Onfray revisite son affabulation

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Onfray revisite son affabulation

   

par Elisabeth Roudinesco, 19 mai 2010

        Après avoir craché sur Freud et traité les historiens d’hagiographes hystériques, inventeurs de légendes et gardiens orthodoxes d’un prétendu «temple lacano-freudien», après avoir insulté psychologues, psychiatres, psychanalystes, psychothérapeutes de tous bords - accusés de s’enrichir à la manière de gourous distributeurs de miracles et de placebo -, après s’être mis à dos toute la communauté des philosophes, après avoir enfin essuyé des critiques bien méritées de la part des médias les plus sérieux - qui ont lu son livre et le trouvent désastreux -, voilà que Michel Onfray, soutenu par son éditeur, met en ligne un opuscule (Freud, une chronologie sans légende) qui sera distribué en librairie et qui prétend établir la vérité historique qu’il a lui-même bafouée.  

        Dans sa présentation, l’auteur se dit victime d’un complot : de méchants ennemis l’auraient comparé à Hitler, traité d’antisémite, de fasciste, d’onaniste; ils auraient porté atteinte à sa famille et à sa dignité; enfin, ils auraient aurait voulu le destituer de son Université populaire.

        Rien de tout cela n’est exact. En revanche, ce qui est vrai c’est que Michel Onfray a inventé un Freud conforme, non seulement à ses fantasmes, mais à ceux de l’école dite «révisionniste» nord-américaine  dont les adeptes sont surnommés depuis 20 ans les «destructeurs de Freud» ou «Freud bashers». Leurs excès sont désormais dénoncés par l’ensemble des  spécialistes de l’histoire du freudisme, des études culturalistes et de genre (gender and cultural studies), de la psychanalyse, de la psychiatrie, des médecines de l’âme, toutes tendances confondues et dans tous les pays.

        Car c’est bien Michel Onfray qui a fait de Freud ce qu’il croit qu’on fait de lui. Voici ce qu’il dit dans Le Point (6 mai 2010, p. 108, en réponse à Bernard Henri Lévy), en guise de résumé de son brûlot : «Freud menteur, Freud affabulateur, Freud destructeur des traces de son forfait, Freud cocaïnomane dépressif (...), Freud à l'origine de la mort de son ami Fleischl-Marxow, Freud destructeur du visage d'Emma Eckstein avec l'aide de son ami Fliess, Freud onaniste, Freud obsédé par le sexe de sa mère (...) Freud incestueux, couchant avec sa belle-soeur, Freud mentant et affirmant avoir guéri des patients, Freud amassant une fortune (...) Freud ontologiquement homophobe, misogyne, persécuteur des Juifs...» Pour résumer donc, Freud était, selon Onfray, une ordure, un antisémite, un assassin, un psychopathe, un dangereux pervers d’extrême-droite, admirateur de Mussolini et de l’austro-fascisme....

        Toutes ces extravagances n’ont aucun fondement historique. Mais elles sont le signe d’une sorte de suicide intellectuel vers lequel se précipite de plus en plus Michel Onfray à mesure que de nombreux lecteurs découvrent ce que contient son brûlot. Plus personne ne prend au sérieux de telles balivernes. Ni légendes dorées d’un Freud sublimé par des disciples idolâtres, ni légendes noires inventées par les révisionnistes : l’art de l’historien repose sur le sens de la nuance, sur l’établissement rigoureux des faits, sur la capacité critique et sur l’interprétation vraie, toutes choses qui sont méconnues par l’auteur du brûlot.        

        On trouvera une analyse des affabulations de Michel Onfray dans le livre collectif qui paraît au Seuil le 27 mai sous ma direction : Mais pourquoi tant de haine? Avec des contributions diverses (Guillaume Mazeau, Christian Godin, Franck Lelièvre, Roland Gori, Pierre Delion). L’ouvrage sera présenté à l’Université de Caen, le jour de sa sortie en librairie.

        Mais ce qui est intéressant dans la chronologie mise en ligne - laquelle prétend répondre à ce livre collectif - c’est  qu’Onfray se revisite lui-même au point d’invalider quelques unes des «thèses» avancées dans son brûlot. Finie la liaison de 40 ans avec la belle soeur engrossée par Freud à l’âge de 58 ans! Atténuées les accusations de nazisme, d’antisémitisme, de fascisme, d’inceste, d’abus et de crime. Certes, la «chronologie» est commentée de façon fallacieuse, comme si Onfray voulait encore tordre les événements pour les faire coller à ses interprétations. Comment pourrait-il faire autrement sans tromper ses lecteurs?

        Mais les faits sont têtus et lui résistent.

        Restent alors les fameux 450 euros pour une séance d’analyse à Vienne en 1920. Cette escroquerie imputée à Freud semble rendre fou l’auteur du brûlot qui, à l’évidence, ne connaît pas plus les lois de l’économie monétaire que celles de la procréation. De quoi se tordre de rire quand on sait qu’il est impossible de convertir 25 dollars de l’époque en euros et que d’ailleurs Freud ne faisait payer cette somme qu’à des disciples américains. En réalité, Freud prenait 100 shilings autrichiens à la plupart de ses patients, à partir de 1925, et 40 couronnes avant la Première Guerre mondiale. D’après tous les calculs effectués par les spécialistes (on les trouvera sur internet et notamment dans un article de Henri Roudier, mathématicien), les honoraires de Freud étaient ceux d’un spécialiste des maladies nerveuses des années 1920-1930 : et n’oublions pas la crise économique qui sévissait en Autriche à partir de 1920. Tous les témoignages des patients et disciples de Freud prouvent que la prétendue escroquerie est encore une affabulation de l’arroseur arrosé.

        Encore un effort Michel Onfray! Gageons que la prochaine «chronologie», dûment corrigée, se rapprochera un peu plus de la réalité.

        Mais alors que restera-t-il du brûlot?

A voir : Vidéo E. Roudinesco

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