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Édito : "Une tragédie"
Édito : "Une tragédie"
À propos d’une tragédie, quelques mots.
Je suis habituellement assez peu concerné par ce qu’il faut bien appeler un fait divers. Au décours d’une vie, il n’est pas rare d’entendre parler de tel ou tel évènement qui affecte tragiquement, un enfant, une famille, une population. Notre vie n’est pas faite que d’évènements heureux et chaque matin les médias nous en délivrent une part suffisante. souvent même un peu trop pleine. Mais rien qui ne nous fasse réfléchir sur autre chose que sur la fragilité de notre condition humaine et sur les coups que le destin peut porter à chacun de nous.
Un de ces matins donc voilà que j’entends à la radio qu’un homme, un syrien, a poignardé dans un jardin, avec un couteau, des enfants qui s’y trouvaient au bord d’un lac et même qu’un bébé a été également victime de cet homme. Aussi résistant que l’on soit aux malheurs du monde, j’avoue avoir été remué par cette nouvelle.
Tout ce qui était décrit à cette occasion semblait inventé par un metteur en scène de film d’horreur. Le décor idyllique, les bords d’un lac paisible, des enfants jouant dans un parc avec les mamans devisant autour et puis soudainement le drame ou plutôt la tragédie. Un homme, un étranger, un arabe peut-être, avec un couteau surgit de nulle part qui frappe au hasard des enfants, un héros qui intervient pour éloigner l’agresseur.
Il n’est pas vraiment nécessaire d’être psychiatre pour se dire que cet homme, s’il ne délirait pas au sens propre du terme, était très certainement dans un moment de complète aliénation mentale. Cet acte ne relevait pas, pour ce qu’on en sait, d’un récit au sens ou Fethi Ben Slama inscrirait alors ce dernier sous le terme de saut épique[1]. Il semble en effet qu’il ne se revendiquait d’aucune idéologie.
Mais bientôt voici que la classe politique dont le niveau s’abaisse à chaque occasion s’est emparée de l’évènement pour crier au scandale de l’immigration, réclamer des mesures (d’urgence bien entendu). Oui certes, mais lesquelles ?
Il y a dix ans je crois, la guerre a frappé la Syrie ou un dictateur a mené un combat aujourd’hui oublié contre son peuple et sans faire le détail allant jusqu’à tuer des dizaines voire des centaines d’adultes et d’enfants en larguant des bombes chimiques sur des villages, frappant de terreur les populations et alertant la Communauté Internationale qui après y avoir vu le dépassement d’une ligne rouge précédemment tracée, a décidé de fermer les yeux sur cette tragédie.
Qu’il demeure au sein du peuple syrien des hommes et des femmes marqués au plus profond d’eux-même par ce qu’ils ont alors vécu, qui peut en douter. Que, à l’image d’une réplique lors d’un tremblement de terre, tel ou tel évènement vienne nous en rappeler l’existence devrait simplement nous inviter à un bref examen de conscience. Quant à nous psychanalystes, peut-être aurions nous , qui sait, quelque chose à en dire puisque depuis longtemps les effets du traumatisme sur les individus est devenu chose courante dans la parole de ceux qui viennent nous consulter. Peut-être aussi serait-ce l’occasion, mais qui veut l’entendre, de rappeler l’état de la psychiatrie en France, la situation de déshérence des populations de malades mentaux qui errent dans les rues et composent une grande majorité des SDF et ceci sans parler de tous les malades qui aujourd’hui peuplent nos prisons.
Oui, si ce n’est pas de cela qu’il faut parler alors de quoi est-il question. Sans doute du niveau de plus en plus lamentable du débat politique aujourd’hui.
Laurent Le Vaguerèse
[1] Fethi Benslama. Le saut épique ou le basculement dans le jihâd Acte Sud
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Comments (7)
je transmets ce commentaire très intéressant de Marie José Mondzain
Cher Laurent Le Vaguérèse
Bonjour
Je viens de lire votre éditorial au sujet des crimes commis à Annecy.
Vous dites que le fou criminel , arabe peut-être, n’était animé par aucune idéologie.
N’y aurait-il que les musulmans pour tuer « idéologiquement » ?
Le délirant a clairement fait entendre qu’il tuait au nom du Christ…
et comme il est dit dans l’Evangile de Matthieu (2,16-18) Hérode fit tuer tous les enfants jusqu’à 2ans,
ce massacre faisant partie du récit et des conditions de la venue du messie
Je reconnais que les syriens ne peuvent que vivre jusqu’à la folie le trauma ravageant des massacres perpétrés par Assad
mais entre le récit évangélique et la souffrance traumatique le délire messianique peut devenir une voie rédemptrice
Le massacre des innocents a inspiré nombre d’oeuvres d’art sans que cela ait moindrement choqué les chrétiens de perpétuer
ce récit lié comme preuve et condition de la venue de leur rédempteur
L’imaginaire chrétien n’a rien à envier aux autres monothéismes en matière de sacrifice salvateur et de massacre rédempteur
J’espère ne pas vous avoir choqué et importuné par ces brèves réflexions qui ne changent hélas rien à notre douloureuse stupéfaction.
Cordialement
Marie José Mondzain
Bonsoir, oui, au-delà de notre émotion - grand-mère depuis peu, je suis actuellement encore plus à vif et en alerte que d'habitude sur tous sujets qui concerne les tous-petits... - il y quantités d'interprétations possibles et pluridisciplinaires.
Merci Madame Mondzain de cette transmission de données culturelles et religieuses.
Sur Facebook des amis psychanalystes m'apprenaient que cet homme a attaqué des enfants du même âge que son propre enfant qui a trois ans... A tout le moins, on peut considérer que celui qui attaque un enfant attaque d'abord et surtout l'enfant qui est en lui, ce noyau précieux et pérenne qui persiste en nous, malgré les années, la vie sociale, etc.
Sont évoqués dans la presse et ailleurs un penchant dépressif, des pensées suicidaires, son échec à obtenir un passeport suédois qui aurait aggravé son état, l'absence d'hébergement en France...
Quand j'étais écoutante en association de soin psy gratuits (CPMS/ Dr Hervé Hubert), j'ai entendu des personnes dites "migrantes". Lors d'une journée thématique, j'avais exprimé l'idée qu'une personne migrante serait peut-être tel le nouveau-né : arriver dans un nouveau pays parce qu'on fuit le sien, c'est un peu vivre une nouvelle "naissance". Dans cette incertitude géographique, matérielle, langagière, relationnelle dans lequel elle se trouve souvent, malgré son énergie et sa volonté d'arrachement à sa terre natale par nécessité de survie, elle a besoin d'être chaleureusement accueillie et de recevoir des soins. Elle a besoin d' un lieu où se sentir en sécurité, etc...
Bref, il y a une question "d'inscription" urgente (symbolique et matériel) qui se pose de façon aigüe...Un peu comme à la naissance où les parents prodiguent les soins vitaux à leur nouveau-né, le nomment, l"inscrivent" auprès de la Mairie, s'adressent à lui, lui présentent son lieu de vie, etc... : c'est ainsi qu'ils lui donnent sa place parmi les humains.
Au sujet de "l'inscription" je me rappelle de cet élève - j'exerce comme prof d'arts appliqués en EREA => ce sont de mini lycées professionnels pour jeunes en grandes difficultés - cet élève donc qui me demandait chaque semaine si je pouvais l'aider à obtenir des papiers; ces papiers, c'est aussi ce qu'un homme que j'écoutais chaque semaine au CPMS, souffrant d'insomnie et arrivé d'un pays en guerre, attendait désespérément via le travail de son avocat. ...Et il lui arrivait même, lui aussi, de me demander si je n'avais la possibilité de les lui obtenir...
Alors en effet, que se passe-t-il, sur le plan subjectif, quand l'inscription, si importante sur le plan psychique et physique, vous est perpétuellement refusée ? Ou si elle est soumise à de telles conditions, de tels chantages administratifs, qu'elle semble hors d'atteinte ?
Sans doute quelque chose alors ressurgit du tout-petit qui est en nous, avec un vécu intense du fameux "désaide" (l'Hilflosigkeit) dont parlait Freud, à des degrés divers bien entendu selon les vécus et subjectivités ?
Il semblerait que pour cet homme cela aura été plus insupportable et invivable que pour d'autres, fracturant un "équilibre" déjà fragile depuis trop longtemps, sans que personne ne s'en soit vraiment soucié.
Bref, ce sont ces questions subjectives et sociétales qui sont négligées par les pouvoirs en place, laissant une place vide que certains médias ou politiques s'empressent de combler avec le déchainement abjecte que l'on sait, et souligné par Laurent le Vaguerèse.
Pour finir, je pense aussi aux très jeunes et moins jeunes blessés par cet homme au couteau, comme à leurs entourages.
Ils auront certainement besoin d'échanger et de parler de cet évènement terrible, et les praticiens, dont les psychanalystes de la région, seront un secours précieux...
ET pour finir : étranges échos simultanés et inversés d'une actualité à l'autre : comme je l'écrivais tout à l'heure à Laurent le Vaguerèse, pendant ce temps là, à des milliers de kilomètres de là, en Colombie, des petits enfants retrouvés vivants après 40 jours, suite à un crash d'avion...Comme si le "hasard" et le téléscopage des actualité nous offraient parfois l'occasion de voir tous les possibles de l'humaine condition, qui se décline ici, à travers de si jeunes sujets, de l'épouvante morbide au miracle de la vie...
La lecture de cet article et surtout celle du commentaire de Mme Marie José Mondzain m'ont donné envie de soumettre quelques remarques non sur le fait divers effrayant lui-même, qu'en dire ? mais sur des points de vue qui peuvent sembler "aller de soi", c'est à dire aussi apporter comme toute forme d'évidence sur un évènement aux sources complexes plus de confusion que d'éclaircissements. UN. Il est habituel dès qu'une référence à l'Islam radical est évoquée de lui adjoindre immédiatement comme contre-argument celui de la violence historique du christianisme, on peut s'interroger sur l'intérêt de cet effet de miroir polémique dans le questionnement sur les mécanismes sectaires, les passages à l'acte fanatiques et leurs justifications. DEUX. L'exemple du massacre des innocents étant à cet égard inapproprié puisque perpétré par Hérode et donc hors du champ de la violence chrétienne et nullement pour préparer la venue du Christ mais au contraire pour l'empêcher comme avènement du Roi des Juifs. TROIS. Le lien causal, lui aussi semblant ressortir également à l'évidence comme toute causalité directe et donc a priori questionnable, entre les "horreurs" commises par Bachar El Assad sur son propre peuple et le "trauma" qui pourrait avoir présidé à ce passage à l'acte demande à être repris sérieusement, d'une part en fonction de la désinformation occidentale absolument orientée qui a présidé à toute la couverture des évènements syriens par les médias occidentaux et à l'absence totale de suite donnée aux enquêtes internationales touchant ces actions. On retrouve ici les mêmes manipulations d'opinion que dans les circonstances de guerre de l'information plus récentes que certains journalistes et enquêteurs indépendants analysent très bien à la condition de leur prêter temps et attention et de créer une posture critique permanente à l'égard des médias.
Cher Laurent, ne parvenant pas à me brancher sur le site je t’envoie ces qq mots.
Comme d’habitude les propos de Marie -Josée Mondzain sont plus que pertinents. Je voudrais ajouter une nuance : c’est au nom de Jesus que cet homme a voulu tuer des enfants mais c’est au nom du même Jesus que Henri a risqué sa vie pour les sauver. Par ailleurs il ne faudrait pas mettre tous les monothéismes dans le même sac. S’il est vrai que le christianisme d’inaugurer avec le massacre des innocents, le judaisme commence avec le renoncement au s’active d’Isaac. Et jusqu’à nouvel ordre on ne trouve ni dans les synagogues ni dans les mosquées de jouissives représentations de tueries d’enfants.
Jean-Pierre WINTER
Merci beaucoup cher Laurent d'avoir ouvert ce fil de discussion autour de cet événement atroce. Si la convocation des figures du monothéisme semble pertinente au vu des déclarations du meurtrier - merci aussi à Marie-José Mondzain pour son analyse -, une autre figure, en-deçà même de ces récits ne peut que venir à l'esprit, c'est celle de Médée, qui est manque par essence, et dont l'infanticide prend sa source dans ce sentiment du manque qui la dévore.
Interpellée par vos deux papiers, j’ai envie d’y rebondir. On l’entend bien, en matières de sujet parlant la question est de séparation… d’avec la mère, d’avec le père, puis les frères et sœurs, enfin d’avec la famille, le village, indépendance, liberté ! Sujet de son inconscient et de sa parole. Récits et contes de meurtres non symboliques d’enfants n’y sont donc ni nouveaux, ni rares, comme nous le rappelle Marie-Josée Mondzain.
Quel geste fait cet homme qui veut tuer un enfant ?
Comment le fils se sépare-t-il de l’enfant qu’il est pour devenir adulte, de l’enfant qu’il fut et qu’il porte en lui avec ses souvenirs ? Comment le fils tue-t-il le père comme condition de son usage et reprend-il à son compte sa langue, ses discours, ses habitudes ?
La chrétienté nous raconte une histoire. Le Christ, comme fils, est sacrifié. En cela, il accepte de détruire en lui l’enfant tout puissant à satisfaire la jouissance de l’Autre, mère ou père, puis il descend de son piédestal pour accéder simplement à être un homme parmi les autres : de toujours déjà mort. Dans ce texte, le mouvement de la naissance du sujet est porté moins par un rituel de meurtre projeté sur des objets, que par une histoire qui passe de parole en parole d’une génération l’autre, comme métaphore à partager pour celui qui effectue le mouvement de sa naissance de sujet au fil des discours des liens de son groupe social.
Dans l’Islam la métaphore se soutient autrement. Chaque année la limite de l’enfance est rappelée à tous par une histoire et sa mise en scène. Le rituel tue non pas un enfant, mais un animal qui le représente, un mouton. Cette tache est dans toutes les familles musulmanes, dévolue au père. Ainsi tue-t-il l’enfant qu’il porte en lui, en devenant père. Mais le fils reste épargné… Dans cette langue le meurtre symbolique de l’enfant dont tout un fait le deuil en devenant adulte, ce meurtre en passe par cette représentation. Toutefois, tuant le mouton, chaque père ne tue pas le fils. Il épargne avec ce geste son fils… de la castration. Le pas à franchir n’est pourtant pas évité au fils. Il est d’ailleurs aussi marqué par une action réelle : la circoncision, posée sur le corps propre, elle précède, accompagne, véhicule la symbolique des mots.
Ces différences ne sont pas seulement anthropologiques. Elles ont chacune leur efficace, comme leurs rêves et les idéaux qu’elles véhiculent. Plutôt ces différences des modalités d’expression des liens, leurs représentants et représentations sont le corps de la langue. Elles sont la langue elle-même, sa grammaire, sa syntaxe, l’imaginaire de ses représentations et de ses pactes. Elles sont ce qui pense et ce par quoi se pense le sujet.
La question aujourd’hui se présente dans notre langue commune : le discours de la science avec ses productions sociales s’est introduit dans toutes les langues à travers nos objets et leurs modalités de fabrication et d’échanges. Comment dans cet espace renouvelé des langues premières se présente, se représente et s’incarne cette séparation de l’homme avec son enfance, son origine au monde, cet enfant qu’il porte en lui et dont il ne peut que faire le deuil avec l’âge, et sa participation aux discours de transmission, de filiation et d’affiliation ?
A suivre Achille Mbembé, pouvons-nous rêver d’une langue universelle ou d’une universalité des langues succédant aux langues traditionnelles, religieuses, avec le discours de la science et ses productions sociales ? Le malheur de cet homme éperdu d’enfance ne nous en rappelle-t-il pas la nécessaire mise au travail de la question ?
Martine FOURRÉ
Psychanalyste (espace analytique, forums du champ lacanien),
Dr en psychologie, chercheur associe CRPMS Paris VII Diderot/Sorbonne
24 avenue Mac Mahon 75017 Paris - FRANCE Tel : +33 1 (0)6 80 06 56 99
Email : fourmar@icloud.com
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