Rêver d'au delà

Autres articles de l'auteur

libre opinion: Euthanasie

Je crois savoir que le texte législatif - autorisant la sédation profonde continue, jusqu'à ce que quelqu'un, un malade « condamné », comme on disait autrefois, privé de tout apport hydrique et calorique, meure de déshydratation et d'inanition - a été voté...

Lire la suite

Morts et phantasmes de meurtre en réanimation

Morts et phantasmes de meurtre en réanimation "Nous disons : la Mort - et cette abstraction nous dispense d'en ressentir l'infini et l'horreur", écrit Cioran. Hier soir j’ai regardé un vieux classique du cinéma muet : ‘Safety last’ de WC Field. On y...

Lire la suite

RÉPÉTER

RÉPÉTER  Je viens de relire, re-parcourir plutôt, « les Bourreaux volontaires de Hitler » de Jonah Goldhagen, et particulièrement, ( pp 209-262) l’histoire du 101° bataillon de police dont l’intérêt est d’être très solidement documentée. J’ai été...

Lire la suite

Pages

A propos de « Au delà du principe de plaisir » de Sigmund Freud. - Une rêverie…

OCF P, Vol XV,pp277-338, PUF.

En compagnie de José Morel Cinq Mars, j’ai entrepris dans le service du Pr Philippon un travail sur les complications psychiques retardées pouvant frapper les sujets atteint de traumatisme crânien, notamment ceux d’entre eux consécutifs à un accident de la route.

Cette étude qui a porté sur 69 malades s’est effectuée sur trois ans et a été l’objet d’un mémoire destiné au Ministère des transports qui nous avait financés.(Décision d’aide à la recherche N° 95 MT 0011)

Au bout de trois ans José Morel a quitté le service, mais puisque mes fonctions m’y attachaient plus durablement, j’ai pu continuer à suivre en consultation certains de nos malades pendant encore, disons trois ou quatre ans pour un petit nombre d’entre eux.

Nous n’étions pas trop mécontents de nous, mais maintenant, et donc dix ans plus tard, je constate en rougissant que notre travail ne s’est pas référé explicitement à « Au delà du principe de plaisir » de Sigmund Freud, bien qu’un des trois piliers de ce texte (les deux autres étant le jeu des enfants et la répétition dans la cure) s’appuie sur les névroses traumatiques des accidents de chemin de fer et les névroses de guerre et en propose une lecture cohérente qui fait intervenir la contrainte de répétition (A laquelle fera suite la Pulsion de mort, Thanathos, la destruction, la discorde)

Et pourtant nos malades de la Salpêtrière me semblent aujourd’hui bien proches de ceux décrits S.Freud, à cette différence importante cependant que nous n’avons pas su recueillir leurs rêves. (Vous vous souvenez que les malades souffrant de névroses de guerre répétaient chaque nuit en rêve les circonstances terribles du traumatisme qui avait provoqué leur effroi.)

Chez nos malades, nous avons vu la répétition à l’œuvre dans la façon dont le récit circonstancié de leur accident, et leur plainte de la misère de leurs corps- étaient redits et redits encore, dans les mêmes mots ou presque –au travers du douloureux pèlerinage qui les conduisait de médecin sourd en médecin excédé ou agacé par sa propre impuissance – et qui de consultation en consultation les exposait à la répétition de la douloureuse impression de n’être point entendu. Les médecins, bien que méconnaissant leur propre rôle dans cette clinique ont depuis longtemps repéré le côté « répétition démoniaque » de la plainte de ces malades.

Quand je m’éveille à ce moment de la nuit où la mécanique du jour est hors champ, et où les choses se dépouillent, je trouve mon entreprise complètement enfantine. Quoi ! vous rendre compte de « Au delà du principe du plaisir. » Quelle présomption ridicule !

Voilà que déjà mes mots redeviennent fardés et menteurs comme dans le jour.

Non, en fait je ne saurais faire plus que de vous emmener dans les échos de ma lecture, et ce n’est déjà pas la même chose. C’est une entreprise plus modeste, avec en arrière plan la visée que cela engage quelques-uns dans une lecture ou dans une relecture de Freud.

Bizarrement peut-être, je vais commencer par introduire un mot qui n’est pas dans le texte, le mot jouissance, pour essayer de le différentier du mot plaisir.

Telle que je vous demande de l’entendre, la jouissance est la conséquence d’une chute brutale de tension d’une énergie libre, appartenant au fonctionnement primaire, qui n’est pas cadré par la loi et les interdits que les mots portent jusqu’à notre berceau.

Le plaisir, tel que je demande de l’entendre pendant vingt minutes, a au moins un pied dans les processus secondaires. Il est confronté au langage à la loi et aux interdits, fût-ce pour en transgresser certains. Il résulte lui aussi d’une chute brutale de tension mais cette fois d’une énergie liée, au moins pour une part,( Il est difficile d’imaginer le plaisir sexuel - la forme de plaisir la plus intense qu’il nous soit donné de connaître - sans qu’ au moins pour une part l’énergie libre, non liée, et les processus primaires, d’avant le domptage pulsionnel n’y viennent eux aussi s’y faire entendre..)

Une rêverie, vous ai-je annoncé dans le titre. Oui, en escomptant bien que sur le terreau du rêve quelque réflexion vous soit proposée qui vous aide à penser votre place dans une unité de réanimation ou de soins intensifs. Deux mots qui d’un point à l’autre de la France peuvent recouvrir la même réalité ou deux strates distinctes de la prise en charge de malades graves, confrontés au risque immédiat de mourir, au moins dans l’imaginaire des soignants et des clients.

Une rêverie… Et que pourrais-je vous offrir d’autre que les images qui se sont allumées en moi en lisant ce texte ?

Je vous invite à rêver avec moi en regardant jouer le petit-fils de Freud. Il a dix-huit mois. Il joue auprès de son lit à rideaux.

Sa mère est partie. Sophie, la fille chérie de Freud est sortie pour faire quelques courses. L’enfant n’a pas pleuré, d’ailleurs il ne pleure jamais quand sa tendre mère, aussi attentive que le fût sans doute Amalia la mère de Freud, le quitte pour quelque temps.

L’enfant ne manifeste aucun déplaisir apparent au départ de sa mère, nous allons voir que c’est probablement à cause de sa capacité à symboliser, y compris par l’opposition différentielle des phonèmes

Il se livre à ce jeu que vous avez sans doute eu l’occasion d’observer déjà, il s’amuse à jeter les objets à sa disposition sous les meubles, par terre dans les coins, en demandant qu’un adulte les ramasse pour lui. Il répète ce jeu sans se lasser. C’est le plus souvent l’adulte qui se lasse en premier. Ce d’autant qu’à l’âge d’être grand-père, il est moins simple de se baisser qu’à vingt ans.

Il dispose en particulier d’une bobine en bois, de celles autour desquelles était enroulé le fil à coudre autrefois.

Vous connaissez la suite. L’enfant ne se lasse pas de jeter la bobine derrière les rideaux du lit.

Un jour un adulte a attaché une ficelle en passant par le trou de la bobine et a mis l’autre bout dans la main de l’enfant. Alors sous le regard de Freud se déroule sans relâche un jeu cyclique. Il jette d’abord la bobine derrière les rideaux en prononçant un « o o o » dont la mère de l’enfant et Freud sont d’accord pour dire qu’il évoque le mot « fort » qui signifie « loin ou parti ». Le jet en soi semble être une source de satisfaction.( Befriedigung : satisfaction, assouvissement, dit mon dico et pourquoi pas Jouissance. ) Puis l’enfant tire sur la ficelle et fait reparaître la bobine avec un cri joyeux « da »là, elle est à nouveau là ! ( c’est le mot freudigen qui est traduit ici par «  Joyeux « ),

Vous pourriez penser que c’est le plaisir des retrouvailles de la bobine représentant sa mère qui est le motif principal du jeu. Il n’en est rien.

Le plus souvent le jeu ne comporte que la première partie : jeter au loin. Plus rarement le jeu est complet.

Jeter un jouet au loin quand sa mère est absente, voilà ce qui semble être le cœur du jeu qui se répète sans que le plaisir des retrouvailles suffise à en rendre compte. Au contraire, c’est l’évocation du déplaisir de la perte qui semble en soi porter l’essentiel.

Il y a eu au moins une fois une variante intéressante. L’enfant s’est regardé dans la glace, puis en se déplaçant un peu sur le côté, il a fait disparaître son image. Et quand sa mère revient, il lui annonce fièrement que lui aussi « fort », il sait se faire disparaître.

Et tout d’un coup cet enfant m’inquiète et je dois faire apparaître pour me rassurer la présence du grand-père. Il se dit observateur muet. Il essaierait presque de nous faire croire qu’il est là, comme le neurologue qu’il fût, regardant quelque cellule nerveuse à travers un microscope.

Non pour me rassurer je dois évoquer le grand père attentif et rêveur qu’il ne peut pas avoir manqué d’être. C’est peut-être lui qui a attaché une ficelle à la bobine. En tout cas c’est lui qui pense en regardant l’enfant. Il est d’autant plus attentif que lui aussi a été un petit enfant dont la mère chérie s’est éloignée un jour, qu’il est peut-être aussi, en mineur, troublé par le départ de sa fille qui est venue habiter quelque temps sous son toit. Le bruit de la porte de son départ est sans doute encore dans son oreille.

Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce qui s’est joué dans ce moment entre l’adulte et l’enfant. Il n’est sûrement pas indifférent pour l’enfant que son jeu ait pris sens pour l’adulte qui l’observait. Que se sont-il dits à ce sujet ? Comment le grand-père a-t-il participé au jeu de la bobine ? En la ramassant sous les meubles ? Ou plutôt, c’est du moins ce que j’imagine, en ayant une présence attentive occupée à penser ce que vivait l’enfant - en accueillant la portée du langage symbolique du jeu de la bobine - et en lui en accusant réception de quelque manière ?

C’est peut-être pour cela que l’enfant ne s’est fait disparaître qu’une fois. Sinon qu’en serait-il advenu  ? Privé du soutien de l’attention d’un adulte bienveillant et avisé, l’enfant se serait peut-être jeté lui-même - au risque de se meurtrir, de se blesser en se tapant la tête contre quelque buffet.

Ah bon, nous revoilà presqu’en réanimation avec un traumatisme crânien. Forcément. Ça devait arriver.

Elle s’est assise auprès du lit, elle a dit qui elle était. Elle avait été attentive à un geste d’acquiescement ou de refus du malade. Si ténu que soit ce geste, elle l’avait guetté avant de s’installer là pour quelques minutes. Forte et blessée de l’expérience de l’analyse, elle s’était laissée aller à penser ce qui se passait pour le malade dans ce lit. Elle lui en disait peut-être quelque chose, quelques mots pour rendre humaine et sensée l’aventure terrible de cet autre réanimé.

Qu’est-ce que ça change que Freud ait regardé son petit-fils en étant attentif à l’expérience douloureuse qu’il vivait et qu’il tentait de lier en la symbolisant ?

Qu’est-ce que ça change pour le réanimé que - quelqu’un soit auprès de lui, une clinicienne d’AML, cherchant à prêter sens à la brutalité de l’expérience où la défaite de son corps et les soins réanimatoires l’ont plongé ?

Qu’est-ce que ça change que cette clinicienne puisse être elle-même écoutée et entendue dans le groupe « Clinique de la Réanimation » et dans une supervision individuelle ?

Laissons cette question en suspens quitte à tenter d’y répondre plus tard.

Si Freud en est venu à nous raconter l’histoire de la bobine en 1920 c’est qu’il était interpellé, lui qui avait eu deux fils à la guerre, par quelque répétition démoniaque qu’il avait besoin de déchiffrer : Les névroses de guerre. Ceux qui en souffraient après la rencontre avec quelque Schreck, quelqu’effroi, quelque grenade à deux pas dont l’explosion avait déchiqueté un camarade - revivaient chaque nuit en rêve l’expérience de cet effroi avec tous les détails de l’horreur rencontrée. Et ces rêves terribles dont on ne voit pas bien à quelque principe de plaisir ils auraient pu obéir, se répétaient d’un façon démoniaque.

C’est après ce constat, cette évidence qui semblait subvertir la théorie psychanalytique dans son cœur - dans la théorie des rêves comme réalisation imagée d’un désir - qu’elle semblait contredire - que Freud nous sort de sa manche le jeu de la bobine. Il ne nous dit pas comment s’articulent ces deux récits - celui de la bobine et celui des rêves de guerre. Il en fera le point de départ d’une très longue réflexion, mais il laisse au lecteur à choisir comment articuler ces deux morceaux quand même un peu disparates.

Heureusement quelques pages plus tôt (p 73, vol XV, OCF.P), il nous a rappelé – en sollicitant en nous l’expérience de l’analyse - que deux événements racontés côte à côte – presque dans le même souffle - doivent s’articuler par une relation de causalité.

Donc il faut lire ainsi : pourquoi la répétition démoniaque des névroses traumatiques de guerre ou de la route ? – Parceque le jeu de la bobine. Ou dit autrement, parce que ces gens-là, prisonniers de leur névrose de guerre, se sont construits dans leur enfance - comme vous et moi - autour du jeu répétitif de la bobine ou d’une de ses variantes, dont l’élément le plus constant est la répétition du représentant d’une expérience pénible. Jeter et jeter encore dans une répétition quasi démoniaque ce qui représente le départ de sa mère – ou sa mère, tout simplement ou un morceau de soi ; Et se donner ainsi l’occasion de s’ouvrir au langage dans l’opposition différentielle du fort et du da.

Je vais maintenant vous parler de la VIELLE pour changer un peu.

La VIELLE est un instrument à cordes qui ressemble vaguement au violon, en beaucoup plus ventru. Les cordes sont excitées par le frottement d’une roue enduite de collodion. Une manivelle dans la main du vielleux fait tourner la roue et - à chaque tour de roue - il marque le tempo par un coup d’accélération de la manivelle. L’une de ces cordes est toujours en contact avec la roue, c’est le BOURDON. Elle émet un son continu, mais néanmoins rythmé par les coups de manivelles du vielleux.

Si le vielleux ne fait entendre que ce bourdon-là, cela devient vite ennuyeux, puis agaçant, voire franchement déplaisant.

Les autres cordes sont actionnées par un système de touches et de rappels qui les met en contact avec la roue et donc les fait sonner selon le bon plaisir du vielleux. Ça donne un air le plus souvent entraînant, et on n’entend plus le bourdon, qui pourtant demeure.

(On peut noter que le cornemuseux qui joue d’un autre instrument populaire dispose lui aussi de l’équivalent du bourdon, et que le chant populaire lui-même doit une partie de sa force à la continuité du souffle et sa joie ou sa peine à la mélodie et aux paroles qu’elle soutient)

La contrainte de répétition, la passion de l’identique, du continu ou de ce qui revient sans cesse comme un refrain ne va pas s’expliquer par la cornemuse ni par la vielle. Mais c’est une image qui m’a permis de penser, et c’est pourquoi je vous l’ai proposée

La contrainte à répéter, ce n’est pas quelque chose qui s’explique, même en fouillant le texte de Freud. Non c’est un constat. C’est quelque chose qui est là, qui se rattache directement à l’expérience clinique. Ça ne veut ni bien ni mal. Ce n’est pas opposé au principe du plaisir. C’est simplement - davantage pulsionnel, plus archaïque.

Ça fonctionne indépendamment du principe de plaisir.

C’est comme le son continu du bourdon de la vielle rythmé par les tours de manivelle du vielleux. C’est là, ça revient. Et sur ce bourdon la vie se rythme. Et le principe de plaisir détourne pour sa cause une partie de l’énergie pulsionnelle de la contrainte de répétition.

Ce bourdon c’est aussi la succession des jours et tous les automatismes confortables dont nous ne percevons l’extrême importance vitale que lorsqu’ils viennent à nous manquer.

Pensez par exemple au lever du matin pour aller au boulot. C’est quand cet automatisme-là nous est retiré par la retraite ou un séjour en réa que nous sentons douloureusement qu’une pulsation vitale nous manque. C’est comme si le bourdon s’était arrêté. Il manque à la vie tout d’un coup comme une respiration. C’est comme si le battement du cœur s’était permis de hoqueter. Et la joie de la mélodie du vielleux résonne à faux, privée du soutien du bourdon. Elle ressemble tout à coup aux gesticulations vaines d’un pantin désarticulé.

Répéter, pour répéter, réclamer le même, l’identique, la continuité, c’est là une exigence pulsionnelle fondamentale - fondatrice de notre sentiment d’avoir le droit d’exister, d’être soi. C’est du temps où nous étions enfants, l’exigence de réentendre chaque soir la même histoire inventée, mais réclamée chaque soir sans variation aucune pour pouvoir se laisser aller à la répétition du sommeil.

C’est aussi bien perceptible, me glisse une amie, dans la paix que donne la régularité du cycle menstruel et dans le trouble que démasque avec l’âge l’interruption définitive de ce cycle.

(Il est assez vain de se donner du mal pour « comprendre » le mécanisme de la contrainte de répétition. Ça plonge ses racines dans notre part animale. Les oiseaux migrateurs continuent à répéter chaque année leur voyage vers l’Afrique chaude et humide. Avant le Sahara, il y a quelques cinq mille ans, l’Afrique .était à portée d’aile, il suffisait de traverser la Méditerranée. Maintenant la distance à parcourir se compte en milliers de kilomètres - mais ils n’ont pas renoncé à retrouver leur rêve africain.)

Quant à la périodicité régulière des séances, elle fait partie du cadre qui rend le travail analytique possible…

Dans ma lecture de Freud, je me plais après lui à lire dans toutes ces répétitions vitales une alliance, un entremêlement entre le principe de plaisir et la contrainte de répétition - le principe de plaisir détournant à son profit tout ou partie de l’énergie de la contrainte de répétition.

Mais il peut bien arriver que l’expression de cette contrainte de répétition prenne un tour démoniaque – lorsqu'elle se délie de toute emprise du principe de plaisir, de tout lien langagier ou symbolique.

Pensez par exemple à ce qui a peut-être été une de vos expériences : répéter plusieurs fois, ou de nombreuses fois au cours de la vie, exactement la même connerie, à l’occasion de circonstances de hasard qui ouvrent la possibilité à ce que ça se répète et ce - non sans une certaine jouissance. On sent bien que quelque chose alors se détend en soi. Une tension pulsionnelle s’est abaissée, (en plus du plaisir narcissique qu’on s’est offert par la réactivation de sa mégalomanie enfantine).

- Et que le déplaisir violent engendré par les conséquences de notre connerie répétitive - nous attende au rendez-vous - n’y change rien.

Dans cette série de répétition démoniaque, Freud nous balance comme exemple l’histoire de cette femme trois fois mariée, trois fois infirmière zélée d’un mari malade et trois fois veuve. (Il avait du culot cet homme !)

C’est seulement après quarante sept pages d’un texte qui en compte soixante dix (GW), que Freud, poussant plus loin sa pensée, introduira le mot « Pulsion de mort ». Puis s’ensuivra une longue réflexion qui l’amène à considérer que le « même » vers lequel tend inexorablement la vie, c’est le retour vers ce qui existait avant, l’inanimé dans la mort.

Mais avec ce mot, « Pulsion de mort », on n’est plus dans une nomination découlant immédiatement d’un constat clinique comme la « contrainte de répétition », on est sur un autre registre, une pensée qu’il laisse courir comme il s’y plait - pour notre richesse.

Il faut dire quand même que c’est un mot qui pourrait s’adapter comme un gant à la contrainte de répétition quand ses effets prennent un tour franchement diabolique, mais ce serait cependant, me semble-t-il, forcer un peu la pensée de Freud que de voir les choses sous cet angle - au moment du texte que j’ai choisi pour vous en parler (soit les quarante sept premières pages) -.

Ce mot « Pulsion de mort » une fois lâché, me conduit quand même à évoquer une certaine clinique.

La transgression que constitue le fait d’endosser la blouse du médecin et d’avoir ainsi un accès au corps de l’autre qui nous est normalement interdit, cette transgression-là peut déborder le sujet.

Ceci pour tenter de jeter quelque lumière sur les répétitions dont le médecin peut être la victime quand l’échec d’un traitement, d’une intervention chirurgicale - ou la mort d’un patient - démasquent tout à coup à ses yeux le risque de débordement pulsionnel auquel sa profession l’expose. La passion de soigner n’empêche pas qu’à tort ou à raison on puisse comme médecin avoir le sentiment d’avoir tué celui-là qu’on s’efforçait de sauver. Il peut alors nous arriver à nous médecins – oui, je n’oublie pas que je suis médecin - de se répéter, de répéter de façon diabolique. Par exemple de dire et de redire à des malades ou à leur famille des paroles inaudibles parce que trop violentes pour être entendues. Par exemple de continuer - de répéter - des soins entrepris pour guérir bien qu’ils ne soient plus qu’une souffrance inutile, alors que la mort a déjà gagné la partie.

Quant à nous, chacun de nous, lorsqu’un Schreck, un effroi, un traumatisme, un accident de voiture, un réveil en réanimation débordent en un instant nos possibilités de se défendre, de penser, de lier par la parole ce qui nous renverse, nous sommes désarçonnés et la « Contrainte de répétition » va se montrer presque nue, désarrimée du langage. Il se peut aussi qu’à cette occasion quelque chose de notre univers pulsionnel habituellement bien calfeutré, se montre à nu tout à coup et hideux à nos yeux.

Comme le visage de la Gorgone. Et nous fascinés restons avec cette expérience, cloués dessus comme un papillon sur son liège tandis que tourne la roue de la vielle, aussi longtemps que nous vivrons. Et chaque tour de roue nous présente à nouveau le Schreck, puisque l’énergie pulsionnelle qu’il a désarrimée reste non liée et vulnérante. Mais à chaque tour de roue s’ouvre aussi l’opportunité qu’une part de cette énergie vulnérante trouve à se fixer, à s’inscrire dans un réseau signifiant.(GW 36-37)

C’est là que s’ouvre une fenêtre pour des mots d’un autre qui nommant la chose, l’inscrivant dans le réseau si dense du langage, puisse lui permettre de s’apprivoiser, de se dés-ensauvager. Les tours de roue de la répétition du traumatisme ne sont pas un destin, mais une opportunité pour que nous, cliniciens, puissions offrir l’attention, les mots qui donnent un sens - et apaiser l’effroi de l’enfant, réveillé en nous par une expérience de l’horrible et de l’insensé.

Oui, vraiment ça change quelque chose qu’une clinicienne d’AML 1soit là à notre chevet, et se permette de penser, de rêver pour nous - l’effroi de notre réveil dans le monde apparemment insensé de la réa. Oui vraiment ça change quelque chose que nos balbutiements, les mots de notre confusion ou de notre déroute comme sujet soient accueillis et entendus - que l’expression des rêves qui peuvent alors nous envahir comme s’ils s’imprimaient, se projetaient sur les fenêtres ou le plafond de notre box - prennent sens pour quelqu’un qui nous en accuse réception.

15-5-2007. Joseph Gazengel.

« josephgazengel@fresurf.fr » 16 Av Sébastopol

94210 St Maur des Fossés.

  • 1.

    Association pour le Maintien du Lien psychique en soins intensifs Répondeur et 3 permanences l'après-midi. 340 rue St Jacques 7505 Paris France (Paris) e-mail : aml@rea-psy.com web: http://www.rea-psy.com