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Jean Allouch
Ceux qui m’aiment …

A propos de « L’amour Lacan » de Jean Allouch EPEL

Parlez moi d’amour disait la chanson. On dirait que, ces derniers temps, l’amour fait à nouveau recette. Le livre « Les amoureuses » de Clotilde Leguil a été choisi par les lecteurs pour être le prix oedipe 2010 et « En cas d’amour » d’Anne Dufourmantelle figurait dans le « dernier carré » de la sélection des libraires. Si « L’amour Lacan » n’y figurait pas ce n’est pas que nous ayons négligé cet ouvrage mais tout simplement parce qu’un autre ouvrage paru la même année du même auteur figurait dans notre sélection et qu’il nous a paru plus opportun de faire figurer plutôt celui-là, afin que les deux ouvrages ne se fassent pas entre eux une néfaste concurrence. Ajoutons qu’une parution tardive, en fin d’année, ne permettait pas au livre « L’amour Lacan », contrairement à « Contre l'éternité Ogawa, Mallarmé, Lacan » d’être suffisamment lu et commenté par les lecteurs. On ne lit pas 493 pages de cette écriture en quelques jours. Il faut y consacrer le temps nécessaire et celui-ci nous est toujours compté.

L’amour donc et non le sexe. J’ai cru entendre ici et là, que Jean Allouch aurait commencé l’écriture de ce livre en entendant les commentaires des auditeurs de son séminaire : « tu ne nous parles que de sexe. Parle nous plutôt d’amour ». Remarque sans doute fondée et après tout également pertinente au regard de la pratique de la cure où, contrairement à ce que pensent beaucoup, il est bien plus souvent question d’amour que de sexe.

Et puis, il faut ajouter, et ce n’est pas rien, que le transfert, qui est ou devrait être le pain quotidien des psychanalystes, c’est de l’amour et, qu’au moins sur ce point, Lacan n’a semble-t-il pas varié. Parce qu’à considérer le travail de Jean Allouch sur les autres points ce n’est pas la permanence qui domine mais plutôt une éternelle tentative toujours fragile, souvent contradictoire, variable selon les moments, et contre dite après qu’elle ait été l’objet d’une plus ou moins longue dissertation. De ce point de vue, le livre me semble important et exemplaire en ce qu’il montre qu’il n’est aucune légitimité à la mise en avant de telle ou telle formule qui serait le nec plus ultra de la pensée lacanienne. Et l’on se réjouit de voir Jean Allouch écrire à plusieurs reprises, et malgré toute sa connaissance intime du corpus lacanien, que telle formule lui reste obscure. Celle si célèbre « l’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » m’a toujours laissé perplexe. On se demande à le lire si Lacan lui même savait bien tout à fait le sens qu’il donnait à ce propos auquel il ne s’attarde guère.

Il y a des moments dans l’œuvre de Lacan où l’amour domine. On pense au Banquet, bien entendu, on songe à « Encore », c’est évident. On songe aussi à l’amour courtois. Mais ce que montre Jean Allouch c’est que l’amour est chez Lacan une sorte de fil rouge que l’on peut suivre ainsi du début à la fin de son enseignement décliné sous de multiples facettes. Lacan cherchait-il donc l’amour comme nous tous ? Sans doute et la récolte n’est pas mince concernant ce thème. À le suivre on réfléchit à l’amour sous tous ses aspects qu’il s’agisse de sa place par rapport à l’objet, de son rapport à Dieu et à la mystique, de ses rapports avec le désir, le transfert etc… la liste n’est pas close et l’énoncé des chapitres du livre en donnera à qui se contenterait de le feuilleter, une bien faible idée. Peut-être d’ailleurs est-ce ici le meilleur de Lacan: Lacan chercheur, Lacan analysant, à la recherche de ce qui ferait avancer la pensée, bien plutôt que Lacan le maître, figure assez comique à l’image de ces bien-pensants qui depuis que je les fréquente c’est à dire bientôt 40 ans maintenant, vont armés de leur viatique prêcher Lacan comme un évangile.

Reste que le livre pêche à mes yeux sur un point qui n’est pas de détail et autour duquel au fond il aurait bien pu tourner tout entier. Je croyais pour ma part qu’il ne s’y trouvait tout simplement pas mais l’on m’a affirmé qu’il y était. Il tient en deux pages alors qu’il fut l’événement institutionnel le plus important de l’histoire du mouvement lacanien au moins pour quelques-uns, dont je fus et dont Jean Allouch fut assurément. Il s’agit de la lettre lue par Lacan à son séminaire et connue comme la lettre de la Dissolution 1. Cette lettre fut suivie d'une autre plus explicite encore celle du 26 janvier 1981 : « Ceci est l'École de mes Élèves, ceux qui m'aiment encore. J'en ouvre aussitôt les portes. »(Il ne m’est pas possible ici de donner plus de détails sur cet épisode crucial où demeure encore bien des points obscurs. On se référera notamment aux livres d’E.Roudinesco : « Histoire de la psychanalyse en France Tome 2 » et « Jacques Lacan «  Le témoignage de certains à ce sujet font douter qu’elle fut bien de Lacan lui-même. Qu’elle le fut ou non, une chose est assez assurée : elle a été lue, corrigée de sa main et assumée par lui. On doit donc la considérer à ce titre comme partie intégrante de son œuvre. Une lettre, non pas d’amour, ce qui, après tout eut été plutôt bienvenu, mais la demande d’une déclaration d’amour qui fasse lien d’école. Cette lettre, par delà les querelles de personnes et de légitimité a fait et fera longtemps encore scandale. Elle a décidé du choix de beaucoup en ce qui concerne l’appartenance institutionnelle. Elle m’a fait renoncer pour ce qui me concerne à toute idée de jamais faire partie d’une association psychanalytique et encore moins d’une école de psychanalyse. Et ne parlons pas de la violence et de la haine qui se sont ensuite déchaînées, période détestable et mortifère pour la psychanalyse dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. L’hainamoration s’est bien trouvée au rendez-vous de l’amour que Lacan avait sollicité si imprudemment. Elle a fait que Jean Allouch crée avec d'autres l'Ecole Lacanienne Psychanalyse. L’arbre de « L’amour Lacan » cache-t-il la forêt de ce moment si important ?. C’est la question qui demeure vive à l’esprit du lecteur que je suis à l’instant de reposer ce livre. Un autre livre reste donc à écrire, qui tienne compte de ce travail de déchiffrage, d’enquête pour reprendre le mot de Jean-Michel Louka (cf.son commentaire sur la fiche du livre) et l’inscrive dans cette perspective bien au-delà des querelles de personnes À suivre ?

  • 1.

    http://pagesperso-orange.fr/espace.freud/topos/psycha/psysem/dissolu4.htm