si vous me le permettez, je commencerai par une citation qui est la dernière phrase de l’exposé de Jacques Lacan en 1966 sur« La place de la psychanalyse dans la médecine. » Exposé fait à Necker où il avait été invité par le Collège de médecine.
« Si le médecin doit rester quelque chose, qui ne saurait être l'héritage de son ancienne fonction qui était une fonction sacrée, c'est pour moi, à poursuivre et à maintenir dans sa vie propre la découverte de Freud. C’est toujours comme missionnaire du médecin que je me suis considéré ; la fonction du médecin comme celle du prêtre ne se limite pas au temps qu'on y emploie ».(Pour bien entendre la portée du mot missionnaire dans la bouche de Lacan, ayez peut-être à l'esprit qu'il avait un frère moine, bénédictin.)Je voudrais aussi rappeler ou vous apprendre le sens d'une expression dont j'aurai à me servir par la suite : « In partibus infidélium » « dans les contrées des infidèles » Expression souvent réduite à « in partibus ». Il s'agit de noms d'anciens diocèses d'Afrique du Nord ou du proche Orient qui sont attribués à titre honorifique ou diplomatique à des évêques dépourvus ou privés d'évêchés concrets. Ils sont dits évêques « in partibus », en contrées infidèles.
A vouloir être analystes à l’hôpital, dans ce monde qui souvent nous ignore superbement alors qu’il nous attend pour l’éclairer, ne sommes-nous pas tous «in partibus » ?
J’ai un parcours particulier (mais qui d’entre nous n’a pas un parcours particulier) puisque j’ai d’abord acquis une solide formation neurologique. Puis j’ai été payé comme neurologue dans le service de neurochirurgie du Pr Philippon jusqu’à l’âge de la retraite.
Comment un neurologue peut-il mal tourner et tomber dans la psychanalyse ? Ou comment peut-on être Persan ? C’est la question que mes collègues neurologues ont dû se poser à mon sujet, . Comment un neurologue a-t-il pu se détourner – même un peu – de la fureur classificatoire qui fait l’orgueil de notre noble profession pour devenir attentif au sujet soumis à la question neurologique ?
Comment le neurologue en analyse est-il subverti dans sa pratique médicale parce qu’il va s’allonger trois fois par semaine pour ses propres soucis ? Le fait est que - et en me retournant je le perçois plus clairement - progressivement l’intérêt pour la maladie, pour le diagnostic à apposer sur le client cesse d’être le mur opaque du savoir et devient poreux, devient un voile ou une trame à travers laquelle transparaît le malade, le sujet souffrant dans son corps, le sujet en souffrance dans le grand bazar hospitalier.
A un moment j’ai accepté d’être happé par ce que disaient les gens que je rencontrais, par ce que j’apprenais de leur histoire, de leur vie. Un saisissement m’a pris quand j’ai réalisé qu’au travers de leur discours sur leur maladie, ils parlaient d’eux comme je parlais de moi à mon analyste trois fois par semaine, et qu’il était tout aussi important pour eux que leurs paroles soient accueillies dans ce moment de fragilité et d’ouverture que suscitait l’irruption de la maladie, de la mort ou seulement de son ombre.
Bon, ce que je viens là de vous là dire est bien sûr une reconstruction à laquelle manquera toujours la fleur de la jeunesse. Mais autrement, il faudrait que je me taise - et on m’a demandé de parler.
Un jour, j’ai eu à donner mon avis sur un jeune homme dans un coma profond. C’était dans un lit trop court pour lui - un grand corps, un corps de sportif. Un beau jeune homme totalement nu, totalement absent à soi-même dans son coma si profond que je n’osai pas m’engager envers lui et je le déclarai sans espoir. Je le déclarai mort, ou tout comme.
Et puis quand même, j’ai continué comme je le fais d’habitude, à venir le revoir chaque jour.
Et je vis « Paul »,- c’était son nom – me faire la nique en se réveillant très vite et très bien.
De quoi m’étais-je donc protégé en le déclarant mort ? De l’émotion trop vive née de la juxtaposition de la beauté et d’un silence de mort ? De l’incarnation du souvenir d’un oncle mort à vingt ans dans la boue de la guerre de quatorze ? Va savoir !
Ce jeune homme eut la chance d’être ressaisi par la vie. Et je me souviens de lui avoir dit combien j’étais heureux qu’il se réveille - malgré mes présages funestes – combien j’étais heureux qu’il récupère sa motricité, son langage sans séquelles apparentes. Je me souviens aussi du soin particulier que je pris de lui pendant tout le temps de son séjour à l’hôpital. Je n’étais pas seul à me réjouir : sa mère venait le voir et savait se placer avec une très grande finesse à la juste distance, sans réincorporer son enfant comme il arrive - non rarement.
Et puis - était-ce pour me rassurer ? Il choisit, après sa sortie de l’hôpital, de me tenir au courant des étapes de sa résurrection - pendant quatre ou cinq ans.
Oui, c’est un peu comme une analyse, on peut être assigné par le transfert et ne pas devoir se récuser. Accepter de laisser filer la parole sans toujours savoir où elle va pour que le client ait l’occasion de se saisir un jour comme sujet de son propre discours et de sa propre vie.
Paul me fit destinataire et témoin de son profond changement après qu’il ait eu la mort sur lui. Beau jeune homme, léger et coureur, il devint au fil des années, un homme stable dans ses responsabilités, dans son engagement amoureux ; puis père d’un enfant, et d’un autre enfant encore… Et de tous ces évènements je fus ponctuellement informé par des courriers précis - pendant quatre ou cinq ans et sans que je fasse rien pour entretenir cette correspondance. Nous nous croisions de temps en temps dans les couloirs quand il venait consulter son chirurgien, et alors nous parlions quelque instant autour de ces courriers et de sa vie.
Cet exemple clinique, je l’ai choisi - peut-être - pour saisir un moment dans ma mutation.
Je connais une femme qui participe à notre groupe « Clinique de la réanimation » que je suis chargé d’animer avec Hélène Priest dans le cadre d’AML. Elle a été longtemps aumônière protestante dans un hôpital du sud de la France. Elle nous explique très bien comment sa tâche d’aumônière rétribuée, elle l’a remplie en psychanalyste. Et elle le raconte d’une façon parfaitement convaincante.
Et la question qui m’a mis au travail c’est bien aussi comment faire ma tâche rétribuée de neurologue, oui, comment l’accomplir en analyste « in partibus ». Je ne sais pas si j’y suis jamais parvenu, mais c’est à cela qu’à partir d’un moment je me suis efforcé.
L’histoire de mon texte qui m’a valu votre invitation, la voici :
Une de mes collègues d’AML pour laquelle j’ai une affection particulière m’a pris un jour « la main dans le sac » à refaire la même connerie qu’elle m’avait vu faire en d’autres circonstances. Elle m’a gentiment mais fermement tiré les oreilles. Et comme je l’aime et que je l’estime beaucoup, ça m’a conduit à réfléchir pendant quelques mois, et j’ai fini par accoucher d’un texte sur la contrainte de répétition qu’en quelque sorte je lui dédiais. Mais quand j’ai dit ce texte en public, lors de la dernière journée d’AML, voilà qu’au moment pathétique que je lui destinais tout particulièrement, cette très vieille dame s’était endormie.
A l’entracte, en prenant le café avec elle, je lui ai dit mon regret qu’elle n’ait pas entendu ce passage, et je lui rappelai pourquoi elle m’avait tiré les oreilles, Mais las, elle avait oublié l’incident car si son intellect est parfaitement clair en situation, sa mémoire commence à être défaillante…
Bon, cette histoire, c’est comme d’habitude : c’est ce que je peux en dire clairement aujourd’hui, mais au début, quand j’ai proposé ce thème sur «Au delà du principe de plaisir» et que j’ai commencé à lire et à écrire - je suis resté un bon moment à me demander ce que j’allais faire dans cette galère de texte, qui n’est quand même pas un des plus faciles de Freud.
Dans le service de Neuro-chirurgie du Pr Philippon, en réanimation, j’ai connu un jeune homme, Jean, c’était son nom. C’était fin Juillet, un peu avant la grande migration annuelle. Il avait eu un grave accident de la voie publique. Mais, compte tenu de son jeune âge, de la rapidité d’une évolution favorable débutante, je n’étais pas très inquiet pour son devenir vital et fonctionnel.
Mais voilà qu’en revenant de vacances, un bon mois plus tard, j’entendis au staff du service, qu’on le présentait comme un état végétatif. Curieux, je vins voir comment il allait vraiment.
Il était immobile, pâle, les yeux fermés, comme une image de la mort.
Et moi, j’ai commencé à lui parler, pour voir. Je l’ai appelé par son nom « Jean », je lui ai dit bonjour et puis j’ai continué, en me servant des bribes de son histoire que je connaissais, et en particulier de sa copine ; et plus je lui parlais de choses personnelles, plus il fermait solidement les yeux jusqu’à plisser les paupières. C’est donc qu’il était bien vivant ! Et puis après, avec l’aide de son amie, il accepta en quelques heures de cesser de faire le mort. Il voulut bien bouger, reprendre la parole, et guérir dans la limite de son possible.
Pour ce que j’en ai su, on l’avait considéré comme inexistant. On ne l’avait pas prévenu du report d’une intervention qu’il devait encore subir, et qui prolongeait son séjour en réa. Et puisqu’on le prenait pour rien, il faisait le mort. - Il aurait pu aussi bien en mourir.
La réanimatrice et le chirurgien en charge du patient apprirent sûrement son histoire par les infirmières. Mais je n’en eus pas d’écho et ne demandai rien.
J’espère, sans pouvoir en être sûr que cela leur a permis d’entendre un peu autrement leurs propres mots, leurs propres silences et les silences de leurs malades… Et qu’espérer d’autre ?..
Et quoi d’autre que cela - pourrait-il s’inscrire durablement dans l’univers hospitalier, et faire trace au-delà – au delà de l’éphémère de notre présence ?
Cela fait presque dix ans que j’ai été mis à la retraite par l’Assistance Publique. Ce fut pour moi un temps difficile, et je me souviens d’avoir été déprimé, endeuillé, dans ce moment de séparation.
Ce qui ouvre la question du transfert de l’analyste sur l’Hôpital, les malades et leur souffrance psychique.
Et au-delà, apparaît un faux problème si souvent soulevé qu’il faut quand même en parler.
Bien entendu, surtout en réa, il n’y a jamais de demande explicite du malade. Bien entendu, en réa, c’est l’analyste qui offre le don de sa parole, qui offre au sujet laminé d’être reconnu.
J’ai parfois entendu employer à ce propos le mot que je n’aime guère de « transfert à l’envers ». C’est un peu idiot.
Evoquez donc l’analyse dans sa forme la plus communément pratiquée, celle à laquelle tout le monde pense, qui de déroule à l’abri dans un cabinet silencieux. Comment pourrait s’engager l’affaire si l’analyste n’avait pas de désir, si l’analyste ne pouvait éprouver un certain transfert positif vis-à-vis de son client qu’il rencontre pour la première fois ? A ce sujet, Lacan dit quelque part qu’il ne faut pas s’étonner des longues explications que Freud donne parfois à ses patients et qui nous paraissent un peu superflues. Elles constituent nous dit-il un « don de parole » qui permet de redonner l’élan à une analyse momentanément embourbée.
Donc à l’hôpital ce n’est pas si différent que ça en a l’air.
Lors d’une réunion où une psychologue parlait de ses premières rencontres avec les malades de réa, une analyste intéressée, qui travaille avec nous, mais qui n’a jamais mis les pieds dans cet univers un peu fou, a dit tout d’un coup : mais c’est comme une séance d’analyse ! Sans y réfléchir un instant, je lui ai répondu « Oui, bien sûr ! ».
Dans les réunion d’AML, je travaille avec les débutantes de la réanimation. L’une d’entre elles qui me paraît fort estimable, vient de subir, le souffle, le choc violent d’une réa infantile. Elle m’a dit combien cela la bouleversait, et comment elle parvenait à retrouver son équilibre en écrivant beaucoup. Mais en même temps, elle sait qu’elle est là à sa place, chez elle, à la maison. C’est comme une histoire d’amour, vous l’entendez bien !
Ecrire, dit-elle… j’ai un peu pratiqué. J’ai rempli tout plein de cahiers de mon écriture à peu près illisible. Ça permet de tenir - dans la rencontre toujours violente avec le réel de la mort et de la réanimation. D’autant que je me suis longtemps senti travailleur solitaire. Parce que c’est un peu mon tempérament, parce que j’avais choisi un superviseur brillant, mais peu intéressé aux modifications du sujet dans la maladie corporelle.
C’est quand j’ai rencontré AML à l’occasion de cette « bouteille à la mer » que j’avais jetée en écrivant sur les locked-in - que je suis enfin sorti de ma solitude.
C’est si important de trouver un lieu de parole et d’échanges avec des analystes intéressés par l’hôpital, par la réanimation ! Le travail qu’on fait s’enrichit tant dans ces échanges !
Et à ce propos, je voudrais vous parler des analystes « in partibus » que je rencontre chez Ginette Raimbault
C’est par l’intermédiaire de Hélène Priest notre présidente d’AML que j’ai eu vent du GRAM (Groupe de réflexion analyse et médecine) animé par Ginette Raimbault, il y a de ça pas mal de temps (douze ans peut-être, ) mais qu’importe. Vous savez la position de précurseur de Ginette Raimbault qui fut psychanalyste dans le service de néphrologie pédiatrique du Professeur Royer à partir de 1964. Elle fut embauchée comme chercheur - et non comme thérapeute - pour éclairer, à la demande de son patron, les rapports entre ces trois termes ; médecin / malades / maladie.
Lors de la rencontre où Lacan prit la parole sur « Psychanalyse et médecine » en 1966, elle nous dit participer à toutes les activités du service : visites en salle, consultations, staffs…Elle écoute parents et enfants d’une « oreille analytique ». Puis elle expose aux médecins de manière très fidèle, mot pour mot, ce qu’elle a entendu.
« Ceci a révélé aux médecins, continue-t-elle, l’importance du discours de l’enfant malade et de sa famille, dévoilant un « vécu » de la maladie auquel ne correspondait que de manière lointaine la vision « scientifique » objective qu’ils en avaient eux-mêmes… »
Vous entendez bien là que la position de Ginette Raimbault est très particulière, elle se met au service de la médecine pour éclairer les médecins et Lacan ne la désavoue pas :
« Je ne crois pas, dit-il que Mme Raimbault, quoiqu’en un style différent et qui peut être plus plaisant à certaines oreilles, ait dit des choses essentiellement différentes de celles que j’ai énoncées tout à l’heure. »
Je dois à Ginette Raimbault de m’avoir éclairé sur ce que je faisais en tâtonnant dans mon coin. C’est elle qui m’a donné l’impulsion nécessaire pour publier mon livre « Vivre en Réanimation. Lazare ou le prix à payer » (L’Harmattan 2000). C’est elle qui m’a permis de penser clairement qu’il était possible de travailler en psychanalyste à l’hôpital, chacun à sa manière, chacun dans sa fonction - qu’il s’agissait d’éclairer les soignants, quelle que soit leur position dans la grille hiérarchique hospitalière, et non de les critiquer ni de les juger.
Il m’est arrivé à moi aussi quelquefois de pouvoir éclairer le médecin sur l’importance vitale de la parole, et je repense forcément à ce locked-in que j’avais exhumé en réa - oui exhumé comme le fut Lazare - . Je l’avais reconnu, je lui avais parlé comme lorsqu’on rencontre quelqu’un qu’on aime et qu’on a pas vu depuis des années et au travers de son extrême misère corporelle, il avait quand même réussi à exprimer sa joie débordante d’être reconnu. Cela se passait sous le regard d’un jeune réanimateur que je trouvais ouvert et sympathique. D’abord étonné, il se laissa entraîner dans tous ces mouvements transférentiels. (Et du coup, ce médecin s’est aussi ouvert dans sa vie personnelle, mais ceci est une autre histoire). Quant au malade, il s’en est bien tiré. Il a guéri de façon tout à fait exceptionnelle et a pu reprendre sa vie professionnelle en l’aménageant un peu.
Le réanimateur, qui ne parvenait pas à croire à l’importance vitale de ses propres paroles, s’est pour finir laissé entraîner - à participer activement à ce creuset transférentiel qui est le lieu de notre action.
Parler avec un locked-in, vous savez sans doute de quoi il s’agit : voir qu’il y a là, malgré les apparences, malgré la paralysie presque complète de tout le corps, un homme vivant et souffrant - lui offrir des paroles et suivre - sur les plus infimes mouvements de son visage et de ses membres - l’écho des paroles données. Puis établir vite un code de communication.
Mais j’étais parti pour vous parler des analystes « in partibus »rencontrés chez Ginette Raimbault.
Nous sommes quatre à nous réunir chez elle à peu près six fois par ans. L’une est psychologue dans un centre d’éveil post-réa à Marseille, l’autre anime des réunions de soignants dans plusieurs hôpitaux à Colmar, j’ai été neurologue dans un service de neurochirurgie à Paris, mais le quatrième est celui qui m’a la plus bleuffé, il est Chef de service en psychiatrie infantile à Royan.
J’avais déjà suivi l’aventure d’un psychanalyste devenant chef de service de psychiatrie, et j’avais vu le chef de service dévorer l’analyste, bouffer l’analyste. Et bien, ce n’est pas toujours le cas, et mon collègue exerce réellement sa fonction - en psychanalyste. J’étais au début très dubitatif quant à cette entreprise, mais j’ai dû me rendre à l’évidence, convaincu par ce qu’il nous rapportait de son action. Si d’aventure vous souhaitiez connaître sa façon d’être dans son travail, vous pourriez lire de Stéphane Lelong : « Un psychanalyste dans le secteur psychiatrique. Sur le fil.» L’Harmattan 2005
Le coma ;Je m’aperçois que j’ai peut-être omis de vous parler de l’essentiel. Faut-il parler à un malade dans le coma et que lui dire ? Faut-il parler à un nourrisson hospitalisé, voire à un nouveau-né et que lui dire. Ce sont deux problèmes d’une si grande proximité que parmi les psychologues qui viennent travailler avec nous à AML, celles qui sont issues de la clinique de la petite enfance (PMI ou autres) sont celles dont il est à peu près certain qu’elles seront d’emblée à l’aise en réanimation.
Oui, pourquoi parler à un malade dans le coma et que lui dire ? Cette question essentielle s’est éclairée récemment pour moi de deux anecdotes :
Quelqu’un m’a dit : « ma mère était schizophrène, ce qui m’a sauvé c’est la voix de mon père, je dis bien la voix, car parler avec lui c’était impossible, il était dans son univers philosophique et ne savait parler que de ça ; mais c’était un homme qui chantait dans la vie quotidienne. Je ne comprenais pas les paroles, qui étaient chantées dans une langue étrangère. Mais cependant, trente ans après, je sais que je peux encore chanter toutes ces chansons-là.
Et quelqu’autre m’a tenu un propos très voisin : C’était aussi une mère dans sa folie, et un père chantant, dont la voix est restée là comme un appui qui disait, qui faisait sentir plutôt par sa couleur, que le monde n’était pas que folie.
Si donc les médecins déclarent qu’un malade est comateux, cela n’empêche pas de lui parler, en s’adressant à lui par son nom, en lui parlant de sa famille et du désir de ses proches à son endroit… que sais-je encore ? De la pluie et du beau temps, du jour qu’on est, de la couleur du ciel, de la vie de la rue… Tous propos qui tirent du côté du vivant, de la commune humanité ; qui disent que le monde extérieur existe, que tout n’est pas que « folie réanimatoire » ; dites-leur tout ce qui vous vient, à condition que cela, vous puissiez le dire de bon coeur, et vous entendrez parfois un malade qui se réveille de son coma en vous disant : « Vous, je vous connais déjà, je reconnais votre voix. »
Et puis, il arrivera peut-être que - de vous adresser aux malades dans le coma comme à des semblables - modifie l’attitude des soignants en les éclairant sur ce qui se joue en réa, en leur permettant de penser que oui, un malade dans le coma demeure un sujet, un autre, et aussi quelqu’un pour ses proches ; en leur ouvrant la porte à la possibilité d’en tenir compte dans leur quotidien ; en leur permettant de penser que leur voix, même si le sens qu’elle véhicule est probablement indéchiffrable, peut être porteuse d’un désir de vie qui sera peut-être perçu par le malade. Comme un nourrisson à la mamelle qui se nourrit du lait de sa mère et aussi de toutes les paroles un peu sottes, incompréhensibles pour lui, qu’elle lui murmure avec amour. La voix qui lui parle le tire vers la vie, la vie psychique, la vie tout court !
Et cette invocation-là,(1°) nous avons à la reprendre à notre compte !
Une mère commet la folie de parler à un nourrisson comme s’il en comprenait quelque chose, mais c’est bien à cause de cette folie-là qu’il se mettra un jour à parler. Et ce qui se joue en réa n’est pas très différent : en place de se réveiller avec effroi dans un univers ressenti comme hostile, le client se sentira peut-être, grâce à vos paroles, espéré et attendu.
Que vous dire d’AML, Association pour le Maintien du Lien psychique en soins intensifs ?
Qu’elle a été fondée en 1991 par une psychanalyste Dinah Fahri qui, d’avoir fait un assez long séjour en réa pour sa propre santé, sa propre maladie, savait un peu ce qu’il en était de la souffrance psychique des malades. Elle avait éprouvé pour son compte que la présence d’un psychanalyste à son chevet pouvait, le temps d’une visite restaurer le lien perdu avec le familier, le monde extérieur et soi-même.
Au sein d’AML, je participe comme animateur au club « Clinique de la Réanimation».
C’est un ramassis de gens intéressants, tous passionnés de réa ou sous le choc encore d’une première confrontation à cet univers terrible. Des analystes, des psychologues ayant pour presque toutes une formation analytique. (Malheureusement je suis le seul mâle du lot.) Ça fonctionne bien, souvent très bien. Le bonheur, la surprise d’éclairer une clinicienne, empêtrée dans un problème insoluble – alors qu’en elle les paroles qu’elle ne parvient pas à dire ou à entendre contiennent la solution - ce bonheur-là est souvent au rendez-vous.
J’ai aussi participé en son temps aux autres instances de notre association : CA, Comité scientifique, mais ce n’est plus de mon âge.
Mon mouvement transférentiel me porte naturellement et avec force vers la vie hospitalière, à travers des cliniciennes – faute d’y pouvoir encore participer directement.
J’ai fait récemment pour mon compte un séjour en réa. Il m’en reste la voix d’une infirmière qui me parlait en me soignant. Sa voix ne perdait sa couleur que lorsqu’elle me demandait chaque matin : « Vous n’avez mal nulle part ? » parce que cet item-là devait obligatoirement être coché sur la feuille de soins et que ça rendait sa parole serve, pour un instant.
Les histoires, mes histoires « comme ça », n’auront pas de conclusion, vous le saviez bien. Mais si elles nous permettent maintenant de parler ensemble de ce qui nous importe, à savoir la psychanalyse et la réanimation, la psychanalyse et l’hôpital, ce ne sera déjà pas si mal.
Joseph Gazengel , ce cinq juin 2008
16 Av Sébastopol ,94210 St Maur des Fossés
Tel et Fx 0148839318
E mail : « josephgazengel@orange.fr »
1°(Chez les poètes, dit mon dictionnaire, une invocation, c’est une prière - prière adressée à une muse, à un génie, à quelque divinité pour lui demander l’inspiration - donc à quelqu’un de lointain,voire de comateux puis-je ajouter.)
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