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Internet et paranoïsation des rapports sociaux.(2002!)
Internet et paranoïsation des rapports sociaux.(2002!)
En remuant quelques vieux papiers j'ai retrouvé ce texte qui date quand même de 2002. Cela faisait déjà un certain temps qu'oedipe était sur la toile après l'avoir été pendant 10 ans! sur le Minitel et que je me faisait moquer par tous ceux encore nombreux à l'époque qui pensaient qu'internet serait un truc passager, un gadget en quelque sorte, et que je me faisait traiter de tous les noms par ceux qui disaient que je voulait faire de la psychanalyse sur internet ou tout simplement qui m'ignoraient superbement.; Donc, ce texte date de 17 ans. Je le trouve pas si mal. Il a un peu vieillit mais pas tant que ça.Je le laisse tel quel. A vous de juger.
LLV
Discussion Machine à Lire le 25 Mai 2002
Laurent Le Vaguerèse, sur l'invitation de TRAIT à partir de l'ouvrage :
Surfer avec FREUD »
« L’inconscient vient donc au jour dans le dire, alors que dans le dit,
la vérité du sujet se perd pour n'apparaître que sous le masque du sujet
de l'énoncé où elle n'a donc pas d'autre issue, pour se faire entendre,
qu'à s'y mi-dire »
Écrits pp 834 positions de l'inconscient
Internet et paranoïsation des rapports sociaux.
Bonjour et merci d'être venu pour accueillir le parisien que je suis
afin de parler ensemble de ce qui constitue pour certains une révolution
et pour d'autre un gadget à savoir le développement du réseau internet.
Ce terme de révolution a fait un temps gloser Lacan au cours des
séminaires qu'il a tenus pendant l'année 1968 durant de ce que l'on
nomme avec précaution « les événements de mai ».
C'est vrai que révolution cela fait pirouette et retour à la case
départ. Cependant, s'il faut prendre des précautions avec le discours des
zélateurs, les analystes eux ont tendance à se réfugier derrière ce genre d'
aphorisme pour masquer leur
difficultés à aborder un domaine nouveau.
Internet donc, c'est ce qui nous a occupés toute la matinée, serge Bédère,
l'association « Trait » et moi-même, ce n'est ni tout à fait différent ni
tout à fait du déjà connu, c'est un objet à penser.
Si vous disposez d'une connexion internet, la première chose dont vous avez
pu disposer c'est d'une « boîte aux lettres » et d'une adresse e-mail ou
un courriel comme disent joliment nos amis canadiens toujours plus
prompt que nous à défendre la langue française. Grâce à ce courriel vous
voilà en mesure de pouvoir écrire et recevoir des messages en provenance
du monde entier. Devant cette perspective chacun réagit à sa façon. Il y
a ceux qui sont confiants dans l'humanité et qui voient s'ouvrir devant
eux de multiples perspectives réjouissantes comme celle de rester en
contact avec des parents résidant à l'étranger ou de recevoir des
messages venant de parfaits inconnus mais dont l'intérêt est précisément
qu'ils soient loin et qu'ils le restent ce qui peut autoriser plus
facilement
la confidence.
Il y a aussi les inquiets. Ils se méfient et ils n'ont sans doute pas
tout à fait tort. Ils manifestent leur inquiétude par des comportements
de prudence mais une prudence qui est tournée vers un danger qu'ils
ignorent en fait. Ils voient des risques la ou ils ne sont pas et se
croient en sécurité alors qu'il y aurait quelque raison de prendre des
précautions.
Internet reprend et illustre à sa manière tous les paradoxes liés
à ce que l'on appelle la mondialisation dont nous avons sans doute eu
quelques manifestations il y a de cela quelques semaines et qui est ce dont
nous allons
probablement avoir à faire pendant une partie de ce siècle avec sa face
noire le risque de paranoïsation des rapports sociaux lié à un sentiment
général d'insécurité, lui-même êtant la conséquence d'un espoir insensé
celui
d'un rapport social qui serait sans risque notamment quant à la vérité ;
Il y a un côté franchement paradoxal dans ce média c'est qu'il tente de
concilier l'inconciliable et l'on s'aperçoit assez vite qu'il retrouve
les antagonismes qu'il cherche à fuir.
Ainsi le fait que la machine invite à rester chez soi permet d'éviter de
se trouver dans un lieu où l'on peut se faire agresser. Les transports
en commun par exemple. Être chez soi implique un sentiment de sécurité.
Mais si tôt la machine ouverte, ce sentiment risque de faire place à de
l'appréhension. Si vous ne pouvez pas vous faire voler votre
portefeuille, vous pouvez craindre, même si ce n'est pas très fréquent
dans la réalité que toute transaction commerciale se transforme pour
vous en cauchemar. Que votre numéro de carte bleue soit
utilisé à votre insu et votre compte en banque dévalisé par là même
occasion.
Plus généralement, vous pouvez en avoir marre de ne pas pouvoir sortir
de chez vous sans que vous soyez sollicité à dépenser votre argent,
d'être conduit à céder à la rencontre avec un vendeur ou une vendeuse,
mais sur internet de la même manière si vous n'y prenez pas garde, votre
boîte aux lettres va bientôt se retrouver dans le même état que votre
courrier habituel c’est-à-dire encombrée de messages publicitaires les
plus diverses.
Et puis, alors que vous pensez tranquillement pouvoir gérer votre temps
en toute sécurité les aléas du fonctionnement de la machine et votre
capacité ou non à en utiliser toutes les ficelles risquent également de
mettre vos nerfs à rude épreuve.
Comme vous le savez, internet au départ c'est un réseau mis en place
par les militaires américains pour parer une éventuelle interruption des
communications par une explosion nucléaire pendant la guerre froide.
Comme, ce qui inquiète le plus les militaires c'est de ne pas pouvoir
communiquer entre eux, ils ont imaginé la mise en place de ce réseau
dont la destruction ne pouvait avoir lieu, toute base étant susceptible
d'être remplacée par une autre. Ensuite ce sont les scientifiques qui
s'en sont emparés et enfin le grand public. On constate d'ailleurs que
des traces de ces époques sont repérables à certains niveaux du système.
Mais surtout ce mythe de l'internet comme celui du paradis sur terre est
évidemment largement contesté par l'apparition des virus des vrais et
des faux et c'est là-dessus que je voudrai que nous réfléchissions
ensemble un instant.
Si vous pensiez que l'homme en son essence est bon, ce n'est
certainement pas internet qui vous en fournira la meilleure des preuves.
Certes, vous y trouverez une communauté de gens qui font des choses
uniquement pour rendre service et ça, c'est tout de même assez
encourageant, qui seront prêts à vous dépanner et à vous faire partager
leur savoir pour vous sortir d'un mauvais pas et ce sans vous demander
rien en échange. Internet c'est aussi cela, le grand rassemblement de
ceux qui ont les réponses et attendent avec patience ou impatience qu'on
leur pose les
questions.
Mais internet c'est aussi la création des virus. Drôle de terme que ce
terme de virus alors que le terme américain de worm peut être traduit
par un vers ce qui n'a absolument pas la même connotation . Chez nous
cela implique presque nécessairement le lien avec le virus du sida cette
maladie qui est transmise dans le champ de la sexualité comme une
fatalité de ce qui accompagne l'abandon lié au désir sexuel et à la
volupté.
Certes internet est aussi un média qui véhicule du sexuel et peut-être
peut-on y voir un certain lien. Quoi qu’il en soit, des virus il y en a
des vrais mais ce qui n'est pas plus rassurant il y en a surtout des
faux.
Quand on pense aux vrais on se dit que l'homme a encore quelques progrès
à faire dans le domaine des rapports sociaux. En effet pas plus que
l'aide bénévole offerte par certains sur le réseau, la fabrication de
virus ne procure à celui qui le fabrique, au moins dans la plupart des
cas à peu près rien sinon la satisfaction d'avoir à soi tout
seul emmerdé un nombre considérable de gens et d'avoir toutes les
chances de rester anonyme et impuni. Encore que certains ont trouvé dans
la fabrication de virus le moyen de prouver leur savoir faire dans la
nuisance et de proposer aux entreprises de les protéger contre les
attaques des autres fabricants de virus.
C'est un racket aux normes du XXI e siècle. Quoi qu'il en soit cela a
des conséquences et être sur internet c'est aujourd'hui de plus en plus
avoir à se méfier des virus à s'en protéger donc à développer une
attitude de méfiance généralisée envers tous les messages que vous
recevez. Je dis bien tous les messages car parmi les pièges que recèlent
ce système des virus, le plus subtile est sans doute le dernier qui vous
fait l'auteur involontaire de sa diffusion puisque s'introduisant dans
votre machine il utilise votre carnet d'adresse pour envoyer le virus a
tous vos amis et ce sous couvert de votre signature. Tout à fait comme
le porteur d'un virus humain. C'est celui auquel on fait le plus
confiance qui est celui qui le premier vous trahit.
On peut assimiler ce type de virus à un canular, une blague pas très
drôle quand vous en êtes l'objet. Très vite vous allez vous rendre
compte que votre boîte aux lettres est ainsi l'objet de pétitions
diverses et de canulars qui sont susceptibles de vous faire perdre le
plus élémentaire bon sens.
J'ai fait la liste des différentes formes de canular et les ressorts sur
lesquels
ils s'appuient . Vous retrouverez d'ailleurs tout cela sur l'excellent site
hoaxbuster.com auquel je vous invite à vous réferer aussi souvent qu'il est
nécessaire.
- la peur : vous allez être infecté par un virus
- la générosité : grâce à vous nous allons pouvoir donner de l'argent a
une grande cause
- le gain : vous allez gagner vous-même de l'argent
- la superstition la chaîne du bonheur. Si vous ne transmettez pas ce
message vous allez plonger dans le malheur/le bonheur à l'inverse vous
attend si vous le faites
- la vertu : le pseudo scandale à dénoncer
- la lutte contre l'injustice et la pétition qui n'arrive jamais puisque
personne n'est jamais chargé de la transmettre
Lutter contre les rumeurs
Mais là ou les analystes ont sans doute le plus à dire, c'est
précisément dans ce registre de la vérité qui comme vous le savez sans
doute est celui sur lequel Lacan nous a le plus apporté, nous a le plus
conduit à réfléchir. Ce n'est pas un domaine nouveau, mais je crois que les
analystes ont
sur ce point bien des choses à dire. Car, a se situer du côté des
sociologues on voit bien les limites de leur approche.
Lorsque l'on examine la manière dont les sociologues établissent la
contradiction entre la vraisemblance du texte du hoax et sa vérité
probable ou improbable, ils le font au travers d'une lecture logique et
contradictoire visant les arguments exposés dans le message que vous avez
reçu et qui sont susceptibles d'avoir emporté votre conviction.
Vous savez peut-être que l'une des rumeurs à laquelle internet a donné
une très grande importance concerne l'attentat du 11 septembre.Le réseau
Voltaire,un
réseau connu essentiellement, pour sa dénonciation du fonctionnement
occulte du Front National, et qui par le fait même a acquis une certaine
crédibilité notamment dans les cercles de gauche, a laissé entendre que ce n
'est pas un avion
mais une bombe qui a explosé dans les locaux du Pentagone.
Je ne vais pas entrer dans les détails de l'argumentation développée à cette
occasion. Nous y reviendrons éventuellement au cours de la discussion. Quoi
qu'il en soit, un spécialiste des rumeurs et qui s'est clairement inscrit en
faux quant à la thèse défendue par le réseau Voltaire, explique que la
difficulté tient au fait que la thèse défendue par ce réseau est simple et s
'exprime en quelques mots alors que sa contradiction nécessite au contraire
de longs développements.
Penser demande donc un effort mais doit-on s'en tenir la ? par quel autre
moyen pourrions nous dissiper le doute qui, à ce moment nous envahit ? et
comment vivre si
nous devons sans cesse nous protéger ? en refermant sur nous le cercle des
amis sûrs ceux qui ne nous tromperont pas ? Chacun de nous a appris,parfois
à ses dépends combien cette solution peut s'avérer illusoire. Nous
connaissons tous le dicton « protégez-moi de mes amis, mes ennemis, je m'en
charge »
La certitude ne peut être le fait que du discours mystique ou de celui
de l'inconscient. Et il n'est pas tellement facile de séparer l'un de
l'autre.
Être trompé par l'autre c'est bien sur ce qui s'opère
dans le hoax envoyé soit de son plein gré soit à l'insu de son plein
gré par un ami ou une connaissance. Ainsi, l'autre est trompeur soit
parce qu'il est lui-même trompé et nous trompe en quelque sorte de bonne
foi soit parce qu'il veut nous tromper.
Le déprimé comme l'obsessionnel n'est-il pas celui qui se désespère de
ne recevoir jamais cette certitude ni de l'inconscient ni de Dieu ? le
paranoiaquelui au contraire est sur de son fait encore que dans les débuts,
il puisse douter
Qu'est-ce qui fait preuve dans tout cela ? Qu'est ce qui peut nous rendre
plus assurés. ?Le témoignage ? Il peut être mis en doute. Le raisonnement,
il peut être trompeur, l'image, elle peut être manipulée. Les médias, les
politiques n'en parlons pas. Le nombre
de ceux qui pensent comme moi ? mais ce nombre lui-même est sujet de
méfiance puisque tout tend à mettre en doute la parole la plus répandue.
Pour tenter de progresser dans cette réflexion, je vais prendre un autre
exemple.
Il y a quelque temps de cela, j'ai reçu d'une collègue argentine un
e-mail. Internet a ce côté miraculeux que les bouteilles à la mer sont
la capacité aujourd'hui de traverser 'atlantique en moins de temps
qu'il ne faut pour l'écrire à condition toutefois que l'on possède au
moins quelques bribes d'une langue qui n'est pas la sienne ;
Vous n'ignorez pas que l'Argentine a vécu pendant de longues années
sous le joug d'une dictature commanditée par l'autre pays des droits de
l'homme les États-Unis d'Amérique et qu'il en est résulté pour de
nombreuses familles de souffrir de cet état atroce qui est de ne rien
savoir de ce qu'il est advenu d'un père, d'un frère d'un ami emmené un
beau matin blafard dans une voiture entre deux inconnus et dont on n'a
depuis jamais plus entendu parler.
Cette collègue, donc me transmet ainsi qu'à différentes personnes un
message qu'elle a elle-même reçu quelques instants plutôt. Evidemment,
pour ma part je ne connais pas la personne de laquelle elle a elle-même reçu
ce
message, mais elle, je l'identifie et la situe
sans aucune difficulté comme étant une analyste ayant pignon sur rue en
Argentine et dont la bonne foi ne peut être mise en doute. Le message qui me
parvient est assurément
transmis par quelqu'un, et non par un inconnu et de ce fait j'y prête
une attention toute particulière. De même, cette collègue que
j'appellerai de son prénom Rosana, se devait de prêter attention au
message qu'elle avait elle-même reçu de quelqu'un qu'elle connaît.
Dans ce message, un certain Diego Olivares, se disait à la recherche de
son frère qui avait été enlevé durant la dictature. Il aurait entendu
dire que ce frère se trouverait quelque part en France. Il faisait appel
à toutes les bonnes volontés pour qu'on lance un appel à tous ceux qui
avaient un correspondant en France afin de tenter de savoir si l'un ou
l'autre n'aurait pas entendu quelque chose à ce sujet. Bien entendu,
Rosana s'est empressée de transmettre ce message .
Vous pensez bien que pour une analyste argentine, le thème des disparus
est de ceux qui remuent les tripes. Elle est donc particulièrement
sensible à son contenu . De plus grâce à son travail et à ses liens avec la
France, elle peut transmettre ce message et faire qu'il parvienne peut-être
grâce à elle à son destinataire. Et
si ce message était faux ?
La machine n'invite pas à réfléchir mais plutôt à agir tant cette action
est simple et rapide et élimine avec elle la tension un moment suscitée
par ce message angoissant. Un simple clic et voici le message de
détresse qui part aux antipodes.
Il se trouve que je reçois par l'intermédiaire d'odipe de nombreux
messages qui sont des faux et d'une certaine façon cela m'importe de ne pas
faire suivre ces derniers et pas seulement parce que cela encombrerait les
boîtes aux lettres de mes amis et correspondants.
Je renvoi donc à cette personne le message suivant :
« je suis très septique quant à l'authenticité de ce message; le fait
que des gens de bonne foi transmettent un message n'en garanti pas
l'authenticité. L'absence d'adresse postale me rend plus que méfiant »
Quelques jours plus tard je reçois de Rosana cette réponse :« J'ai
essayé de contacter le fameux Diego Olivares et pour le moment il est
introuvable, il a "disparu". Par ailleurs il y a de gens du réseau qui
m'ont envoyé des mails qui démontrent qu'ils ont pris le message au
sérieux et qui tentent de trouver son frère. Moi-même, j'ai parlé par
téléphone avec X, sa réponse m'a fait penser que le
message de Diego est faux. J'ai beaucoup de mal à écrire correctement le
français ce pourquoi je passe sur les détails.
J'apprécie l'intérêt que vous avez manifesté à propos de ce message,
probablement parce que cette réflexion porte bien au-delà de l'anecdote.
Je crois qu'elle touche un point très sensible des temps que nous
vivons, le discours dominant pousse a la méfiance de l'autre, de
l'Autre avec un grand A, ce qui est lourd de conséquences!. Même si par
ailleurs vous avez probablement raison depuis le début. cordialement,
Rosana »
Comme vous le voyez nous touchons-la
à a un tout autre problème. Celui de la confiance en l'autre et celui
de la confiance en l'Autre. Celui de la Vérité.
Confiance en l'autre, confiance bernée et qui cherche à se rétablir
grâce au réseau. À qui peut-on faire confiance ? comment faire dans ce
monde, si l'on ne peut un minimum être assuré de ce que l'autre, le
petit autre celui que l'on connaît que l'on fréquente avec lequel on a
une possible intimité celui-là peut nous tromper.
Lacan parle dans l'un de ses séminaires, je n'ai pas recherché lequel
mais sans doute l'un de ceux que j'ai moi-même pu entendre et donc l'un
des derniers qu'il a prononcés, de cet effondrement qui se produit chez
certains lorsque dans un couple ils s'aperçoivent que l'autre le trompe.
Cette inquiétude, pour ne pas dire davantage quant à la confiance
accordée à l'autre qui ne nous trompe pas, Rosana en convient, pose la
question d'une méfiance généralisée, d'une paranoisation des rapports
sociaux et de sa volonté malgré tout de croire cet autre qui peut nous
tromper.
Elle saisit bien aussi, à cette occasion, l'opportunité de faire le
saut de cet autre à l'Autre. Et si l'Autre nous trompe alors à quel
saint allons nous pouvoir nous vouer.
La pratique de l'analyse n'a t elle pas, de son côté, pour fonction, pour
visée
de faire surgir le petit bout de vérité qui ne trompe pas ; Voyez le livre
de mon ami Gérard Haddad dans le récit qu'il fait de son analyse avec
Lacan : « le jour ou Lacan m'a adopté » qui est paru ces jours-ci chez
Grasset (et que j'en suis sur notre ami libraire se fera un plaisir de
vous procurer) À plusieurs reprises il prête à Lacan d'être le support,
le renfort d'une forme de certitude quant à son désir, le sien, pas
celui de Lacan illustre ce qu'il en est de la fonction de vérité de l'
énonciation. Ce récit est me semble-t-il la plus évidente illustration de la
façon dont Lacan pouvait lui-même mettre en acte ce qu'il avait théorisé
quant à sa position vis-à-vis de l'interprétation
comme renvoi à l'énonciation comme étant « la vérité qui parle ». On
peut contester cette vison de Lacan on ne peut lui contester d'avoir
tenté de la soutenir tout au long de sa pratique.
Mais en quoi cela nous aide t il nous qui en l'occurrence ne disposons que d
'un énoncé sans énonciation. Mais précisément ne serait-il pas possible d'en
faire surgir une à condition de ne pas nous contenter de « faire passer »
de faire circuler le texte qui vient et va se répandre, en partie de notre
fait, dans les milliers d'ordinateurs répartis sur la planète.
.
Rosana m'adresse encore un message : le voici
« Je préfère me tromper, m'écrit elle en faisant passer un mail qui n'est
pas ce
qu'il prétend, que de me tromper en laissant en rade quelqu'un dont sa
situation soit difficile a entendre. De plus j'ai de la famille qui a
disparu pendant la dictature, souvent ces histoires sont douloureusement
incroyables mais vrais, bien à vous, Rosana »
Cette fois le message change du tout au tout, car c'est maintenant la parole
de Rosana qui prend le dessus, qui émerge désormais.
Voici ma réponse :
« Chère Rosana,
Je comprends tout à fait votre position, même
si je ne la partage pas. Car évidemment ce type de message, s'il est ce
que je crois, joue sur la réaction et les motivations que vous exposez.
Sans cet "indécidable" le message s'il est faux n'aurait que peu de
chances d'aboutir et d'être diffusé . Si vous avez effectivement
l'occasion de pouvoir vérifier l'authenticité ou l'inauthenticité de ce
message (en contactant directement cette personne
par exemple) merci de m'en informer. »
j'aurai pu ajouter : si ce message ne vous avait pas touché aussi
intimement vous n'auriez sans doute pas prêté une telle attention à son
énoncé et vous auriez été plus attentive à l'émergence possible d'une
énonciation.
Ce que Rosana protège, c'est du moins ce qu'elle écrit, et c'est donc ce
qui doit nous retenir, c'est tout simplement sa possibilité de vivre son
quotidien sans être prise dans un
discours paranoïaque qui risque de lui faire perdre non seulement tout
repère mais aussi tout sens à sa vie avec les autres. Mais cette réaction,
bien
compréhensible, lui fait momentanément abandonner sa lecture d'analyste
celle qui précisément aurait sans doute pu lui permettre de se repérer
différemment tout en ne se condamnant pas à demeurer silencieuse figée
dans le désarroi de l'impossible à agir lié à l'impossible à savoir. Au
lieu de transmettre a d'autre, de renvoyer le paquet de faire suivre il
lui fallait faire l'effort de tenter avant toute chose de tenter de renvoyer
ce messag à son expéditeur supposé, et non de se contenter de « faire
suivre ».
Vous connaissez sans doute l'histoire de cet homme qui vivait en Suisse
et qui a écrit un livre ou il racontait sa vie dans un camp durant la
dernière guerre mondiale. Son nom est benjamin Wilkomirski et son livre
s'intitule « Fragments une enfance 1939-1948 l'éditeur en est
Calmann-Levy
Ce récit, tout à fait poignant, ce témoignage avait retenu l'attention
des plus hautes autorités littéraires et religieuses au sein de la
communauté juive ainsi qu'en Israël et le livre avait reçu une haute
distinction par des instances bien placées pour être fondée à le faire.
Or ce livre, écrit sans aucun esprit de malveillance s'est révélé être,
non pas un faux mais plutôt un récit imaginaire ; l'homme qui a écrit ce
supposé témoignage n'avait jamais été dans un camp.
Cependant, et bien qu'à l'origine de cet écrit on ne puisse trouver
aucune intention malveillante et qu'il n'ait été produit avec une telle
effet de vérité que par le fait d'une identification à des gens qu'il
n'avait connu que par les témoignages de l'histoire, ce texte a
évidemment été exploité par les négationniste qui y ont trouvé une
aubaine plus bénie que celle dont ils auraient pu rêver dans leurs
espoirs les plus fous. Voici un homme dont le témoignage est validé par
les plus hautes autorités en Israël et au sein de la communauté juive,
un témoignage qui décrit quelque chose de la vie des camps et il s'avère
que ce témoignage est un faux. C'est donc que tous les témoignages
recueillis auprès des rescapés peuvent être tenu dans la même suspicion !.
Le geste de Rosana, peut vous sembler, comme sans doute cela lui est apparu
à elle-même comme étant de peu de conséquence, sans commune mesure avec ce
qui a pu résulter de la démarche de validation du « récit » de Wilkomirski,
démarche qui, elle aussi, aurait dû susciter une écoute différente, être
entendue comme un appel. Cependant, sachant le nombre de fois ou le geste de
Rosana est chaque jour répété on peut au contraire considérer qu'il est
extrêmement important dans ses conséquences comme dans ses attendus.
Je pense que nous devrons dans le présent et dans l'avenir,. Nous devons
être extrêmement vigilants et ne pas nous contenter d'approximation lorsque
nous sommes confrontés à ces situations ou une confusion peut se faire jour
entre fiction et vérité, entre virtuel et réel .Cela n'est pas anecdotique
,il en va de la responsabilité de chacun de savoir se repérer dans ce monde
ou une certaine forme de confusion s'installe, une certaine irresponsabilité
aussi.
Je pense qu'il y a là, en tout cas pour un analyste, un certain nombre de
questions
importantes . C'est, pour ma part, ce que je m'efforce de faire et j'espère
que nous
allons pouvoir en débattre ensemble dès maintenant.
Je vous remercie
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Comments (1)
J’avancerai que l’indice de « vérité » d’un énoncé est une fonction (proportionnel à) de la technologie employée. Plus cette dernière est sophistiquée et plus grand est le nombre d’utilisateurs ignorant de ses principes de fonctionnement et donc subjugué par son usage. Un usage d’une grande simplicité donne à l’utilisateur un sentiment de pouvoir et du même coup de confiance dans l’instrument et des contenus qu’il diffuse.
On se souvient comment Orson Wells avait remporté un succès d’audience considérable en annonçant l’envahissement de la Terre par les Martiens. Il avait à cette époque disposé d’un amplificateur encore moderne : la radiophonie.
Mais, plus proches de nous, des populations à peine alphabétisées pouvaient encore croire que les journaux diffusaient des vérités incontestables parce qu’elles étaient imprimées!
Et puis la télévision, qui colonise l’intimité du foyer et son apparence protectrice et enfin l’internet qui promeut l’interaction et donne, grâce à cette supercherie, l’illusion de la liberté et de la maîtrise ont achevé de creuser la distance entre l’utilisateur et les techniques mises en oeuvre par les moyens de communication.
Comprendre aujourd’hui le fonctionnement du WEB est d’une difficulté sans commune mesure avec celle à l’oeuvre pour comprendre le fonctionnement d’une machine d’imprimerie. Mais la complexité en question aurait encore peu d’impact si elle n’était doublée, confortée, masquée par une SIMPLICITE d’utilisation toujours plus avancée !
Psychanalyste, je n’utilise pas sans précaution le terme transfert. Il me semble ici de mise : l’usager du WEB, et plus spécialement quand il a recours aux plateformes d’échange, se confie(transfère) d’autant plus aisément qu’il se croit doté de pouvoirs qui le protègent. Il fait sien, la puissance de l’instrument de telle sorte qu’il se croit le maître alors qu’il n’est que le serviteur.
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